BASTAMAG – Par Sophie Chapelle /
Six ans après le lancement du plan Ecophyto, le gouvernement fait face à un échec cuisant. Le recours aux pesticides a augmenté de plus de 10 % entre 2009 et 2013, alors que le plan a pour objectif de diminuer de moitié l’usage de pesticides d’ici à 2018. La France demeure le troisième consommateur mondial de ces produits toxiques, derrière les États-Unis et le Japon. Malgré la difficile désintoxication, des parlementaires souhaitent instaurer un moratoire sur les pesticides de la famille des néonicotinoïdes, des insecticides parmi les plus néfastes pour la faune, en particulier les abeilles.
Initiée par le sénateur écologiste Joël Labbé et le député socialiste Germinal Peiro, une proposition de résolution doit être examinée ce 4 février au Sénat [1]. Elle a déjà été signée par 182 députés et sénateurs de tous bords. Elle invite le gouvernement français à agir auprès de l’Union européenne pour obtenir un moratoire européen sur l’ensemble des pesticides néonicotinoïdes « tant que les risques graves sur l’environnement et la santé humaine ne seront pas écartés ».
Risque élevé pour les abeilles
Présents sur le marché français depuis 1994, les néonicotinoïdes sont une famille d’insecticides agissant sur le système nerveux central des insectes. En mai 2013, la Commission européenne a restreint l’usage de trois néonicotinoïdes [2]. Cette décision est intervenue à la suite de plusieurs avis de l’agence européenne de sécurité des aliments, constatant les risques élevés de ces substances pour les abeilles (lire notre précédent article). Néanmoins, ces produits restent utilisés sur de très larges surfaces, car les restrictions ne concernent ni les céréales d’hiver ni les traitements en pulvérisation après floraison.
Les partisans du moratoire demandent « que la restriction de l’utilisation des molécules néonicotinoïdes aille plus loin ». Ils s’appuient notamment sur les travaux d’une évaluation mondiale réalisée à l’échelle de 15 pays par un groupe de 24 experts internationaux [3]. Celle-ci démontre que ces néonicotinoïdes ont des effets bien plus larges que sur les seuls insectes pollinisateurs. L’ensemble de la faune du sol, de l’air et des eaux est touchée. Cette évaluation pointe leur persistance pendant des mois voir des années, en particulier dans les sols, ce qui augmente leurs impacts toxiques sur les invertébrés comme les vers de terre.
Plusieurs ONG (Greenpeace, la Fondation Nicolas Hulot, Générations Futures) et organisations syndicales (l’Union nationale de l’apiculture française et la Confédération paysanne) appuient cette proposition de moratoire. Une pétition est également en ligne. Joël Labbé a par ailleurs demandé à ce que le vote se déroule à scrutin public afin que les sénateurs votent « en leur âme et conscience » [4]. Pour lui « les politiques doivent reprendre la main » sur « les puissances économiques » et les grandes entreprises d’insecticides. Espérons que cette proposition connaîtra un autre destin que celle sur le « devoir de vigilance » des entreprises multinationales, qui a été enterrée.
[Mise à jour le 5 février] La proposition de résolution visant à faire interdire les néonicotinoïdes au niveau européen a été rejetée. 248 sénateurs se sont exprimés contre cette proposition, seulement 64 sénateurs se sont prononcés pour.
> Lire également : Les espaces verts et les jardins publics bientôt libérés de la pollution des pesticides
Notes
[2] La clothianidine, le thiaméthoxam et l’imidaclopride. Cette restriction porte pour une durée de deux ans à partir du 1er décembre 2013.
[3] Cette évaluation mondiale rassemble près de 800 études. Elle a été entreprise par le groupe de travail sur les pesticides systémiques (Task Force on Systemic Pesticides). Les résultats ont été publiés dans le journal à comité de lecture : Environmental Science and Pollution Research (ESPR, Springer) en ligne en 2014 et sous forme d’une édition spéciale en janvier 2015. Lire ici.