Mineurs vulnérables


PROPOSITION DE LOI
visant à apporter un cadre stable d’épanouissement et de développement aux mineurs vulnérables sur le territoire français,
Enregistrée à la Présidence du Sénat le 07 février 2020


Présentée par
Mme Josiane COSTES, MM. Jean-Claude REQUIER, Guillaume ARNELL, Stéphane ARTANO, Alain BERTRAND, Henri CABANEL, Mme Maryse CARRÈRE, MM. Joseph CASTELLI, Yvon COLLIN, Jean-Pierre CORBISEZ, Ronan DANTEC, Mme Nathalie DELATTRE, MM. Jean-Marc GABOUTY, Éric GOLD, Jean-Noël GUÉRINI, Mme Véronique GUILLOTIN, M. Éric JEANSANNETAS, Mme Mireille JOUVE, M. Joël LABBÉ, Mme Françoise LABORDE, MM. Olivier LÉONHARDT, Jean-Yves ROUX et Raymond VALL, sénateurs.

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La protection de l’enfance est l’un des aspects cruciaux de la politique d’égalité des chances en France. Elle vise en effet à offrir une prise en charge alternative aux mineurs présents sur notre sol dont les parents faillissent à leur devoir de protection, quelles qu’en soient les raisons. Dès lors, cette prise en charge ne devrait pas seulement avoir vocation à garantir l’intégrité physique des mineurs concernés, mais également à leur donner les ressources affectives, éducatives et matérielles suffisantes pour leur permettre de devenir des individus adultes armés pour s’insérer dans la société, au même titre que les personnes ayant bénéficié d’une vie familiale plus structurée au moment de l’enfance. En d’autres termes, si elle était totalement performante, la politique française de protection de l’enfance permettrait le développement de la capacité de résilience des enfants placés, selon un concept psychologique vulgarisé par le psychiatre Boris CYRULNIK.

Tel n’est pas le cas. Selon des chiffres souvent avancés, sur une population mineure s’élevant à 15,5 millions d’individus en France pour 300 000 enfants pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE), on observerait une prédominance de ces derniers parmi les mineurs délinquants. Ils y représenteraient 30 % des mineurs concernés. De la même manière, il s’agit également d’un sous-groupe important des futures personnes sans domicile fixe, puisqu’un quart des personnes sans domicile fixe auraient connu les services de l’ASE durant l’enfance. Il n’est donc pas erroné d’écrire qu’aujourd’hui, les enfants confiés à l’ASE souffrent d’une inégalité des chances relativement à celle des autres individus du même âge et ce, malgré l’intervention des pouvoirs publics.

Trop souvent, la protection de l’enfant est réduite à la simple ambition, certes noble, de mise à l’abri d’un mineur en situation vulnérable, en le plaçant dans un foyer ou dans une famille d’accueil. Malgré l’engagement de tous les professionnels impliqués, services départementaux, associations, magistrats et des familles recevant ces jeunes, il est difficile d’établir des projets éducatifs et des projets de vie stables et structurants pour ces enfants, par ailleurs plus nombreux.

En effet, le nombre d’enfants suivis par l’ASE n’a eu de cesse d’augmenter entre 2007 et 2017, passant de 265 255 à 299 569, de même que le nombre d’enfants suivis par le juge saisi en assistance éducative, passant sur la même période de 87 315 à 92 639. L’augmentation du nombre d’enfants pris en charge pourrait s’expliquer par l’amélioration des dispositifs d’alerte en cas de danger. Elle pose dans tous les cas la question de l’adaptation de la prise en charge après l’alerte, alors que les critiques se multiplient contre les foyers et les structures d’accueil de ces mineurs. On constate d’ailleurs de grandes disparités selon le département d’accueil, ce qui pose un problème du point de vue de l’égalité des droits sociaux offerts sur notre territoire.

