Projet de loi de finances pour 2015

Mission « Agriculture »

« Monsieur le Ministre, lancez un vaste débat public national, afin que soit choisie par le peuple français l’agriculture que nous souhaitons ! »

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne vais ni vous inonder de chiffres ni commenter chaque ligne budgétaire. Je vais insister sur certains points qui sont particulièrement importants pour nous, écologistes.
Mon propos sera ciblé. Ce ne sera pas une surprise pour vous. Vous savez bien quel modèle d’agriculture nous souhaitons, non par idéologie ou dogmatisme, mais au nom de convictions fortes et de plus en plus affirmées !
L’année 2014 aura été l’année de la loi d’avenir agricole. Ce projet de loi de finances pour 2015 se devait de traduire les nouvelles orientations de la France vers l’agroécologie. Nous constatons des signes positifs. Nous tenons à les souligner.
À ce titre, on ne peut qu’apprécier la revalorisation du plafond de dépenses du CASDAR par l’affectation de la totalité de la taxe sur le chiffre d’affaires des exploitants agricoles. Ce compte, dont l’objet est de répondre aux enjeux liés à l’innovation et à la transition agroécologique, notamment par l’accompagnement des actions de recherche appliquée, voit ses crédits augmenter jusqu’à un plafond de dépenses de 22 millions d’euros, ce qui est appréciable.

Autre point positif à nos yeux, l’augmentation de 17 % du budget de l’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique, avec pour objectif, comme vous l’avez affirmé, monsieur le ministre, de doubler les surfaces cultivées en bio à l’horizon 2017. En outre, le« Fonds avenir bio », doté de 4 millions d’euros pour 2015 et géré par cette agence, devra concourir au décollage du programme « Ambition bio 2017 ».

Cependant, le simple objectif de doublement des surfaces pour 2017 est, à nos yeux, insuffisamment ambitieux. Vous le verrez, une fois la transition amorcée véritablement, le développement de l’agriculture bio suivra une évolution exponentielle !
Lors de l’examen du texte sur l’agriculture, nous avions plaidé avec force pour la reconnaissance des organismes nationaux à vocation agricole et rurale, les ONVAR, comme partenaires privilégiés de la mise en œuvre de la transition vers les pratiques agroécologiques. Les ONVAR, qui ont été pionniers dans ce domaine, voient leurs crédits pour alimenter les appels à projets, multipliés par sept. Toutefois, il va falloir veiller à la mise en œuvre du dispositif ; j’y reviendrai.

En matière de sécurité sanitaire, vous annoncez le renforcement des moyens à l’ANSES. C’était nécessaire. Mais est-ce que ce sera suffisant ?

Ce sera suffisant si, en cohérence avec les orientations agroécologiques, beaucoup de produits phytosanitaires pesticides chimiques sont interdits… avec le retour en force de l’application des principes de l’agronomie, pratiquée par les agricultures alternatives, notamment biologiques.

Mais ce ne sera pas suffisant si on ne contraint pas la poursuite des pratiques agrochimiques. L’ANSES sera alors encore réduite à courir derrière les autorisations de mise sur le marché et derrière le nécessaire suivi post-AMM. Les firmes sont beaucoup plus avancées, avec beaucoup plus de moyens, qui leur permettent de contourner les agences publiques, françaises ou européennes.

Je l’affirme une fois encore, l’agrochimie ne peut pas se conjuguer avec l’agroécologie ! J’y reviendrai dans quelques instants.

En outre, dans ce projet de loi de finances pour 2015, vous accordez une grande importance à l’enseignement agricole et à la recherche dans le domaine agricole. Vous annoncez la priorité en faveur de la jeunesse et de la formation ? On signe ! Vous créez des postes supplémentaires sur l’enseignement technique et sur l’enseignement supérieur ? On signe aussi !

M. Jean Desessard. Oui !

M. Joël Labbé. Mais ces moyens supplémentaires doivent être au service d’un enseignement qui, lui aussi, fait sa transition. Pour le moment, les méthodes et les orientations qui sont enseignées sont encore très majoritairement celles de l’agriculture conventionnelle. S’il y a des évolutions, nous n’avons encore changé ni de culture ni de modèle ! La formation des enseignants reste une nécessité.
Idem pour la recherche. Les moyens mis en œuvre pour faire évoluer les pratiques agricoles vers un modèle agroécologique, notamment biologique, sont très déséquilibrés par rapport à la recherche productiviste.
Au demeurant, les besoins croissants en financements privés rendent la recherche de plus en plus dépendante. Nous le savons bien, les financeurs sont ceux qui en ont les moyens. Or ceux-là ne sont jamais désintéressés !
La recherche appliquée, participative et collaborative mérite d’être développée. Tout à l’heure, j’évoquerai de récents travaux menés par l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, dont les conclusions sont particulièrement riches d’enseignements.
L’emploi direct agricole continue de baisser en raison d’un renouvellement des générations insuffisant et de l’agrandissement des exploitations. La réforme des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les SAFER, qui les dotera d’une gouvernance élargie tout en réaffirmant la priorité à l’installation, devrait pouvoir y remédier. Ces nouvelles SAFER devront se poser aussi comme un barrage, ou plutôt comme un rempart…

