Mercredi 12 décembre 2018, le Sénat a examiné une proposition de résolution en faveur de la création de paiements pour services environnementaux rendus par les agriculteurs, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution par MM. Franck MONTAUGÉ (Socialiste et républicain – Gers), Henri CABANEL (Socialiste et républicain – Hérault), Jean-Claude TISSOT (Socialiste et républicain – Loire), Patrick KANNER (Socialiste et républicain – Nord), Olivier JACQUIN (Socialiste et républicain – Meurthe-et-Moselle) et plusieurs de leurs collègues.
Cette proposition de résolution s’inscrit dans le cadre des mutations de l’agriculture face aux défis climatique et économique, dans un contexte où les attentes sociétales en terme de préservation de l’environnement et de qualité des produits et aliments sont grandissantes.
Ce texte vise à valoriser les actions des agriculteurs en développant des « paiements pour services environnementaux » (PSE) qui rémunèreraient dans la durée les pratiques qui permettent d’améliorer la santé et l’efficacité agronomique et environnementale des écosystèmes, dans un cadre souple et privilégiant la subsidiarité. Cette création n’impliquerait pas une diminution des crédits consacrés aux mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), les deux outils étant complémentaires.
La proposition de résolution encourage les pouvoirs publics à mettre en œuvre dès maintenant un cadre incitatif et des mesures concrètes pour développer les paiements pour services environnementaux. D’autre part, elle invite le Gouvernement à défendre leur création dans le cadre de la réforme de la PAC d’après 2020.
En séance publique, les sénateurs n’ont pas adopté ce texte (131 voix pour et 197 voix contre ; voir les résultats du scrutin public).
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Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’initiative du groupe socialiste de nous soumettre cette proposition de résolution en faveur de la création de paiements pour services environnementaux. À mon sens, cette proposition tombe au bon moment, et cela à plusieurs titres.
Les paiements pour services environnementaux suscitent des attentes fortes de la part de bon nombre d’agriculteurs, ainsi que d’associations environnementales et citoyennes. Ces attentes font suite aussi à l’engagement du Président de la République, que, monsieur le ministre, vous avez tout récemment confirmé, mais dont la mise en œuvre continue d’inspirer des inquiétudes.
Au niveau européen, au vu de l’état actuel des négociations, on peut s’interroger sur l’ambition de la nouvelle programmation, notamment sur le plan de la transition agroécologique.
Au niveau national, la fin du cofinancement de l’aide au maintien en agriculture biologique, qui était pourtant une forme de PSE, a envoyé un très mauvais signal. Il est vrai, monsieur le ministre, que vous n’étiez pas encore en fonction lorsqu’elle a été décidée.
Par ailleurs, l’enveloppe de 150 millions d’euros sur trois ans allouée aux agences de l’eau reste insuffisante, comme le rappellent les auteurs de la proposition de résolution.
Cette proposition est donc une occasion de réaffirmer qu’il est essentiel que la France défende une position forte dans les négociations européennes. Elle est aussi une occasion de rappeler que, si la France veut être crédible dans ces négociations, elle se doit de mettre en œuvre sur son territoire une politique ambitieuse dans ce domaine.
Il me faut encore une fois le rappeler : à l’heure du dérèglement climatique, de l’effondrement de la biodiversité et des atteintes à la qualité de l’eau, de l’air et des sols, mais aussi de la crise des revenus agricoles, la réorientation de notre modèle agricole est urgente !
Les PSE peuvent, et doivent, comme le soulignent les auteurs de la proposition de résolution, constituer la base d’un nouveau contrat entre l’agriculture et la société, en même temps qu’un outil au service du changement des pratiques agricoles. Il faut toutefois donner un contenu précis à ce concept, dont la définition n’est pas encore stabilisée.
J’ai coorganisé, vendredi dernier, au Sénat, un séminaire sur ce sujet, en partenariat avec la plateforme Pour une autre PAC, qui rassemble trente-trois organisations, à la fois des associations et syndicats de producteurs et d’agriculteurs, des associations environnementales, des associations de solidarité internationale et d’autres de citoyens consommateurs.
Leur position sur les PSE recoupe en partie cette proposition de résolution, mais va plus loin : les PSE doivent rémunérer des pratiques concrètes, dont l’effet positif sur l’environnement est avéré ; ils ne doivent pas rémunérer une simple limitation d’impacts négatifs – c’est le rôle des outils d’accompagnement au changement de système, comme les MAEC.
À ce titre il est essentiel, comme le signalent les auteurs de la proposition de résolution, que la mise en place des PSE ne signifie pas une diminution de l’enveloppe budgétaire des outils d’accompagnement à la transition.
Au regard des éléments ressortis, pour moi, de ce séminaire, cette proposition de résolution reste donc incomplète.
Au niveau budgétaire, la proposition de résolution ne s’engage pas sur la part qui devra être consacrée aux PSE : pour la plateforme avec laquelle nous avons travaillé, il faudrait, pour être efficace, mettre de l’ordre de 40 % du premier pilier au service de ce dispositif.
La plateforme propose également qu’une place soit accordée à l’agriculture biologique dans ces PSE. En effet, ce mode de production a des effets positifs avérés sur les écosystèmes. Le texte semble un peu timide sur ce plan.
Je trouve aussi que la proposition de résolution aurait dû avancer des pistes plus concrètes pour définir des pratiques ambitieuses méritant d’être rémunérées. Je pense au captage du carbone via le maintien des prairies permanentes en lien avec l’élevage à l’herbe, à un linéaire de haie bocagère important et aux pratiques de l’agroforesterie, sans oublier le maintien d’un couvert végétal permanent,…
Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Eh oui !
Joël Labbé. … sans utilisation de glyphosate, évidemment !
Songeons aussi à l’allongement des rotations de cultures diversifiées. À titre d’exemple, la réglementation appliquée en Suisse, qui nous a été présentée vendredi dernier, rend impossible la monoculture de maïs.
Le paiement pour des pratiques favorables au bien-être animal répondrait également à une attente sociétale forte. Au reste, ces pratiques sont le plus souvent efficaces sur le plan de l’environnement.
Un autre sujet important n’est pas abordé par la proposition de résolution : la nécessaire simplicité du système. Les contrôles PAC sont aujourd’hui une source d’angoisse pour les agriculteurs, qui n’en ont pas besoin. Une politique efficace doit susciter la confiance.
Rappelons aussi, monsieur le ministre, que nombre d’aides PAC n’ont pas encore été payées, notamment les aides bio et les MAEC.
Didier Guillaume, ministre. En effet !
Joël Labbé. Il s’agit, là aussi, d’une situation dont vous héritez ; mais il y a urgence à agir !
Malgré les limites que je viens d’exposer, cette proposition de résolution arrive au bon moment pour donner une impulsion sur le sujet. Si elle insiste sur l’importance de la mobilisation des syndicats agricoles, des collectivités territoriales et du Gouvernement, je souhaite ajouter à cette liste les citoyens et les ONG, qui ont un rôle à jouer pour peser sur les nécessaires changements de cap.
Enfin je voudrais rappeler l’idée avancée par Nicolas Hulot, que l’on n’a pas tout à fait oublié : pour réussir une politique agricole et alimentaire aboutie, un copilotage de la PAC entre les ministères de l’agriculture et de la transition écologique et solidaire serait une absolue nécessité.
Pour ma part, je voterai la proposition de résolution. Quant à la majorité des membres de mon groupe, où il y a toujours liberté de vote, ce qui est très respectable, elle prendra position en fonction de nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
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