Monsieur le Président, Monsieur le Ministre,
mes chers collègues,
Les voies navigables françaises forment le plus grand réseau européen. Elles sont le résultat de grands investissements depuis le XVIIe siècle et, si ce patrimoine est aujourd’hui en mauvais état, c’est en raison des choix qui ont été opérés.
Nous convenons tous qu’il y a urgence à rénover ce réseau et à le développer. Cependant, sous prétexte d’atteindre cet objectif et d’appliquer l’article 11 de la loi dite « Grenelle 1 », qui tend à faire passer la part du fret non routier et non aérien de 14 % à 25 % à l’horizon 2022 – ce qui suppose de sacrés efforts ! –…
M. Louis Nègre. On les fera !
M. Joël Labbé. … le Gouvernement propose d’opérer un regroupement des personnels, à savoir les salariés de l’établissement public Voies navigables de France et les agents des services de navigation de l’État.
Ce regroupement rappelle celui auquel a donné lieu la création de Pôle emploi et qui n’a pas vraiment fait la preuve de son efficacité ; c’est même le contraire que l’on a constaté, je tiens à le dire ici solennellement. En tant que maire de Saint-Nolff, dans le Morbihan, je reçois régulièrement des jeunes en recherche d’emploi qui ont absolument besoin d’un accompagnement individualisé. Or ils n’en bénéficient pas. Si cet accompagnement n’est pas assuré, ce n’est certes pas la faute des agents de Pôle emploi, dont les effectifs sont à l’évidence trop minces et qui, trop souvent, aujourd’hui, n’occupent que des emplois précaires.
Mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait que ce projet de loi n’apporte aucune garantie quant au maintien durable du nombre de salariés de cette nouvelle structure, la RGPP obéissant à une logique générale de suppression de postes dans les services publics.
En outre, ce projet de loi n’organise pas une décentralisation cohérente et efficace. L’État dit vouloir poursuivre la décentralisation, mais il la freine dans les faits : il transfère les compétences, mais pas les moyens financiers correspondants.
Cette nouvelle Agence nationale des voies navigables voit aussi ses missions considérablement élargies, souvent au détriment des collectivités. Elle pourra créer des filiales, prendre des participations dans des sociétés privées d’aménagement, groupements ou organismes, en vue de réaliser des opérations d’aménagement.
J’attire également votre attention sur le fait que les voies navigables sont classées en masses d’eau fortement modifiées, ou MEFM, dans le cadre de la directive-cadre sur l’eau. Or cette directive-cadre précise que le maintien en MEFM ne peut être justifié que si les voies présentent un intérêt économique ; dans le cas contraire, il convient de les classer en masses d’eau naturelles, avec obligation du rétablissement de leur bon état écologique. Il s’agira donc aussi de hiérarchiser les choix.
Faut-il favoriser l’essor du transport fluvial ? Oui, bien sûr,…
M. Louis Nègre. Bravo !
M. Joël Labbé. … mais sur les canaux qui s’y prêtent, car, sur les rivières canalisées, il convient aussi d’assurer la libre circulation de la faune aquatique et de mieux gérer les niveaux d’eau.
Je reviens un instant sur l’équilibre entre les différents modes de fret. Les avantages dont bénéficient les transports routiers – j’ai eu l’occasion d’évoquer ce sujet la semaine dernière –, et qui pénalisent fortement la pertinence des modes de transport alternatifs, ne sont pas admissibles. Les investissements en faveur du transport fluvial doivent être massifs, mais aussi s’inscrire dans le cadre d’une politique globale et cohérente de promotion du report modal. Il faut donc cesser d’envoyer des signaux contradictoires : je pense à l’autorisation de circulation des camions de 44 tonnes pour les produits agricoles et, avant la fin de 2012 – c’est une promesse du Président de la République ! –, pour les autres secteurs de l’économie; je pense aussi aux aides directes et indirectes au transport routier ou encore à la fiscalité avantageuse sur les carburants.
Derrière ces mesures, on sent tout le poids du lobby des transporteurs routiers !
Et que dire du lobby de l’agriculture intensive ? Mardi 11 octobre, un décret relevant les plafonds d’épandage d’azote est paru au Journal officiel.
M. Louis Nègre. Cela n’a rien à voir !
M. Joël Labbé. Il a été signé bien que les collectivités, notamment les collectivités bretonnes, en aient fortement contesté le bien-fondé et que la Commission européenne ait exigé de la France des explications sur sa politique de prévention des algues vertes.
Ce que nous constatons, en vérité, c’est bien la concrétisation de la déclaration que le Président de la République a faite voilà plusieurs mois devant les agriculteurs : « L’environnement, ça commence à bien faire ! »
M. Louis Nègre. Ce n’est pas ce qu’on trouve dans ce texte !
M. Thierry Mariani, Ministre. Et il n’a pas tout à fait dit cela !
M. Joël Labbé. J’ai entendu tout à l’heure Mme la Ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement présenter solennellement ce projet de loi comme un texte fondateur. Si elle est sincère, elle ne doit pas toujours se sentir très à l’aise au sein d’un gouvernement qui reste si bienveillant à l’égard des lobbies.
Monsieur le Président, monsieur le Ministre, mes chers collègues, les futurs gouvernements, quels qu’ils soient, devront se démarquer, se libérer de l’ensemble des lobbies, quelques intérêts qu’ils défendent.
À cet égard, 2012 sera une année charnière : il est temps que le politique reprenne enfin en main la politique, au service des territoires et des populations, en commençant par les plus démunies.
Le développement du fret fluvial est à l’évidence une priorité pour nous, écologistes. Néanmoins, le texte proposé est loin de nous satisfaire en l’état. Des amendements ont été déposés ; la discussion va suivre son cours. Elle nous permettra d’arrêter notre position au moment du vote final. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)