Comme l’a montré un rapport sénatorial1(*), les dernières innovations législatives ont donné lieu à un renforcement de la judiciarisation et à un émiettement de la politique, avec le poids croissant des conseils départementaux : « là où, en 1984, l’État consacrait 2,3 milliards d’euros à la protection de l’enfance, les départements y ont consacré plus de 5 milliards en 2004. La dépense d’aide sociale à l’enfance a donc plus que doublé en vingt ans. » La protection de l’enfance souffre de mécanismes très nombreux, complexes, lents, associant de nombreux acteurs : juges, services de l’aide sociale à l’enfance, conseil des familles, familles d’accueil. Il faut en effet distinguer les mesures d’assistance éducative, de la possibilité de tutelle, de la reconnaissance de la qualité de pupille de l’État et, enfin, des parcours d’adoption en forme plénière ou simple.

Dans le même temps, le nombre d’enfants susceptibles d’être adoptés après avoir obtenu le statut de pupille décroit. Selon l’Office national de protection de l’enfance (ONPE), en 2015, 2 615 enfants avaient le statut de pupille, contre 3 659 en 1995.

Jusqu’à présent, les réformes législatives ont cherché à préserver un équilibre entre la préservation des droits liés à la parentalité et l’intérêt de l’enfant, ce qui constitue un obstacle à l’adoption. On a d’ailleurs longtemps postulé que l’intérêt de l’enfant supposait de le maintenir autant que possible dans sa famille biologique, avec une préférence pour les mesures éducatives. D’une certaine manière, la préservation de l’entité familiale et même, parfois, de la fratrie a donc joué contre l’intérêt de l’enfant, quand cet objectif morcelait sa prise en charge et empêchait de développer un projet de vie consistant pour ce dernier.

Toujours selon l’ONPE, 61,4 % des pupilles sont admis après une prise en charge par la protection de l’enfance, et pour 31 % d’entre eux, après une prise en charge de cinq ans, ce qui est très long à l’échelle d’une vie d’enfant. La durée de ces prises en charge est d’autant plus préjudiciable que l’âge est le premier facteur discriminant au moment de l’adoption : 37 % des pupilles adoptés seraient âgés de moins d’un an. Toutes les dispositions devraient donc être prises pour offrir le plus tôt possible une prise en charge pérenne de ces enfants, dans un cadre familial susceptible de leur apporter une sécurité affective, ce que ne permettent pas les foyers d’accueil. Il s’agit ainsi de repenser la durée des procédures en fonction du besoin de stabilité affective de l’enfant, qui est déterminant en dessous de trois ans, plutôt que de rechercher l’uniformité procédurale. Des procédures d’urgence pourraient être envisagées à cette fin en fonction de l’âge de l’enfant.

Sans dogmatisme, l’objectif de cette proposition de loi est de promouvoir un recours plus précoce à l’adoption en forme simple, qui a le mérite de ne pas effacer la filiation biologique lorsque les parents sont toujours vivants et connus des services sociaux. La filiation adoptive viendrait ainsi se superposer à la filiation biologique défaillante, qui pourra continuer d’être explorée par l’enfant lorsqu’il en éprouvera le besoin. Cette adoption allégée pourrait également permettre de rassurer les parents biologiques qui, lorsqu’ils constatent leur incapacité à exercer une protection et une autorité parentale de qualité, renoncent à confier leurs enfants à l’ASE, par crainte d’une rupture totale de liens.

Les débats récents lors de l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique ont montré la persistance du désir de parentalité chez nos concitoyens et la formidable plasticité de la famille contemporaine. Dans ce contexte libéral, la filiation adoptive, en particulier sous forme simple, devrait pouvoir permettre de faire se rencontrer les désirs de parentalité des uns, et les besoins de protection et d’affection des autres.

Sans que ce soit son objectif principal, ce texte propose également de renforcer la continuer du « projet de vie » au-delà de la majorité, pour permettre aux anciens enfants de l’ASE de mener à bien leurs projets universitaires et professionnels dans des conditions sereines, comme le proposent plusieurs parlementaires. Malheureusement, en effet, le nombre de jeunes majeurs concernés par une mesure de suivi est en recul, estimé à près de 20 900 sur la France entière, soit 9 pour mille des 18-21 ans.

Enfin, cette proposition de loi s’adresse également aux « mineurs non accompagnés » ou « mineurs isolés étrangers » qui sont particulièrement vulnérables et de plus en plus nombreux sur notre sol – on en dénombrait 40 000 fin 2018. Elle intègre en outre des dispositions destinées à faciliter leurs démarches administratives sur le sol français, afin de leur permettre de s’intégrer le plus rapidement possible.

