Monsieur le Président, Madame la Ministre,
Monsieur le Rapporteur, mes chers collègues,
Je rappelle à mes collègues qui siègent à la droite de cet hémicycle les procédés à la hussarde qui ont eu cours ici par le passé.
Mme Catherine Procaccia. Qu’en savez-vous ? Vous n’étiez pas encore sénateur ! (Rires sur les travées de l’UMP.)
M. Joël Labbé. Ils ont la mémoire courte !
M. Jean-Claude Carle. Si nous avons la mémoire courte, vous, vous n’avez pas de mémoire du tout !
M. Joël Labbé. Ce projet de loi concerne deux points importants : d’une part, la mobilisation du foncier et, d’autre part, le renforcement des obligations de production de logement social. Loin des effets d’annonce, il contient donc des mesures de fond.
Est-il besoin de vous rappeler ces quelques chiffres que nous venons d’apprendre ? Ces dernières années, la pauvreté s’est accrue dans notre pays de manière dramatique : 800 000 personnes supplémentaires sont ainsi passées sous le seuil de pauvreté en deux ans. (Eh oui ! sur les travées du groupe socialiste.) Désormais, plus de 14 % de la population disposent d’un niveau de vie inférieur à ce seuil,…
Mme Gisèle Printz. Grâce à qui ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. À cause de qui ?
M. Joël Labbé. … soit 8,6 millions de personnes, dont 3,3 millions d’enfants.
Cette pauvreté se traduit notamment par des difficultés de logement : selon la Fondation Abbé Pierre, 3,6 millions de personnes sont mal-logées en France et 10 millions sont touchées par la grande crise du logement.
Cette situation est due non seulement à l’insuffisance d’une offre locative accessible aux populations à faible revenu, mais aussi à une forme de crise du « vivre ensemble », laquelle provoque des attitudes de peur, voire de rejet à l’égard des populations pauvres ou différentes.
C’est sur ce plan que les collectivités publiques et les élus locaux doivent plus que jamais jouer pleinement leur rôle, avec volontarisme et responsabilité. Il s’agit de maintenir la cohésion sociale dans notre pays.
Aujourd’hui, le droit au logement, droit reconnu fondamental, opposable, impose à la collectivité, à toutes les collectivités, non plus une simple obligation de moyens, mais aussi, et surtout, une obligation de résultat, tout comme pour les droits à l’accès aux soins ou à l’accès à l’éducation. Voilà qui nous ramène aux principes fondamentaux énoncés par la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement […] ».
La loi du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement le confirmait dans son article 1er : « Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation. » Nous sommes au cœur du sujet !
L’État se devait de réagir, et de réagir vivement, pour garantir à tous de quoi vivre dignement, et en priorité aux plus faibles, aux plus modestes. Cette session extraordinaire montre que le Gouvernement s’est attelé à cette tâche : demain, en présentant un projet de loi créant les emplois d’avenir ; aujourd’hui, en proposant ce projet de loi qui n’en restera pas là, vous le savez, madame la ministre, car nous aurons à travailler sur le fond. Nous aurons à discuter des mesures indispensables contre la rétention foncière privée ou de la nécessité d’une forte taxation des plus-values sur les terrains privés urbanisables. Nous aurons donc de quoi débattre sur le fond dans un avenir prochain.
Madame la ministre, vous n’avez pas tardé à prendre en compte ce sujet fondamental, facteur de cohésion sociale, et avez engagé la France à donner un toit, contre un loyer décent, à ceux qui en ont le plus besoin. C’est une première réponse à la crise du logement. En effet, le logement n’est pas un produit de marché parmi d’autres : chacun doit avoir un toit selon ses besoins, chacun doit avoir un loyer selon ses revenus.
Nous continuons aujourd’hui un travail commencé en l’an 2000 par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, qui portait si bien son nom, et qu’il faut simplement parfaire et relancer. Cette loi créait une exigence de solidarité pour qu’aucune ville n’exclue plus les pauvres de son territoire ; elle proposait le modèle de la mixité sociale et non plus celui du ghetto, les riches d’un côté, les pauvres de l’autre.
Bien que malmenée par certaines villes et certaines communes – minoritaires, il faut le préciser –,…
M. Philippe Dallier. Vous êtes gentil !
M. Joël Labbé. … la loi a produit ses effets : le logement social s’est quand même développé, mais insuffisamment.
Après dix années au pouvoir des tenants de l’idéologie de « la France des propriétaires » – on s’en souvient encore ! –, la conséquence est une forte augmentation des prix de l’immobilier : ils n’ont jamais été aussi hauts alors que, dans le même temps, la pauvreté s’aggravait. Pire qu’une politique de laisser-faire, la politique menée a été inflationniste, elle a gonflé une bulle immobilière qui a surtout profité aux spéculateurs, avec, pour résultat, plus de 100 000 personnes chaque année vivant dans l’angoisse de se retrouver à la rue, doublement victimes, de la hausse des prix de l’immobilier, d’une part, et de la crise qui réduit leurs revenus, d’autre part. Il est devenu trop cher de se loger. Pour beaucoup, le logement social et ses loyers modérés sont devenus la seule solution pour échapper à la folie du marché.
