PROPOSITION DE LOI
instaurant un revenu minimum garanti,
Enregistrée à la Présidence du Sénat le 21 mai 2021
PRÉSENTÉE PAR
Mmes Raymonde PONCET MONGE, Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Guy
BENARROCHE, Mme Esther BENBASSA, MM. Ronan DANTEC, Thomas DOSSUS,
Jacques FERNIQUE, Guillaume GONTARD, Joël LABBÉ, Mme Monique de MARCO,
MM. Paul Toussaint PARIGI et Daniel SALMON, Sénatrices et Sénateurs.
(Envoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En France, 9,3 millions de personnes disposaient de revenus inférieurs au seuil de pauvreté (60 % du niveau de vie médian, 1 015 € selon l’Insee) en 2018.
Alors que cette situation est déjà particulièrement critique, les dispositifs d’aides sociales, parmi lesquels les minima sociaux, permettent toutefois à 5 millions de personnes de sortir de ces situations critiques, réduisant ainsi le taux de pauvreté de 22 à 14,5 % de la population française.
Au 31 décembre 2019, la France comptait 1,9 million de foyers allocataires du RSA, soit l’équivalent de près de 3,85 millions de personnes (5,8 % de la population) qui dépendent de cette aide pour (sur)vivre. Il s’agit là des ménages qui en ont fait la demande, alors même qu’environ 30 % des ménages y ayant droit n’y font pas recours et que les jeunes adultes de 18 à 25 ans en sont exclus.
Au 1er avril 2021, le RSA s’élève à 565 € pour une personne seule – 498 € pour la grande majorité des allocataires se voyant déduire le forfait logement de 67 € -, 848 € pour un couple ou un adulte avec un enfant et 1 017 € pour un couple avec un enfant.
Afin de mieux répondre aux enjeux de lutte contre la pauvreté, les auteur.es de cette proposition de loi s’inscrivent dans une démarche de renforcement du minimum social que représente le RSA, en tirant les leçons de ses insuffisances pour lui substituer un revenu minimum garanti, s’appuyant sur la confiance et la considération des situations de chacun.e.
Le lien entre insertion et pauvreté s’est construit dès la mise en place du revenu minimum d’insertion (RMI) par le gouvernement de Michel Rocard en 1988. Ne contraignant pas formellement les allocataires à une recherche d’emploi, le RMI a néanmoins lié par un contrat la notion d’insertion à celle de minimum social. Ce contrat invitait les allocataires à fournir des efforts afin de retrouver une situation sociale « normale », et faisait ainsi peser la responsabilité de la situation des personnes concernées sur leurs seules épaules, sans considération du contexte national, et notamment de la montée en puissance du chômage de masse depuis le début des années 1970.
En 2007, le RMI est remplacé par le RSA sous l’impulsion du Haut-Commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté et à la Jeunesse Martin Hirsch. Supposant d’un effet désincitatif à la reprise d’activité du RMI – non démontré -, on lui ajoute des dispositifs d’intéressement financier aÌ la reprise d’un emploi. L’« activation » des allocataires devient alors le maître mot du RSA, qui use de deux leviers : l’incitation monétaire d’un côtéì et un système de sanctions de l’autre, s’appuyant sur le respect d’un « contrat » désormais contraignant. Contrat dont il est évident que l’ayant droit, au regard de sa situation financière, des plus critiques, n’est pas en capacité de refuser. Il représente une asymétrie dans la relation entre le travailleur social et l’allocataire, qui nuit fortement à l’accompagnement, par l’introduction d’un climat de contrôle et de suspicion permanent.
Depuis 2013 et la première stratégie pauvreté, le nombre de personnes en situation de pauvreté en France est passé de 8,563 millions (13,8 % de la population) à 9,11 millions (14,5 %) en 2019 selon l’INSEE et l’Observatoire des inégalités. Les gouvernements constatent d’année en année l’aggravation de la crise sociale. De nombreux acteurs sociaux alertent sur l’urgence d’agir concrètement contre la pauvreté, comme sur le creusement des inégalités. Pourtant, au lieu d’actions fortes pour mieux soutenir les personnes fragilisées, ce sont les rapports qui s’enchaînent. À l’image du nouveau rapport sur le “revenu universel d’activité” – qui n’a d’universel que le nom, demandé par le Premier ministre début 2021, et portant sur une réforme annoncée en 2018 … symbole d’un quinquennat blanc sur le plan social.
Aujourd’hui, le RSA a certes permis de maintenir un socle de revenus pour de nombreuses personnes, mais il fait aussi état de faiblesses importantes, du fait de son montant insuffisant, de sa forte conditionnalité et du fort taux de non-recours notamment. Le rapport “Sans Contrepartie » dresse à la fois un constat sans appel pour qui se soucie de la lutte contre l’exclusion et de la situation de nos concitoyens confrontées aux aléas de la vie. Ces travaux, initiés par le Secours catholique et AequitaZ, soutenus par plus d’une dizaine d’acteurs parmi lesquels le Mouvement National des Chômeurs et Précaires (MNCP), Emmaüs France ou encore la Fondation Abbé Pierre, proposent quelques pistes concrètes d’améliorations du droit existant. Certaines sont ici reprises, ainsi que des témoignages édifiants du vécu des premiers concernés par les minima sociaux.