La présente proposition de loi réunit donc un ensemble de dispositions destinées à améliorer la prise en charge des mineurs étrangers sur notre sol, à développer le recours à l’adoption simple au niveau national et le parrainage au niveau international et, enfin, à adapter les procédures de déclaration judiciaire de délaissement et d’attribution du statut de pupille aux limites constatées sur le terrain, toujours dans l’intérêt des mineurs concernés.

Plus précisément, le titre Ier vise à renforcer la prise en compte de l’intérêt des mineurs délaissés et des pupilles d’État :

L’article 1er vise à prévoir, pour les mineurs de moins de trois ans, que la déclaration judiciaire de délaissement peut être prononcée après un délaissement de six mois, afin de mieux prendre en compte l’importance de la stabilité affective de l’enfant dans les premières années de sa vie, pour son bon développement.

L’article 2 vise à renforcer la procédure de déclaration judiciaire de délaissement, à la suite des premiers retours des effets de la loi de 2016. On peut considérer en effet que l’obligation de proposer aux parents délaissants des mesures appropriées contribue à se détourner de l’intérêt des enfants pour protéger celui des parents. Cet article vise également à accélérer la décision, dans l’intérêt de l’enfant, en limitant l’instruction par le juge à deux mois, un mois dans le cas d’un mineur de moins de trois ans, une proposition issue du rapport Colombani de 2007.

L’article 3 vise à promouvoir la forme de l’adoption simple auprès des parents déterminés à placer leurs enfants auprès de l’ASE, en vue d’une adoption. Cela vise à réduire le risque de reprise, donc d’instabilité pour l’enfant, en laissant une place à la famille biologique.

L’article 4 vise à renforcer les conditions de reprise d’un enfant placé auprès des services de l’ASE à l’initiative de l’un ou de ses parents, tandis que le droit en vigueur prévoit que celle-ci peut intervenir sans aucune formalité. Il s’agit là encore de mieux prendre en compte l’intérêt de l’enfant.

Le titre II concerne les mineurs et jeunes majeurs placés auprès de l’ASE.

L’article 5 vise à diversifier les profils d’assistant familial agréé pour accueillir des jeunes placés à l’ASE, en prévoyant qu’à leur demande, l’agrément peut concerner le placement d’un unique enfant.

L’article 6 vise à généraliser l’accompagnement des jeunes majeurs jusqu’à vingt-et-un an.

Le titre III a pour objet d’améliorer la coordination en matière d’adoption et de parrainage :

– en permettant aux personnes ayant obtenu l’agrément pour l’adoption dans un département de pouvoir s’en prévaloir dans tous les départements français, par souci d’égalité vis-à-vis des Français situés dans des zones de déprise démographique (article 7) ;

– en confiant à l’Agence française de l’adoption la mission de coordonne le « parrainage » d’enfants étrangers (article 8).

L’article 9, unique article du titre IV, vise à prévoir des incidences sur le versement d’allocations familiales en cas de délaissement d’enfants.

Enfin, le titre V concerne spécifiquement les mineurs isolés étrangers.

L’article 10 vise à introduire une présomption de désintérêt pour les mineurs isolés étrangers, destinée à faciliter leur prise en charge par les services de l’enfance.

L’article 11 vise à permettre l’attribution de la nationalité française au mineur adopté en forme simple dans les mêmes conditions que celles prévues pour l’adoption plénière, afin de simplifier les démarches des parents adoptifs.

L’article 12 vise à désigner le juge des enfants comme le juge en charge du contentieux des mineurs isolés étrangers, afin de clarifier les règles de fonctionnement de notre organisation judiciaire pour l’adapter au cas particulier de ces mineurs.

L’article 13 vise à faciliter l’ouverture de comptes en banque par les mineurs isolés étrangers.

L’article 14 vise à permettre la délivrance d’un certificat d’authentification de titre d’identité unique par les services de douanes, afin de simplifier les démarches administratives des mineurs isolés étrangers, notamment en cas de dysfonctionnement de leurs services consulaires.

L’article 15 vise à faciliter l’attribution de titres de séjour au bénéfice de mineurs isolés étrangers intégrés dans des cursus professionnalisant (notamment contrats d’apprentissage).

 

> Voir la proposition de loi

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