Le logement social réalisé a rempli sa mission de solidarité : il a permis heureusement à des millions de personnes de résister à la crise, mais il manque encore plus d’un million de logements sociaux, comme l’ont dit plusieurs orateurs. L’objectif que vous avez fixé avec le Gouvernement, madame la ministre, pour pallier le retard, est de construire 150 000 logements sociaux chaque année. Vous pouvez compter sur notre soutien actif pour mener à bien cette politique humaniste d’intérêt national.
Le projet de loi que vous nous soumettez pose les bases de cette ambition, notamment en mobilisant le foncier public en faveur du logement.
Dans les zones tendues, où les prix sont trop élevés, mobiliser le foncier de l’État permettra à de nombreux projets de logements sociaux de sortir de terre. Ce coup de pouce nécessaire à la construction de logements sociaux au centre de nos villes permettra également de les densifier, d’en assurer la mixité sociale et d’éviter l’étalement urbain.
Cette mobilisation des terrains de l’État n’est pas un gaspillage, mais un investissement : la mise en construction de ces terrains permettra aussi, en partie, une relance du secteur du bâtiment, nécessaire en termes d’emplois et de recettes fiscales futures.
M. Pierre Hérisson. C’est vrai !
M. Joël Labbé. Le projet de loi renforce aussi les nécessaires pénalités financières demandées aux villes qui ne jouent pas le jeu de la mixité sociale et qui ont refusé de contribuer, jusqu’à présent, à la solidarité nationale – et ce ne sont pas les villes les plus pauvres !
Dans l’intérêt de toutes et de tous, nous, sénateurs et sénatrices écologistes, souhaitons voir réussir cette rentrée, c’est-à-dire que l’effort de construction de logements sociaux bénéficie en priorité à ceux qui en ont le plus besoin et que la mixité sociale devienne une réalité sur l’ensemble du territoire. Nous proposerons des amendements en ce sens, afin que la loi soit la plus juste possible, appliquée partout, dans la recherche de l’intérêt général. Nos amendements iront dans le sens d’une grande exigence, à la hauteur des enjeux.
Nous souhaitons également qu’il soit mis fin aux abus de certaines agences immobilières. En 2007, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes révélait que 77 % d’entre elles étaient en infraction. Il est nécessaire de combattre ces abus, notamment ceux des « agences de listes », ces « vraies-fausses » agences immobilières qui font payer entre 150 euros et 400 euros l’accès à une liste de petites annonces, sans garantie de résultat.
Nous demanderons au Gouvernement de lutter également contre la vacance des logements et des bureaux, réelle incohérence économique, sociale et écologique. Il est temps d’en finir avec la spéculation immobilière qui rend plus rentable un immeuble vide qu’un immeuble loué et habité. Il est inconcevable, en ces temps de crise du logement, que la recherche égoïste du profit fasse monter les prix et descendre à la rue les ménages.
Je souhaite que l’État s’empare aussi, si nécessaire, de cet outil qu’est la réquisition, afin de faire baisser les prix. Cet outil régulateur permettra aux spéculateurs de renouer avec des profits modestes, mais stables et suffisants. Les professionnels de l’immobilier doivent redevenir des investisseurs utiles à la société, dont la fonction est de loger et non de spéculer.
Il faudra aussi interdire, à terme, les ventes à la découpe qui poussent des locataires louant le même appartement depuis des années à déménager car ils n’ont pas les moyens d’acheter le logement qu’ils louent et qu’un spéculateur veut vendre pour empocher ses profits.
L’encadrement des loyers, enfin, est attendu avec impatience par des millions de locataires, notamment les plus jeunes, qui payent des loyers beaucoup plus lourds que leurs aînés.
Les associations de l’hébergement et du logement, la Fondation Abbé Pierre, Droit au logement, ou encore Jeudi noir qui a réquisitionné aujourd’hui, en plein Paris, un des nombreux immeubles vacants, nous rappellent qu’il faut « un toit pour vivre », et non pour survivre !
Au-delà de ce texte qui répond à une véritable urgence, il faudra, dans un futur proche, faire évoluer la législation pour qu’elle s’adapte à la demande croissante de logements alternatifs, certes très minoritaire, mais qui va grandissant, répondant aux attentes de cette population qui choisit de vivre autrement, dans des logements dont l’impact est très faible sur l’environnement, mais qui ne trouvent pas leur place dans les règles d’urbanisme. Il faudra aussi répondre à une autre attente minoritaire également, celle des jeunes agriculteurs qui souhaitent s’installer autrement : ils doivent pouvoir bénéficier de logements implantés dans des zones agricoles. Enfin, très rapidement, il faudra trouver des solutions à l’immense douleur provoquée par l’attente des personnes en situation de demande d’asile.
L’abbé Pierre disait : « On ne peut pas, sous prétexte qu’il est impossible de tout faire en un jour, ne rien faire du tout ». Madame la ministre, mes chers collègues, le chantier du logement est vaste et long : nous ne ferons pas tout en un jour, mais nous réamorçons aujourd’hui une véritable politique publique du logement, tant attendue. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – Mme Mireille Schurch applaudit également.)