REPORTERRE – 26/09/2020 – Par Marie Astier et Justine Guitton-Boussion
Dimanche 27 septembre, un tiers du Sénat sera renouvelé par les « grands électeurs ». Dans la lignée de leur succès aux élections municipales, les écologistes pourraient à nouveau former un groupe au sein de la chambre haute du Parlement. Deux sénateurs et une sénatrice écolo en place expliquent quels sont les leviers d’action.
C’est un scrutin qui passe souvent inaperçu : les élections sénatoriales sont prévues ce dimanche 27 septembre. La Chambre haute du Parlement – l’autre étant l’Assemblée nationale – compte 348 membres, élus pour un mandat de six ans, et renouvelés par moitié tous les trois ans.
La série 1 a été renouvelée en 2017, c’est donc au tour de la série 2. Elle correspond aux départements 1 (Ain) à 36 (Indre) et 67 (Bas-Rhin) à 90 (Territoire de Belfort), à l’exception de la région parisienne. Parmi les départements ultramarins, ceux concernés sont la Guyane, la Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Wallis-et-Futuna.
Le Sénat doit représenter les collectivités territoriales de la République : les sénateurs sont donc désignés par des « grands électeurs ». Il s’agit des députés et des sénateurs actuels, des conseillers régionaux et départementaux, et surtout de délégués des conseillers municipaux.
En 2012, un groupe parlementaire écologiste avait été mis en place au palais du Luxembourg (afin de constituer un groupe, les sénateurs doivent être au minimum dix). Mais en juin 2017, André Gattolin a quitté Europe Écologie-Les Verts (EELV) pour rejoindre La République en marche : son départ a provoqué la dissolution du groupe. Depuis les élections de septembre 2017, seuls quatre sénateurs écologistes siègent désormais dans la chambre haute. Ces parlementaires faisant partie de la série 1, leur poste n’est pas concerné par ces élections.
Ce dimanche 27 septembre, forts de leur succès aux élections municipales, les écologistes espèrent obtenir de nouveaux sénateurs, et peut-être même reformer un véritable groupe parlementaire.
Mais pour quoi faire ? Reporterre est allé à la rencontre de trois sénateurs écologistes pour comprendre leur rôle, leurs leviers d’actions, leurs limites et leur vision de l’avenir.
Joël Labbé, la stratégie du pied dans la porte
Des cheveux blancs mi-longs en bataille, une large carrure, plusieurs bagues aux doigts : la chemise et la cravate réglementaires au Sénat n’ont jamais réussi à assagir le style de rockeur de Joël Labbé. Ce Breton a prôné l’écologie dès les années 1990 en tant que maire d’une petite ville de 4.000 habitants (Saint-Nolff, Morbihan). Aussi conseiller général, il s’est retrouvé sénateur par surprise en 2011, sa liste alliant gauche et écologistes ayant emporté plus de succès que prévu. « Cette année-là, on a fait basculer le Sénat à gauche à une voix près. À dix, on a pu créer le premier groupe parlementaire écolo de l’histoire du Sénat ! » se souvient-il.
