Politique énergétique


PROPOSITION DE RÉSOLUTION relative à une nouvelle politique énergétique et à un codéveloppement durable et solidaire dans l’océan Indien,
Enregistrée à la Présidence du Sénat le 3 juin 2014


 

Présentée par MM. Paul VERGÈS, Raymond VALL, Mmes Leila AÏCHI, Aline ARCHIMBAUD, Éliane ASSASSI, Marie-France BEAUFILS, Esther BENBASSA, MM. Michel BILLOUT, Jean BIZET, Mme Marie-Christine BLANDIN, MM. Éric BOCQUET, Jean-Pierre BOSINO, Mmes Corinne BOUCHOUX, Laurence COHEN, M. Jacques CORNANO, Mme Cécile CUKIERMAN, M. Ronan DANTEC, Mmes Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, M. Jean DESESSARD, Mme Évelyne DIDIER, MM. Christian FAVIER, Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, André GATTOLIN, Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN, M. Robert HUE, Mlle Sophie JOISSAINS, Mme Chantal JOUANNO, MM. Joël LABBÉ, Serge LARCHER, Robert LAUFOAULU, Pierre LAURENT, Gérard LE CAM, Jacky LE MENN, Michel LE SCOUARNEC, Mme Isabelle PASQUET, MM. Georges PATIENT, Jean-Vincent PLACÉ, Mmes Mireille SCHURCH, Esther SITTLER, MM. Thani MOHAMED SOILIHI, Maurice VINCENT, Dominique WATRIN, Sénateurs.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La réunion de Paris en 2015, de la 21ème Conférence des Parties à la convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (COP21) et de la 11ème session de la réunion des parties au protocole de Kyoto est la dernière étape – et la dernière chance -d’arriver à un accord mondial sur une stratégie et un plan d’action visant à remplacer les accords de Kyoto.

De nombreux enjeux se posent sur cette rencontre, compte tenu des échecs relatifs des sommets de Copenhague, Cancun, Durban, Doha et Varsovie. De plus, cette rencontre est d’une importance capitale, après la publication des conclusions des rapports du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et celle de l’étude des États-Unis, relatives à la gravité de la situation et l’urgence à prendre des mesures afin d’atténuer les effets des changements climatiques.

Compte tenu de cela, nous pensons que la puissance invitante, la France, peut prendre des initiatives concrètes. Parmi ces initiatives, l’une concerne les îles de la commission de l’Océan Indien (COI) : pour l’instant, la commission de l’Océan Indien est composée de Madagascar, Maurice, les Comores, les Seychelles, La Réunion. Les Îles Maldives ont fait part de leur intention d’intégrer ce groupement. Le Sri Lanka a pris des contacts dans ce sens.

Ces îles sont toutes confrontées aux problèmes qui vont se poser dans ce 21èmesiècle.

En premier lieu, il s’agit de la question de la mer et des océans. Il convient d’abord de rappeler que le domaine maritime français, dans cette partie du monde, est extrêmement vaste, surtout si l’on prend en compte les terres australes et antarctiques françaises. Le 21ème siècle est celui de l’espace et de la mer. Comme le souligne le rapport du conseil économique, social et environnemental (Quels moyens et quelle gouvernance pour une gestion durable des Océans ? Catherine CHABAUD), les océans recouvrent 71 % de la surface de la Terre. Ils contiennent 98 % de ses ressources hydriques. Selon l’organisation des Nations unies, plus de 2,6 milliards d’êtres humains dépendent principalement des océans pour leurs besoins en protéines. Plus de 2,8 milliards de personnes vivent à moins de 100 kilomètres de leurs côtes. L’auteure poursuit :« La maritimisation du monde est en marche, mais l’ampleur des impacts subis par les océans ne cesse d’inquiéter. Les quatre grandes pressions qui s’exercent sur le milieu marin sont clairement identifiées : la destruction des habitats et des écosystèmes, la surexploitation de la ressource, la dissémination des espèces et le changement climatique global ».

La très sérieuse revue Natureannonçait que les écosystèmes de la planète pourraient connaître un effondrement total et irréversible d’ici 2100. En effet, l’environnement, sous l’effet des dégradations causées par l’homme, pourrait franchir un point de non-retour avant la fin du siècle. « Le prochain changement pourrait être extrêmement destructeur pour la planète. Une fois que le seuil critique sera dépassé, il n’y aura plus de possibilité de revenir en arrière ». D’après l’étude menée, ce seuil correspondrait à l’utilisation de 50 % des ressources terrestres. Or, aujourd’hui, 43 % des écosystèmes terrestres sont déjà utilisés pour subvenir aux besoins des hommes. Les taux d’extinction des espèces atteignent des sommets : de 10 à 100 fois le rythme naturel d’extinction constaté par les scientifiques sur une période de 500 millions d’années, alors qu’il pourrait être bientôt 10 000 fois supérieur. Et les émissions de CO2 ont augmenté de 35 % depuis l’ère préindustrielle du fait de la combustion d’énergies fossiles.