Le mythe de l’assistanat
Depuis nombre d’années, le débat public sur la lutte contre la pauvreté est prisonnier d’une idée bien trop répandue, selon laquelle les allocataires du RSA vivraient confortablement de leur revenu de substitution sans chercher à retrouver un emploi, ou le fantasme de l’assistanat. Comme si les situations de pauvreté avaient quelque chose de satisfaisant, voire de confortable, ce discours omet les conditions de vie parfois indignes que cela peut représenter pour ces personnes, de même que l’exclusion sociale que cela implique souvent. Or, comme le soulignait déjà le sociologue Nicolas Duvoux en 2011, aujourd’hui président du comité scientifique du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), penser que les minima sociaux désincitent au travail relève moins de la réalité que d’un jugement moral. En effet, pour les allocataires, l’accès à l’emploi reste perçu comme une norme sociale à atteindre, un moyen de s’intégrer socialement, quels qu’en soient les avantages financiers, comme l’ont notamment montré dans leurs travaux les sociologues François Dubet et Antoine Vérétout.
Cette construction de l’assistanat est d’autant plus absurde et hors sol une fois mis dos à dos le nombre de personnes inscrites à Pôle emploi qui s’établit à 5 710 600 (catégories A, B et C,) fin 2020 et le nombre d’emplois vacants s’élevant quant à lui à 185 000, en net recul de 5 % par rapport au trimestre précédent et baisse de 15 % sur un an, selon la Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES), à la même époque.
Plutôt que de combattre des hommes de paille tels que le mythe de “l’assistanat”, il est d’autant plus nécessaire et urgent de répondre aux problématiques des populations impactées au quotidien par la pauvreté et la précarité, par des mesures visant à leur autonomie – tant personnelle, que citoyenne et professionnelle – et à une confiance renforcée en chacune et chacun.
Un contrôle abusif des allocataires
« Je suis réveillée en pleine nuit. Demain, conseil disciplinaire RSA. Je dois leur expliquer pourquoi j’ai stoppé le contrat d’insertion. Je ne rentre plus dans les cases. C’est une souffrance d’avoir à me justifier tout le temps. […] » L.
Le contrôle des allocataires représente pour eux une pression de tous les jours. Une exigence quotidienne de preuves, une soumission au contrôle, sous peine de sanction. Un mécanisme de sanction plane en effet sur les allocataires comme une épée de Damoclès. C’est ce couplage contrôle-sanction qui instaure un sentiment d’insécurité permanent et nuit très largement à l’action sociale dont ces personnes, rencontrant chaque jour des difficultés multiples, ont tant besoin.
À travers cette proposition de loi, c’est à l’image des associations d’accompagnement des allocataires du RSA et de la solidarité, l’attachement ferme des auteur.es à l’accompagnement des personnes et le besoin que cet accompagnement soit avant tout fondé sur la confiance, la reconnaissance du potentiel et des talents et sur la nécessité d’aider à la levée de freins concrets à l’insertion professionnelle (qualifications, garde d’enfants, mobilité).
Conformément au souhait de nombre de travailleurs sociaux, ce texte a pour but d’acter la dissociation entre l’allocation et l’accompagnement.
L’exclusion des moins de 25 ans, un non-sens couplé à une injustice
En 2015, l’INSEE établissait que 16,1 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans se trouvaient en dessous du seuil de pauvreté, alors que le taux moyen de la population de 25 à 64 ans était de 7,2 %.
Paradoxalement, depuis la création du RMI, les jeunes adultes font l’objet d’une quasi-inéligibilité aux minima sociaux (seuls 1 300 en bénéficiaient sur l’année 2016), la première des conditions d’accès au minimum vital étant d’être âgé de 25 ans ou plus. Un dispositif « jeune actif » existe cependant, mais ses conditions d’accès sont particulièrement limitatives (nécessité de justifier de deux ans d’activité en équivalent temps plein au cours des trois années qui précèdent la demande, soit 3 214 heures d’activité). La France se trouve ainsi être un des pays d’Europe parmi les moins sécurisants concernant la situation des jeunes.
Le fléau du non-recours
Difficultés face aux complexités administratives, méconnaissance de ses droits, sentiment de honte à demander une aide, isolement social ou toute autre raison personnelle : les motifs qui font qu’un ayant droit ne recourt pas au RSA sont nombreux et divers. On estime à 30 % le taux de non-recours au RSA des ayants droit.