Dans la vénérable institution pétrie de protocoles et de cérémonials, il a tout de suite détonné. « Je me suis souvent demandé ce que je faisais là, j’ai souffert d’un complexe d’infériorité », raconte-t-il. « À la première réunion, j’ai demandé pourquoi on avait des bouteilles en plastique plutôt que de l’eau du robinet. Je me suis attiré des foudres ! » Lors de son premier passage à la tribune, il a cité The Times They Are A-Changin’, de Bob Dylan. « Les médias ont sauté là-dessus. Je risquais d’apparaître comme un atypique et de n’être pas écouté. J’ai donc décidé de garder mon style, mais sans me laisser marginaliser. »
L’écolo de la campagne s’est fait oublier, a bossé ses dossiers, trouvant rapidement chaussure à son pied dans la mission d’information parlementaire sur les pesticides. « J’ai été scotché de découvrir tous les moyens que l’on avait pour travailler. Le fonctionnement de ces missions, où l’on a six mois pour faire un travail approfondi sur un sujet pour préparer un texte de loi. »
Lors du rendu du rapport de la mission, il a préparé son coup et, plutôt que de s’attaquer frontalement au monde agricole, a annoncé qu’il voulait proposer une loi pour interdire les pesticides non agricoles, dans les jardins particuliers et les communes. « On m’a dit que j’étais naïf, qu’il y avait les lobbys. Mais je n’ai pas un caractère à lâcher. » Patiemment, arpentant les couloirs du palais du Luxembourg, il a convaincu ses confrères, et fini par obtenir une majorité. « La loi a été adoptée au Sénat, votée conforme par l’Assemblée. C’est une toute petite loi, mais c’est une loi “pied dans la porte”. Car ce sont les mêmes molécules qu’en agriculture ! »
Défendre les idées écologistes dans une institution aussi conservatrice que le Sénat n’est pourtant pas simple. « On dépose des centaines d’amendements qui se font bouler », témoigne-t-il. Cette deuxième chambre aurait d’ailleurs besoin d’un bon coup de dépoussiérage. « L’élection par les grands électeurs, ça ne tient plus, il faut du suffrage universel. La Ve République est dépassée, il faut redonner du pouvoir au Parlement, dit-il. Mais je reste partisan du bicamérisme, car le Sénat, en représentant les territoires, permet un rééquilibrage face à l’Assemblée nationale, qui est très urbaine, métropolitaine. »
Réélu en 2017, il s’est choisi une nouvelle cause à laquelle il souhaite appliquer la même stratégie que pour les pesticides : la reconnaissance du métier d’herboriste. Le contexte est à nouveau favorable. « On n’est plus que cinq écolos, mais après les élections, on devrait être assez nombreux pour avoir de nouveau un groupe. L’efficacité des écolos au Sénat va être considérablement améliorée », promet-il.
Esther Benbassa : agir sur tous les aspects de l’écologie politique
« Ce n’est pas moi qui ai choisi la politique, c’est la politique qui m’a choisie. » Le sourire aux lèvres, Esther Benbassa se souvient de ce jour d’août 2010 où EELV lui a demandé de se présenter aux élections sénatoriales pour la circonscription du Val-de-Marne. « Je ne connaissais même pas les dirigeants du parti ! » s’amuse-t-elle aujourd’hui. À l’époque, son quotidien se divisait entre son poste de directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), ses cours donnés à la Sorbonne, et la gestion de son association de lutte contre les discriminations, baptisée le Pari(s) du vivre ensemble.
« Après avoir réfléchi plusieurs mois, je me suis dit qu’en tant qu’intellectuelle, je n’arrivais pas à changer les choses, se rappelle-t-elle. Tout le monde se fiche des intellectuels. Nous, politiques, nous ne pouvons réussir à changer que des petites choses, mais nous pouvons tout de même imprimer notre patte sur des sujets qui ne sont pas ordinaires. » Esther Benbassa a donc accepté la proposition d’EELV et a été élue en 2011.
Elle a alors découvert la multitude de sujets et de projets sur lesquels elle pouvait travailler avec ses collègues écolo, en élaborant des textes de loi, en proposant des amendements ou en participant aux commissions d’enquête. Quelques semaines après son élection, Esther Benbassa a d’abord déposé une proposition de loi sur la lutte contre les contrôles au faciès. « Ma première intervention publique, c’était pour le vote des étrangers aux municipales. Je trouvais ça très fort comme symbole », raconte-t-elle.