M. Gérard César, rapporteur pour avis. Une « retenue collinaire » ! (Sourires.)

M. Joël Labbé. … face à la financiarisation de l’agriculture !
Il reste un point essentiel à travailler au sujet du droit des SAFER, celui du droit de préemption sur les parts de sociétés. Il faut absolument trouver une solution, afin que les investisseurs n’aient plus les moyens de contourner la volonté politique pour s’approprier les terres et pour se les accaparer. J’avais déposé un amendement sur le sujet. Il s’est encore fait bouler pour cause d’irrecevabilité. Mais je recommencerai dès que je pourrai.
L’agriculture familiale doit être préservée. Elle a été très pourvoyeuse d’emplois. Elle peut, elle doit pouvoir le redevenir. Ce secteur de l’agriculture familiale profite trop peu du soutien public au regard des aides accordées, notamment par l’allégement des charges sociales et fiscales, que ce soit aux productions agricoles, à plus de 1,6 milliard d’euros, ou aux coopératives agricoles et industries agroalimentaires, là aussi à hauteur de près de 1,6 milliard d’euros.
Une partie de l’agriculture familiale est en grande souffrance, dans un grand silence. Il faut trouver les moyens de la soutenir. C’est cette agriculture-là qui est porteuse d’avenir. Voilà les signes, voilà les chiffres, voilà les intentions ! La pratique va devoir se mettre à la hauteur.
Je devais parler du plan « Ambition bio 2017 », mais j’aurai d’autres occasions de le faire.
Je vais vous indiquer notre position par rapport au vote. Certains imagineront sans doute que, avec de telles réserves, les écologistes ne voteront pas les crédits de la mission…(Exclamations amusées.)

M. Didier Guillaume. Non !

M. Joël Labbé. Eh bien si : nous les voterons ! (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste. – Marques d’ironie sur les travées de l’UMP.) Il s’agit pour nous de reconnaître la volonté du ministre de l’agriculture de faire bouger les lignes …

M. Didier Guillaume. Il le fait !

M. Joël Labbé. … et de nous engager à continuer à travailler en relation avec lui, avec ses services, avec ceux du ministère de l’écologie, donc avec le Gouvernement !

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Joël Labbé. Cependant, nos exigences croîtront de manière exponentielle, suivant la même courbe que celle de la demande de la population en alimentation locale de qualité !
J’intitulerai la seconde partie de mon propos :« autres considérations ».(Exclamations amusées.) Elles n’ont pas grand-chose à voir avec le projet de loi de finances pour 2015, mais elles sont importantes pour les futurs budgets.
Demain, le 5 décembre, c’est la Journée mondiale des sols. À cette occasion, ma collègue députée écologiste Brigitte Allain reçoit un colloque à l’Assemblée nationale sur « les services rendus par les sols » ; j’y interviendrai. La poursuite de la croissance insensée nous a conduits à nous préoccuper de la qualité de l’eau, de l’air et des océans sans pouvoir vraiment remédier à leur dégradation et au réchauffement climatique.
Aujourd’hui, on se rend compte bien tardivement que les sols sont, eux aussi, bien mal en point. Enfin, on reparle de la vie des sols, de la vie de la terre nourricière ! Les sols sont vivants ! La vie fait le sol, et le sol fait la vie !

Mme Sophie Primas. Très bien !

M. Joël Labbé. Les sols nous nourrissent ! Ils portent la biodiversité. Ce sont des puits de carbone extraordinaires qui nous préservent des dérèglements climatiques.
Les sols sont mis à mal par l’artificialisation,…

M. Aymeri de Montesquiou. Néologisme !

M. Joël Labbé. … mais aussi par la mortification. Les pesticides utilisés en agrochimie productiviste ont une lourde part de responsabilité. Monsieur le ministre, j’ai apprécié l’intérêt que vous avez manifesté la semaine dernière à l’égard d’un maillon irremplaçable de la vie des sols : le vers de terre.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Oui !

M. Joël Labbé. Les vers de terre vont très mal, comme les abeilles et les autres pollinisateurs, comme les micro-organismes du sol, mais aussi comme les oiseaux insectivores !
L’agriculture productiviste utilise beaucoup ces pesticides, notamment – le nom est presque imprononçable – les néonicotinoïdes. Nous en débattrons dans cet hémicycle le 4 février prochain. J’espère bien que nous trouverons une majorité pour voter notre proposition de résolution. Si l’agriculture productiviste agrochimique utilise beaucoup ces néonicotinoïdes, l’agriculture biologique, elle, n’en use pas du tout !

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Joël Labbé. Monsieur le ministre, je vous fais une proposition cash : faites mener une étude évaluant les aménités apportées par l’agriculture biologique et une autre évaluant les externalités négatives de l’agriculture productiviste en termes de qualité de l’eau, de l’air, des sols, de biodiversité, de santé publique et de dérèglement climatique, puis lancez un vaste débat public national pour que le peuple français puisse choisir son modèle agricole et alimentaire !
Vous êtes un grand ministre de l’agriculture.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Par la taille ! (Sourires.)

M. Joël Labbé. Mettez cela en œuvre et vous entrerez dans l’Histoire !( Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

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