PLANTES & SANTÉ – 28/05/2019 – Par Jeanne Le Borgne, Isabelle Saget, Anne Peron
Vendredi 24 mai, un colloque sur l’herboristerie était organisé à l’initiative du sénateur Joël Labbé. Objectifs : envisager les conditions d’une reconnaissance des métiers de l’herboristerie, les contours de formations adaptées et les évolutions législatives correspondantes. Le point sur cette journée.
En ce vendredi 24 mai, au Sénat, la salle Clemenceau (262 places) est comble. Six mois après avoir présenté les conclusions de la mission d’information sénatoriale sur « le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales, une filière et des métiers d’avenir », le sénateur du Morbihan Joël Labbé a de nouveau réuni les différentes parties prenantes.
Le sujet mobilise d’autant plus que la demande pour ces produits est forte. Herboristes, pharmaciens, autorités sanitaires, parlementaires ou simples adeptes des plantes médicinales sont venus échanger et réfléchir aux conditions d’exercices à envisager pour les herboristes.
La question du statut juridique des plantes
Premier sujet abordé et pas le plus simple : la réglementation des plantes médicinales. « Dans l’Union européenne, on ne vend pas de plantes mais des produits à base de plantes, sans avoir de réglementation transversale », a résumé Guillaume Cousyn, adjoint au bureau Nutrition et information sur les denrées alimentaires à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
En clair, une même plante peut être soumise à la fois à la législation relative aux compléments alimentaires, à celle des cosmétiques ou encore à celle des médicaments. Résultat, si un herboriste veut vendre du millepertuis sous toutes ses formes (teinture mère, huile essentielle, huile végétale, etc.), il doit connaître et appliquer toutes ces différentes réglementations ! Un véritable « casse-tête », dont les petits producteurs souffrent aussi, notamment en matière de communication autour du produit.
Par ailleurs, Guillaume Cousyn a rappelé « l’insuffisante prise en compte du caractère spécifique des plantes en rapport avec le savoir-faire ancestral de leur utilisation ». Pour qu’une allégation santé d’une plante soit établie, celle-ci doit en effet avoir fait l’objet d’une étude clinique, en double aveugle et à double issue. Une démarche très coûteuse pour de petites sociétés, et surtout inutile pour des plantes ayant déjà démontré leur efficacité et leur innocuité depuis de très nombreuses années.
Hors-la-loi, les herboristes ?
Des herboristes qui jonglent avec cette réglementation complexe au quotidien ont alors pris la parole. C’est le cas d’Audrey Benavent, paysan-herboriste depuis six ans. « Entre L’Oréal et moi, c’est la même chose en termes de réglementation », témoigne-t-elle. Mais son regret le plus important est de ne pas pouvoir conseiller pleinement ses clients sur les actions thérapeutiques des plantes qu’ils achètent – d’autant que certaines ont des interactions avec les médicaments allopathiques. Une mission de conseil qu’elle assume toutefois, quitte à être dans l’illégalité. Ce risque, Michel Pierre l’a aussi pris : ce directeur de l’Herboristerie du Palais Royal a ainsi été convoqué plusieurs fois au tribunal pour exercice illégal de la pharmacie.
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Puis vient le tour de Cyril Coulard, pharmacien titulaire de l’Herboristerie du Père Blaize, à Marseille. Il pointe une autre aberration réglementaire : les pharmaciens peuvent vendre des mélanges de plantes estampillés compléments alimentaires, mais il leur est interdit de les fabriquer au sein de leur officine ! « Un système aberrant, tout comme le monopole des pharmaciens sur les plantes sèches » s’agace-t-il. Il lui est possible de vendre du bleuet sous forme de complément alimentaire, mais pas sous forme de tisane. Comme ses collègues, il ne se cache pas d’être parfois hors-la-loi, mais en appelle au bon sens des Sages pour « préserver ce patrimoine humain de la connaissance et du savoir-faire ».
Sur le même thème, retenons enfin la prise de parole audacieuse d’An Lê, chef du pôle Médicaments homéopathiques, à base de plantes et des préparations à l’ANSM : « Il faut repenser la liste des plantes médicinales autorisées à être vendues en dehors des pharmacies, en leur attribuant de nouvelles propriétés bien-être, par exemple. »
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L’exemple inspirant du Canada
Caroline Gagnon, présidente de la Guilde des herboristeries, au Québec, nous a fait rêver en nous parlant des droits des herboristes outre-Atlantique, se moquant au passage de notre situation : « C’est vraiment les 12 travaux d’Astérix que vous vivez au niveau de cette réglementation ! » Au Canada, « la législation s’est adaptée pour coller à notre réalité ». Ce qui signifie que l’on y légifère les plantes en tant que produits, et non en fonction de leur usage. Aussi, on retrouve les plantes médicinales autant en pharmacie, qu’en herboristerie ou en magasins spécialisés dans la santé naturelle. « Santé Canada nous considère comme des experts », se réjouit la Canadienne. Là-bas, les herboristes travaillent en collaboration avec la médecine allopathique, dans une démarche intégrative.