Selon Greenpeace, aujourd’hui, au niveau mondial, 80 % des poissons sont surexploités ou au bord de la surexploitation.« Pour les différentes espèces de thon, pour le cabillaud, l’espadon et les requins, la situation est encore pire. Il y a trop de bateaux et plus assez de poissons. Au rythme actuel, les océans pourraient être vides de poissons dès 2048 ».

C’est un constat encore plus alarmant pour l’océan Indien, où 90 % des prises dans cet océan sont effectuées par des flottes n’appartenant pas aux pays riverains. Alors que, dans le même temps, ces pays sont confrontés à une immense insécurité alimentaire, s’ajoutant à un niveau de développement très faible.

Ainsi, la question de la gouvernance des océans, la question de la gestion rationnelle et raisonnée des ressources halieutiques trouve, dans l’océan Indien, un champ d’application favorable.

En second lieu, il s’agit de l’énergie. Toutes les îles sont dépendantes de l’extérieur, pour leur approvisionnement énergétique, que ce soit en pétrole, en gaz ou en charbon. Il y a là d’une part, un facteur d’insécurité sur l’approvisionnement, d’autre part, un coût extrêmement élevé pour ces importations. Mais dans le même temps, du fait de leur position géographique, ces îles bénéficient de tous les éléments nécessaires pour parvenir rapidement à l’autonomie énergétique. Au niveau des énergies renouvelables, elles possèdent des gisements produisant de l’énergie en permanence (les énergies de la mer, la géothermie, l’hydraulique) ou de l’énergie intermittente : éolienne (alizés) ; solaire ; biomasse.

Ainsi, toutes les îles ont des atouts pour atteindre l’autonomie énergétique et éliminer l’importation d’énergies fossiles. Outre le gain financier, l’impact sur les émissions de gaz à effet de serre est considérable. Pour mémoire, rappelons les déclarations du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le réchauffement observé au cours des cinquante dernières années est bien dû aux activités humaines. Les émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines continuent d’altérer l’atmosphère d’une manière qui affecte le climat. Environ trois-quarts des émissions humaines de CO2 au cours des vingt dernières années sont dues à la combustion d’énergies fossiles. Le reste est essentiellement dû au changement dans l’utilisation des terres, notamment à la déforestation. Pour maîtriser l’augmentation des températures, il faut, rappelle le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) ; la réduction est conséquente : de 40 à 70 % d’ici à 2050.

Le Conseil économique, social et gouvernemental national, dans un rapport (les énergies renouvelables outre-mer : laboratoire pour notre avenir – Patrick GALENON – juillet 2011), rappelait que l’outre-mer contribue pour une part importante à la position privilégiée de la France sur la scène internationale au regard des enjeux environnementaux. Mais l’outre-mer est également un laboratoire pour un nouveau modèle de développement où la croissance économique doit servir le progrès social.

Les outre-mer ont su valoriser des atouts qui n’existent pas en Europe, ni dans les pays développés. Enfin, les énergies renouvelables outre-mer sont porteuses d’enjeux industriels, et peuvent être une vitrine nationale pour l’export et un facteur d’aide au développement. Le rapport précisait :« Le partenariat dans le domaine de l’énergie photovoltaïque entre La Réunion et Maurice pourrait être le premier d’une série permettant aux entreprises françaises de se positionner davantage sur l’export ».

En troisième lieu, il s’agit de la transition démographique. C’est un phénomène commun à l’Asie, à l’Amérique du Sud et à l’Afrique, notamment dans l’océan Indien.

À La Réunion, île de dimension modeste (2 500 km2), par exemple, la population était, en 1946 de quelques 240 000 personnes. Aujourd’hui, elle est de 850 000 personnes ; et dans une quinzaine d’années, cette population atteindra un million d’habitants.

C’est aussi le cas de Madagascar, dont la population était évaluée par les autorités coloniales, en 1946, à 4 millions d’habitants. Aujourd’hui, la population est évaluée à 25 millions. Selon les prévisions de l’organisation des Nations unies et celles de l’Institut national d’études démographiques, à l’horizon 2050, cette population sera de plus de 55 millions d’habitants. 2050 : c’est dans une génération !

Cette question de la transition démographique va obligatoirement avoir des conséquences directes, qu’il faudra bien prendre en compte : l’autonomie alimentaire, la santé, l’éducation, des classes élémentaires à l’université ; le logement ; l’emploi ; les infrastructures de transports etc. Et bien sûr, la question de l’énergie. Car, sur le plan du développement durable, la question de la maîtrise de l’énergie est un élément décisif.

Ces trois problèmes vont se poser à toutes les îles. Celles de l’océan Indien comprises.

