Mardi 5 mars 2019, le Sénat a examiné, à la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi visant à améliorer la lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux, présentée par M. Bruno GILLES (Les Républicains – Bouches-du-Rhône) et plusieurs de ses collègues du groupe Les Républicains.
Cette proposition de loi vise à améliorer les dispositifs en vigueur en matière de lutte contre l’habitat dangereux ou insalubre, au travers de trois axes :
- un renforcement des capacités de contrôle et d’intervention des collectivités territoriales en matière de logements insalubres ou dangereux ;
- une accélération des réponses aux situations d’insalubrité et de dangerosité des immeubles ;
- un renforcement des sanctions contre les marchands de sommeil.
En séance publique, les sénateurs ont adopté une motion de renvoi en commission, présentée par Mme Dominique ESTROSI SASSONE (Les Républicains – Alpes-Maritimes), rapporteur au nom de la commission des affaires économiques. Les sénateurs ont suivi l’avis de la commission qui a estimé que cette proposition de loi « propose des solutions pertinentes à un problème qui doit être considéré comme une priorité nationale » mais qui a cependant « jugé nécessaire de poursuivre sa réflexion et d’approfondir l’analyse des dispositions de la proposition de loi en menant des auditions et des déplacements complémentaires », notamment afin « d’examiner la nécessité et la faisabilité d’autres dispositifs visant à simplifier les procédures en matière d’habitat indigne » et « d’étudier les dispositifs de prévention ».
Conformément à l’article 44 du règlement du Sénat, les débats ont été suspendus jusqu’à présentation d’un nouveau rapport par la commission des affaires économiques.
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Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer l’initiative de notre collègue Bruno Gilles et le travail mené avec ténacité, comme à l’habitude, par Mme Estrosi-Sassone.
Cette proposition de loi aborde un sujet essentiel qui concerne un droit fondamental, le droit de chacun à vivre dignement.
L’habitat insalubre est en France un véritable fléau, dont l’ampleur a de quoi interpeller. On estime en effet à 600 000 le nombre de logements indignes et insalubres en France et à plus de 1 million le nombre de personnes concernées.
Or l’habitat indigne rend malade, isole, exclut et peut aussi tuer, comme on l’a vu récemment à Marseille. Un tel drame peut aussi arriver ailleurs, car c’est l’ensemble de notre territoire, en métropole comme dans les outre-mer, qui est concerné par l’habitat indigne ou dangereux.
Il faut rappeler que plus de 20 % de ces logements se situent dans les territoires ruraux – ce chiffre m’a frappé. Ces territoires ne doivent pas être oubliés, la crise actuelle nous le rappelle.
Face à ce constat, ce texte propose des réponses, notamment en matière de lutte contre les marchands de sommeil, en visant à compléter et à renforcer des dispositions de la loi ALUR, de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté et de la loi ÉLAN, ce qui va évidemment dans le bon sens. Il prévoit en particulier le durcissement des dispositifs du permis de louer et du permis de diviser ou le renforcement de la possibilité, pour les associations, de se porter parties civiles.
Mais il faut aller plus loin encore. Le groupe du RDSE est favorable au renvoi de ce texte à la commission, qui nous permettra de poursuivre la réflexion sur ce sujet éminemment technique et complexe, mais aussi profondément humain. S’il est urgent d’agir, il faut également, devant des enjeux d’une telle gravité, prendre le temps d’approfondir la réflexion pour gagner, à terme, en efficacité.
Mais il faut aussi replacer ce sujet dans un contexte global de crise du logement. En effet, de nombreuses personnes se trouvent conduites à accepter des logements indignes faute d’une offre de logement social suffisante. S’il faut sanctionne les marchands de sommeil, il faut aussi prévenir les difficultés, grâce à une offre de logement adaptée aux possibilités des personnes précaires et en difficulté.
Selon la Fondation Abbé Pierre, l’explosion du coût des loyers dans le parc privé décent et le déficit de logements sociaux amènent le parc privé dégradé à jouer le rôle d’un parc social de fait pour des ménages contraints d’y vivre.
Dans ce cadre, les dispositions budgétaires récemment adoptées sont à déplorer, notamment la baisse des APL ou la disparition de l’APL accession, qui permettait à un public fragile de financer des travaux.
De même, on peut s’inquiéter de certaines mesures de la loi ÉLAN relatives à la vente de logements sociaux, à la fusion des organismes d’HLM ou encore au recul de l’encadrement des loyers.
Se pose également la question des moyens pour financer la lutte contre l’habitat indigne. Mettre en place un arsenal juridique, notamment des mesures répressives, ne suffit pas : il faut des moyens pour mener cette politique de manière ambitieuse.
En particulier, les moyens de l’Agence nationale de l’habitat doivent être renforcés. La Fondation Abbé Pierre estime que les objectifs de cette agence, à savoir la rénovation de 10 000 à 15 000 logements par an, sont bien trop peu ambitieux au regard du stock des 600 000 logements indignes identifiés.
Le financement de ces actions pose, selon moi, la question de la fiscalité carbone. Je le sais, cette fiscalité n’a pas aujourd’hui bonne presse. Le contexte pousse d’ailleurs fortement à éviter le sujet. Je ne suis pas d’accord : la mise en place d’une fiscalité carbone lisible, juste et efficace, destinée à financer des mesures favorisant une véritable justice sociale, est plus que nécessaire et urgente. C’est un outil qui doit nous permettre de répondre aux enjeux de la transition écologique et sociale, notamment dans le domaine du logement. En effet, la lutte contre l’habitat indigne est aussi une lutte contre la précarité énergétique, véritable fléau qui touche aujourd’hui 5,6 millions de foyers.
Là encore, il nous faut consacrer bien plus de moyens et faire preuve de bien davantage d’ambition pour la rénovation thermique des bâtiments. En renforçant les plans de rénovation énergétique, nous créerions des milliers d’emplois dans ce secteur. C’est grâce à ce type de mesures, alliant justice sociale et impact économique et environnemental vertueux, que nous pourrons concilier les demandes légitimes de progression du pouvoir d’achat avec la nécessité de limiter notre consommation énergétique.
Il nous faut, eu égard à l’urgence sociale et environnementale, lancer un grand programme d’investissements publics écologiques, dont le coût ne serait pas pris en compte au titre des 3 % de déficit budgétaire autorisés par l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
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