Celle qui avait l’habitude des travaux d’écriture et de réflexion s’est vite épanouie au palais du Luxembourg… et en dehors. « Pour moi, l’écologie politique ne se résume pas à l’environnement ou à la lutte contre le réchauffement climatique, défend-elle. Depuis 2011 et ma réélection à Paris, en 2017, j’ai défendu des lois pour la faune, mais j’ai aussi visité des centres de rétention, des prisons, suivi le mouvement des Gilets jaunes, soutenu les victimes de violences policières… »
La sénatrice de 70 ans se concentre aujourd’hui sur une nouvelle proposition de loi, pour un élevage éthique « socialement juste et soucieux du bien-être animal » – elle a publié un livre sur le sujet, Nous et les animaux -, et sur les élections de ce dimanche 27 septembre. Elle suit avec attention et conseille les candidats en Haute-Savoie, à Lyon ou à Marseille. « Il faut que les écologistes se réinstallent au Parlement, comme on l’a fait au Parlement européen ! » lance-t-elle. Esther Benbassa espère qu’un groupe écolo renaîtra de ses cendres et sera prêt pour le passage au Sénat des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, notamment. « Il faut graver dans le marbre la transition écologique ».
Guillaume Gontard, l’envie de rassembler la gauche et les citoyens
C’est l’amour de la ruralité et l’attachement au territoire qui a mené Guillaume Gontard jusqu’au palais du Luxembourg. En 2006, l’homme d’aujourd’hui 48 ans a d’abord été élu conseiller municipal du Percy (Isère), son village de cœur. Il a ensuite accédé à la tête de la mairie deux ans plus tard. « Je me suis aperçu que, même dans un petit village, on pouvait faire énormément de choses, qu’on pouvait avoir une action sur la vie des gens, se réjouit-il. Ça m’a passionné. » Pendant presque dix ans, Guillaume Gontard a travaillé sur des problématiques très locales, avant de se lancer en 2017 dans l’aventure sénatoriale. Une sorte d’évidence, juge-t-il aujourd’hui avec le recul, car les sénateurs sont les représentants des collectivités territoriales, et par extension, de la ruralité.
L’Isérois a mené une liste rassemblant des membres du Parti communiste français (PCF), de Génération.s et d’EELV. Lui-même n’est pas encarté. « On a travaillé de manière collective sur un programme, un projet. Ce qui m’intéressait vraiment, c’était de pouvoir rassembler les forces de gauches et écologistes, parce qu’il n’y a rien qui m’énerve plus que quand chacun part dans son coin », dit-il en riant.
Toujours dans cet esprit de rassemblement, une fois élu, Guillaume Gontard a plaidé pour la mise en place d’un comité sénatorial, qui regroupe une vingtaine d’élus « de sensibilités différentes » répartis sur le département de l’Isère. « Ça me permet de ne pas avoir un travail solitaire de parlementaire, mais d’avoir ce retour et ce travail collectif à la fois pour la préparation des textes, pour la préparation des amendements ou certains sujets locaux », explique-t-il.
En outre, le sénateur estime que les Français dans leur ensemble devraient aussi avoir le droit de prendre part à ces réflexions. Il participe donc actuellement à la création d’un « comité citoyen » pour que les Isérois puissent se joindre au groupe d’élus et enrichir le travail, poser des questions orales aux ministres, etc. « J’aimerais avoir ce lien-là avec les citoyens, en m’inspirant un peu aussi de ce qui s’est passé avec la Convention citoyenne pour le climat, dit-il. C’est un essai démocratique qui m’a particulièrement intéressé. » L’année dernière, lors de l’élaboration de loi sur les monnaies locales, Guillaume Gontard avait d’ailleurs tenté l’expérience puisqu’il a travaillé sur le texte législatif avec l’aide de différentes associations et personnes de la « société civile ».
Ces moments d’échanges permettent de redonner l’espoir de changer les choses. « Je suis souvent déprimé parce que le Sénat a vraiment du mal à passer l’acte, regrette Guillaume Gontard. On l’a vu avec la question du glyphosate ou des néonicotinoïdes. On manque de vrais discours politiques à moyen et long termes. »
Il se réjouit d’une partie du fonctionnement du Sénat (le temps mis à disposition pour enrichir les textes de loi, le lien avec la ruralité…) mais y voit tout de même ses limites. « Il y a énormément de choses à faire évoluer, dit-il. J’avais des réticences au départ, mais c’est vrai que l’idée de tirer au sort des sénateurs est intéressante. Il va falloir qu’on réfléchisse à quelque chose de beaucoup plus représentatif des Français et de plus ouvert vers les citoyens. »