Il convient aussi de rappeler que l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC) a déjà engagé un programme de coopération avec les îles de l’océan Indien. Ce programme pourrait, pour les années à venir, être développé encore plus profondément, et renforcer les voies de coopération et de codéveloppement déjà explorées.

Enfin, la France est présente dans cet océan, grâce à La Réunion et à Mayotte. La France peut donc jouer un rôle essentiel, notamment dans le cadre de la 21ème Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP 21) et de la 11ème session de la réunion des parties au protocole de Kyoto, événements qui se dérouleront à Paris, à l’automne 2015.

Une initiative pourrait être donc prise par la France, dans le domaine du développement durable, à partir de ce bassin de population des îles du Sud-Ouest de l’océan Indien (près de 60 millions de personnes proches de la francophonie).

En tant que sénateur de La Réunion, et en référence à une procédure déjà employée par le Sénat, lors de la création de l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC) en février 2001 – initiative qui avait suscité l’adhésion de toutes les sénatrices et de tous les sénateurs – je soumets cette proposition de résolution à votre appréciation.

J’émets le voeu que cette initiative suscite à nouveau l’unanimité au Sénat. Cela permettrait de concrétiser une initiative concrète, réalisable et significative à la veille du sommet de Paris 2015. Enfin, cette initiative commune serait le message adressé à toutes les populations et à tous les peuples de cette zone Océan Indien : un objectif défini peut être ratifié par tous les secteurs de l’opinion publique et toutes les collectivités, de la pyramide institutionnelle, depuis les collectivités locales jusqu’au sommet de l’État.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu les articles 1er à 6 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,

Vu le chapitre VIII bis du Règlement du Sénat,

Vu le plan d’action sur la politique énergétique européenne adopté par le Conseil européen des 8 et 9 mars 2007,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables ;

Vu l’alinéa 1er de l’article 2 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l’environnement, dite loi « Grenelle 1 », qui fixe la lutte contre le changement climatique au premier rang de ses priorités,

Considérant un contexte de raréfaction des ressources fossiles ;

Considérant la croissance des besoins énergétiques ;

Considérant les défis du réchauffement climatique ;

Considérant que l’augmentation des températures de plus de 2° C exposera la planète à des risques majeurs irréversibles : élévation du niveau de la mer provoquant l’inondation des zones côtières, la destruction d’écosystèmes, la récurrence de période de sécheresse, la baisse de la ressource en eau potable, l’augmentation du nombre des cyclones, des typhons et des ouragans, la recrudescence de maladies infectieuses ;

Considérant que ces bouleversements climatiques s’accompagneront de la migration de populations;

Considérant que l’augmentation des émissions des gaz à effet de serre dans l’atmosphère entraînera la disparition de certaines espèces animales ou végétales ;

Considérant que, dans le cadre de ses engagements internationaux et européens et à la suite du Grenelle de l’environnement, la France s’est fixé, à l’horizon 2020, des objectifs ambitieux en matière d’amélioration de l’efficacité énergétique et de développement de la part des énergies renouvelables dans la production d’énergie ;

Considérant que la recherche de l’autonomie énergétique et l’efficacité énergétique sont une priorité, notamment pour réduire la dépendance de la France et des outre-mer à l’égard des importations d’énergie fossile ;

Considérant les stratégies mises en place dans le cadre de la transition énergétique ;

Considérant que la lutte contre la précarité énergétique est une priorité sociale ;

Considérant que les actions contribuant à l’efficacité énergétique ont une conséquence notable sur le pouvoir d’achat des ménages ;

Considérant l’avance de la France dans le secteur de la recherche en matière d’énergies renouvelables ;

Considérant l’expertise développée en matière d’énergie par les collectivités territoriales notamment d’outre-mer ;

Considérant les débats qui se sont déroulés au Conseil économique, social et environnemental au sujet des énergies renouvelables et plus particulièrement les énergies renouvelables outre-mer ;

Considérant que la crédibilité sur la scène internationale, en matière de lutte contre le changement climatique, dépendra largement de la capacité à réussir la 21ème Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP21) et la 11ème session de la réunion des parties au protocole de Kyoto.

Préconise une prise en compte des réalisations menées outre-mer en général et dans la zone Océan Indien en particulier, en matière de politique de maîtrise de la consommation d’énergie ;

Invite le Gouvernement à faire preuve d’ambition et à porter à la connaissance des pays participant à cette conférence, les expérimentations réussies menées dans les outre-mer ;

En conséquence, souhaite que les initiatives nécessaires soient prises par la France / Réunion auprès de ses partenaires au sein de la Commission de l’océan Indien, pour que soit élaboré et proposé à la Conférence de Paris en 2015, un plan solidaire de développement durable pour la recherche, l’innovation et l’activité économique, sociale et culturelle, dans le respect des principes et des projets préconisés par le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat et la préparation de la Conférence de Paris.

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