Ce phénomène est pointé du doigt par les associations, les politiques et l’administration depuis plusieurs années et notamment à travers le rapport de 2016 « Repenser les minima sociaux : vers une couverture socle commune » de l’ancien député de Saône-et-Loire Christophe Sirugue. L’auteur précise que le non-recours au RSA, prive chacun de nos concitoyens d’un accès aux prestations auxquelles il a droit, nuit à l’efficacité de nos politiques publiques de solidarité et entretient les critiques de notre système de solidarité.
Alors que le constat est depuis longtemps établi, il est de plus en plus urgent d’y mettre fin par la solution la plus simple pour nos concitoyens : l’automatisation de l’accès au minimum social, pour s’assurer que toute personne y ayant droit le touche.
Comment vivre dignement avec seulement 498 € par mois ?
« J’ai 54 ans, en recherche active pour un emploi, […] tous les matins la première chose que je fais ce sont les pages d’emploi. A 8 heures je téléphone aux agences d’intérim. Et quand je dois me présenter à plusieurs centaines de kilomètres, […] il faut avancer les frais de transport, alors expliquez-moi comment faire avec 490 euros par mois, […] » Franck
498 € mensuels ne permettent pas à la fois de se loger, se nourrir correctement, s’habiller, se déplacer, rechercher une activité, … Alors que le seuil de pauvreté est fixé par l’INSEE à 1 015 €, le montant actuel du RSA est, à bien des égards, insuffisant, pour répondre aux problèmes des allocataires et prétendre accompagner vers l’autonomie des personnes.
Privilégiant le droit à vivre dignement, le présent texte propose de sécuriser le montant du minimum social au niveau du seuil de pauvreté.
En finir avec la “gestion” de la pauvreté : garantir un revenu à toutes et tous
Alors que le risque d’explosion du nombre d’allocataires du RSA dans les mois à venir est bien réel, les premières estimations depuis le début de la crise du Covid-19 font état au cours de la seule année 2020 d’une augmentation de 5 à plus de 10 points (%). De plus, la désastreuse réforme de l’assurance chômage menée par le gouvernement accentuera fortement encore cette tendance, en raison du nombre de personnes qui basculeront de l’allocation chômage vers le RSA, suite à l’entrée en vigueur de la réforme au 1er juillet 2021.
C’est pour toutes ces raisons que les auteur.es de ce texte proposent des mesures concrètes de transformation du revenu de solidarité active en revenu minimum garanti, afin d’assurer un droit au revenu à toutes et tous. Cette proposition constitue également, selon ses auteurs, une première étape vers l’instauration d’un revenu de base ou revenu universel d’existence.
Concrètement, afin de garantir le minimum vital à chacun, cette proposition de loi se décline en 9 articles.
L’article 1er remplace l’obligation de recherche d’emploi des allocataires du RSA par un soutien apporté aux démarches d’insertion ou de création de sa propre activité professionnelle, pour prendre soin de sa santé, de ses proches ou participer à la vie associative (au I).
Sont également intégrées les notions de volontariat à occuper un emploi et de contribution d’une manière ou d’une autre à l’intérêt général.
L’article 2 se coordonne avec l’article 1er. Il prévoit un droit à un accompagnement social et professionnel. Il supprime l’impossibilité de refuser plus de deux offres d’emploi dites « raisonnables ». Cette notion indéfinissable étant source d’inégalités en fonction des interprétations multiples de la part des organismes en charge de l’accompagnement.
L’article 3 ouvre l’accès au revenu minimum garanti dès 18 ans. Il remédie ainsi à l’injustice s’appliquant aux jeunes adultes de moins de 25 ans jusqu’ici exclus du RSA.
L’article 4 instaure l’automatisation du minimum social, tout en prévoyant la possibilité pour les ayants droit de renoncer à ce droit.
L’article 5 sécurise le montant de l’allocation versée pour une personne seule à un plancher fixé à 60 % du niveau de vie médian. Le montant de l’aide restera réévalué chaque année par décret, mais ne pourra pas correspondre à un montant inférieur à ce plancher.
Les équipes pluridisciplinaires RSA ont pour mission d’émettre des avis pour le Président du Conseil départemental, notamment sur les orientations des organismes d’insertion sociale ou professionnelle, sur les décisions de radiation en cas de fraude. L’article 6 prévoit d’améliorer la représentation des allocataires, des professionnels et bénévoles associatifs qui les accompagnent en incluant la participation des personnes et des associations les accompagnant au sein de ces instances de concertation.
En conséquence de l’adoption de l’ensemble des mesures contenues dans le présent texte, l’article 7 acte l’instauration d’un revenu minimum garanti dans l’ensemble de la législation française, en lieu et place du revenu de solidarité active.
L’article 8 transfère le financement du minimum social depuis les départements vers l’État. Le but est ici de remédier à la compensation actuellement insuffisante de l’État, qui étouffe les budgets des départements. Cet article ne remet pas en cause les compétences actuelles des Conseils départementaux en matière d’accompagnement.
L’article 9 est un gage financier permettant la recevabilité de la présente proposition de loi au regard de l’article 40 de la Constitution.
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