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Des niveaux de compétence disparates
Ce constat d’une réglementation complexe et peu adaptée aux plantes médicinales a été confirmé au moment de définir le périmètre de l’herboriste par rapport aux autres professions de santé. Aline Mercan, médecin et anthropologue de la santé, a souligné qu’aujourd’hui de nombreuses professions médicales – naturopathes, ostéopathes, magnétiseurs, pharmaciens, etc. – conseillent des plantes médicinales avec « des niveaux de compétences très disparates ». Par ailleurs, donner une limite au conseil thérapeutique, comme il en a été parfois question, n’est pour elle pas réaliste : « Comment voulez-vous dire à un patient “Je peux prendre en charge votre colopathie, mais pas votre maladie de Crohn, désolée” ? »
Le pharmacien Sami Corcos s’est, en revanche, employé à dessiner sa vision d’une herboristerie enracinée, permettant de faciliter les relations entre le pharmacien d’officine et les producteurs de plantes. Mais également d’une herboristerie plus coopérative, favorisant les échanges avec les différentes professions médicales : « Il faut faire revenir le patient au centre de la problématique et cesser de monter en épingle la dangerosité des plantes », a-t-il insisté.
De son côté, l’importance de l’ancrage dans un territoire a été la toile de fond de l’intervention de Claire Montesinos, active depuis trente ans dans l’univers de la culture et de la distillation de médicinales : « Paysan-herboriste, voilà un nom qui me convient parfaitement », a-t-elle indiqué, expliquant aussi qu’un pharmacien, un médecin et un paysan-herboriste qui habitent un même pays peuvent plus facilement mettre en œuvre la complémentarité des connaissances.
Libérer 300 plantes
Pour la Fédération française des écoles d’herboristerie, la codirectrice de l’école des plantes et médecines douces Imderplam, Nathalie Havond, a précisé les contours du métier d’herboriste, véritable homme-plante. C’est-à-dire à la fois spécialiste de botanique, d’ethnobotanique et des propriétés chimiques des plantes, mais aussi très bon connaisseur en physiologie humaine, de façon à devenir un herboriste-thérapeute au rôle important sur le plan environnemental.
La sociologue Ida Bost, auteure d’une thèse sur les herboristes, partage le même genre d’idée. Selon elle, « l’herboriste est un modulateur, un modérateur en charge de contextualiser l’utilisation d’un produit, d’éduquer au patrimoine végétal tout en permettant un accompagnement vers la santé, ce que ne permet pas la violence de la biomédecine ».
Au milieu de l’après-midi, la réglementation est revenue au cœur des débats. Thierry Thévenin, porte-parole du Syndicat des simples, a évoqué la possibilité de « libérer » 300 plantes au lieu des 148 actuelles. Il a aussi émis l’idée d’un décret permettant de dresser une liste de « plantes à infusion » sur le modèle du décret précisant le cahier des charges des compléments alimentaires. « On ne peut pas séparer les plantes de leurs allégations thérapeutiques, ce serait hypocrite » a-t-il justifié. « Mais 150 plantes pour travailler, c’est déjà pas mal », a avancé peu après Pierre Champy, professeur de pharmacognosie à l’université Paris-Sud, avant d’ajouter qu’« il est souhaitable que les allégations traditionnelles puissent être reprises par les herboristes ».
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De nouvelles formations
Le colloque a été l’occasion d’annoncer la création d’une Licence professionnelle de conseil spécialisé en herboristerie et produits de santé à base de plantes au sein de la faculté de pharmacie. Cette formation, qui démarrera à la rentrée 2019, s’adresse à ceux qui ont déjà suivi deux années en biologie ou en physiologie. Par ailleurs, au sein du CFPPA de Nyons, une unité de valeur sur la thématique des savoirs traditionnels en herboristerie a vu le jour pour les paysans-herboristes.
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La journée s’est terminée par l’évocation de l’impact de la filière sur le développement des territoires. Jean Maison, le fondateur de Comptoir d’herboristerie, en Lozère, a estimé que l’autorisation du métier d’herboriste favoriserait la création de 5 000 emplois. Le fondateur du laboratoire Pytobokaz, en Guadeloupe, a estimé pour sa part que derrière chaque plante médicinale se cachait une entreprise en puissance.
Enfin Laurent Gautun, fondateur-gérant du producteur d’huiles essentielles Essenciagua a parlé du nouveau contrat de territoire portant sur les plantes et la santé en Lozère, en demandant au législateur d’enlever les nombreux écueils du cadre réglementaire. La boucle était bouclée : l’activité de l’herboristerie ne montera vraiment en puissance que si on change la vision réglementaire du secteur. Le sénateur Joël Labbé a promis qu’il trouverait une majorité pour cela.