JOURNAL DU PARLEMENT N° 73 – Par Joël Labbé, Sénateur du Morbihan, Vice-président de la Commission des Affaires économiques
L’interdiction au 1er septembre 2018 des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes, ces pesticides incriminés dans le déclin des pollinisateurs, ainsi que les semences traitées avec ces produits a été actée en juillet 2016 dans la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, après des mois de discussions et de navette parlementaire.
Si des dérogations restent possibles au cas par cas jusqu’au 1er juillet 2020, cette mesure est une vraie victoire, dans laquelle la société civile, fortement mobilisée, a joué un rôle essentiel.
Contre toute attente, il y a quelques semaines, le dossier des néonicotinoïdes a refait surface dans l’actualité politique nationale, à la suite de l’annonce du nouveau ministre de l’Agriculture de revenir sur cette interdiction.
Des propos vite contredits par Nicolas Hulot, Ministre de la Transition Écologique et Solidaire, qui a affirmé quelques heures plus tard que les interdictions de néonicotinoïdes et l’épandage aérien ne seraient pas levées, les arbitrages ayant été rendus en ce sens par Matignon.
Cette passe d’armes au sein du Gouvernement est malheureusement révélatrice du poids des lobbies dans ce dossier et montre l’extrême vigilance que nous devons observer. Les néonicotinoïdes, insecticides neurotoxiques massivement utilisés sur les grandes cultures
depuis 1994 en France, présentent des risques élevés pour les pollinisateurs, notamment pour les abeilles, dont les colonies se sont effondrées ces deux dernières décennies. La méta-analyse publiée en juin 2014 par un groupe d’experts internationaux pointe une menace bien plus large, concernant l’ensemble de la biodiversité : les invertébrés terrestres et aquatiques, les oiseaux, poissons, amphibiens et micro-organismes seraient également affectés. Au-delà de son impact environnemental, l’utilisation de ces neurotoxiques menace les rendements agricoles (les pollinisateurs contribuent à 35% de la production alimentaire mondiale) et porte atteinte à la fertilité des sols. En termes de santé humaine également, les récentes études de l’Afssa concluent sur le risque d’incidences sur le développement du système nerveux humain.
Par ailleurs, le dernier inventaire réalisé par le Ministère de l’Écologie révèle que l’imidaclopride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes, affecte aujourd’hui 92% des cours d’eau français, engendrant des coûts de potabilisation croissants pour la collectivité.
Quelques jours seulement après le « couac gouvernemental », deux nouvelles études, publiées dans la revue américaine Science, confirment, si besoin en était encore, la nocivité des insecticides agricoles néonicotinoïdes pour les abeilles et autres pollinisateurs qui y sont exposés.
Pour ma part, alerté par la communauté scientifique et la profession apicole, j’avais demandé dès 2012 au Ministre de l’Agriculture la suspension des autorisations de mise sur le marché de ces substances en France. En juin 2014, le colloque « Pour une agriculture respectueuse des pollinisateurs » au Sénat, que j’ai co-organisé avec l’UNAF (Union Nationale de l’Apiculture), avait abouti au dépôt d’une proposition de résolution européenne pour interdire ces redoutables pesticides. Lors de la séance publique du 4 février 2015 au Sénat, le verrouillage des votes ne m’ayant pas permis de trouver une majorité sur ce texte, j’avais manifesté mon indignation en arrachant ma cravate dans l’Hémicycle.
J’ai par la suite participé au lancement de « L’appel des Parlementaires pour l’interdiction des Néonicotinoïdes », qui a trouvé un large écho au sein de la société civile. La mobilisation sans faille de parlementaires engagés durant les nombreux débats du projet de loi biodiversité ont finalement abouti à l’adoption de cette mesure tant attendue.
Avec la loi Labbé, qui interdit l’usage des pesticides sur les espaces publics depuis le 1er janvier 2017, la vente aux particuliers en 2019 et l’interdiction des pesticides néonicotinoïdes en agriculture en 2018, la France est devenue précurseur en Europe dans le combat contre les produits phytosanitaires et doit faire avancer les actions au niveau européen. Revenir en arrière serait un très mauvais signal, au moment même où les représentants des États membres de l’UE s’apprêtent à voter une proposition de la Commission européenne pour l’interdiction totale de trois néonicotinoïdes sous moratoire partiel depuis 2013, qui pourrait être mise en place avant la fin de l’année. Une décision très attendue par les apiculteurs et défenseurs de la biodiversité, les ventes de néonicotinoïdes ayant encore augmenté de 4% entre 2013 et 2015, contaminant un peu plus chaque jour notre environnement ! La réduction de l’utilisation des pesticides représente un triple enjeu, sanitaire, environnemental et économique si l’on prend en compte les services rendus par la biodiversité. Il faut profiter de la dynamique actuelle française pour influer sur l’Europe et promouvoir l’adoption d’une réglementation ambitieuse concernant les pesticides, tout en généralisant les pratiques alternatives. Cela implique, pour notre pays, d’engager maintenant la transition et de sortir du modèle agricole dominant, très dépendant de l’agrochimie. La France reste le 1er consommateur de pesticides en Europe et le 3ème au niveau mondial. L’essor incroyable de l’agriculture biologique ces dernières années, le nombre croissant de fermes engagées dans la voie de la conversion, l’engouement des consommateurs pour les circuits-courts, montrent cependant qu’un autre modèle agricole est possible, basé sur une agriculture biologique et paysanne, pourvoyeuse d’emplois dans nos campagnes, rémunératrice pour les agriculteurs et respectueuse des équilibres environnementaux et de la santé humaine.
C’est à nous, politiques, d’accompagner au mieux cette transition, en affrontant sans relâche les tenants du productivisme et les lobbies de l’agrobusiness. Il en va de notre avenir et de celui des générations futures.
Occasion nous en sera donnée très prochainement, avec l’ouverture des États Généraux de l’Alimentation, qui nous offre l’opportunité de concrétiser une véritable refonte de nos pratiques agricoles et de nos filières, en les orientant vers un modèle agro-écologique afin de répondre aux enjeux du XXIème siècle.
Je serai de ceux qui soutiendront ardemment l’action de Nicolas Hulot, initiateur de ce nouveau Grenelle, pour que l’écologie ne soit pas qu’une variable d’ajustement.