PROPOSITION DE LOI
pour des mesures d’urgence pour les intermittents de l’emploi
Enregistrée à la Présidence du Sénat le 05 mai 2021
PRÉSENTÉE PAR
Mmes Sophie TAILLÉ-POLIAN, Esther BENBASSA, MM. Guy BENARROCHE, Ronan DANTEC, Thomas DOSSUS, Jacques FERNIQUE, Guillaume GONTARD, Joël LABBÉ, Mme Monique de MARCO, M. Paul Toussaint PARIGI, Mme Raymonde PONCET MONGE et M. Daniel SALMON, Sénatrices et Sénateurs.
(Envoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis le début de la crise sanitaire, les professionnels de l’événementiel, du tourisme, de la restauration, les extras, les saisonniers, les intérimaires et plus largement les personnes travaillant dans des secteurs où l’emploi discontinu est la norme, sont particulièrement impactés par le choc économique que subit notre pays sans que des réponses à la hauteur ne leur soient apportées par le Gouvernement.
Si les salariés en emploi stable ont bénéficié de mesures de soutien pérennes à travers la mise en place de l’activité partielle, les salariés en emplois discontinus restent pour la plupart sans mesures d’accompagnement. Les intermittents de l’emploi représentent plus de 2,3 millions de travailleuses et de travailleurs, dont une majorité se trouve à présent en fin de droits, en raison des périodes de confinement et de restrictions sanitaires imposées à leur secteur d’activité.
La promesse d’une aide garantissant un revenu de 900 euros pendant quatre mois, annoncée par le Gouvernement tardivement en novembre dernier, s’est en fait traduite en moyenne en une aide de 375 euros qui laisse encore à l’écart l’immense majorité d’entre eux. Devant faire face à une pénurie d’emplois, incapables de prétendre à une indemnisation chômage faute de remplir les conditions d’activité, beaucoup se retrouvent désormais sans filet de sécurité sociale, basculant rapidement dans des situations de détresse et de pauvreté.
C’est pourquoi, il convient de répondre au plus vite à la détresse financière, sociale, psychologique vécue par les intermittents de l’emploi.
Précaires car leurs métiers imposent la succession de contrats de courte durée, les intermittents de l’emploi connaissent des conditions de travail dégradées avec des horaires flexibles et des salaires peu élevés. Travailleurs à la carte, ils jonglent avec les missions d’intérim, et cumulent les petits boulots. Ce sont ceux que l’employeur appelle à la dernière minute, ceux qui signent un contrat à durée déterminée d’usage (CDDU) ou un contrat court au gré des saisons, de l’activité touristique, des événements ou festivals.
Pour ces derniers, le niveau de couverture de l’assurance chômage apparait largement insuffisamment protecteur, particulièrement depuis 2017 lorsqu’ils ont perdu le bénéfice du régime spécifique inscrit à l’annexe 4 de la convention Unédic. Relevant désormais du régime général, ces salariés « permittents » qui représentent 40% des demandeurs d’emploi, ont vu leur indemnisation baisser. Des pertes qui mettent en évidence l’inadéquation totale du régime général à la pratique de leur activité.
Dans ce contexte, la réforme de l’assurance chômage imposée de manière dogmatique par le Gouvernement sans tenir compte des réalités économiques et sociales vécues par les privés d’emploi et qui doit entrer en vigueur au 1er juillet 2021 est un véritable non-sens.
D’après les dernières projections réalisées par l’Unédic, elle impacterait négativement 1,2 million de personnes qui, dès la première année, verront leurs allocations baissées. Une réforme qui sera d’autant plus régressive pour les intermittents de l’emploi.
En effet, le nouvel modèle de calcul du « salaire journalier de référence », qui sert de référence pour définir le niveau de l’allocation, impliquera mécaniquement une baisse globale du niveau d’indemnisation des travailleurs qui alternent entre des périodes d’activité en contrats courts et des périodes non travaillées. Alors que ce « salaire journalier de référence » était jusqu’à présent calculé en divisant le salaire brut perçu par le nombre de jours travaillés, tous les jours seront désormais intégrés dans la nouvelle formule, y compris les jours chômés entre deux contrats. « Cela devrait baisser notre allocation de 50 % », s’alarme le Collectif des précaires de l’hôtellerie-restauration et événementiel (CPHRE), « en dessous des minimas sociaux pour certains ».
À cela s’ajoute le durcissement des conditions de rechargement des droits à l’assurance chômage, mesure entrée en vigueur dans le cadre du premier volet de la réforme gouvernementale en novembre 2019. Pour prétendre à une indemnisation, il faut désormais avoir travaillé six mois depuis sa dernière ouverture de droits contre un mois auparavant.
Pour justifier ces régressions, le Gouvernement invoque une mesure de justice entre ceux qui travaillent à temps plein et ceux travaillant de manière discontinue sans tenir compte de la réalité de l’activité professionnelle des secteurs où il est d’usage de recourir à des CDD ou à l’emploi saisonnier.
Pour les salariés de ces secteurs d’activité, c’est donc la double peine : outre le fait d’occuper des emplois précaires aux horaires atypiques et souvent mal rémunérés, ils vont subir une réduction de leurs droits au chômage.
Cette posture démontre à la fois une volonté de faire porter le coût de la crise à ceux qui en sont victimes en le camouflant par des mesures cosmétiques visant à encadrer les contrats courts, et une méconnaissance des secteurs concernés par l’intermittence de l’emploi. Ainsi, la dénonciation du « développement très peu régulé des CDDU » est particulièrement incantatoire. Dans de nombreux secteurs ou métiers, l’intermittence est officiellement la norme reconnue comme un « usage » par un agrément du ministère du travail.
La perspective d’un CDI pour tous demeure donc à ce stade illusoire. L’alternative à laquelle ces salariés à l’emploi discontinu sont confrontés dans la pratique est plutôt celle d’une sortie du salariat, celle d’une flexibilité sans sécurité. L’ubérisation ne peut être une perspective qui leur est proposée. Et renvoyer ces salariés vers un statut d’autoentrepreneur ou d’indépendant reviendrait à précariser encore un peu plus cette population tout en réduisant leur protection sociale. De surcroît, ces statuts, ne correspondant en rien à la réalité de leurs métiers, s’apparentent en fait à du salariat dissimulé et les mettent ainsi en situations d’illégalité.
Dans ce contexte, il apparaît indispensable d’améliorer le sort des intermittents de l’emploi. C’est tout le sens de cette proposition de loi qui vise un double objectif : répondre à l’urgence sociale avec des mesures de soutien financier, et instaurer de manière pérenne des droits relevés en matière d’assurance chômage pour ces travailleuses et travailleurs en emploi discontinu.
L’article 1 instaure une aide de l’État au profit de l’ensemble des intermittents de l’emploi et des intérimaires inscrits comme demandeurs d’emploi afin d’indemniser la totalité des pertes de revenus subies depuis le début de la crise sanitaire, en prenant comme référence les rémunérations brutes perçues sur les trois dernières années avant l’année 2020.
L’article 2 rétablit un régime d’assurance chômage spécifique pour les intermittents de l’emploi et les intérimaires permettant de leur assurer une meilleure couverture chômage entre deux périodes d’emploi. Ces nouvelles règles auraient vocation à être négociées par les organisations syndicales et les représentants des employeurs dans chaque branche professionnelle concernée. À défaut, les règles seraient fixées par les partenaires sociaux au niveau national et interprofessionnel.
Pour la pleine application de cette dernière mesure, l’article 3 prévoit l’adhésion des employeurs des secteurs concernés au régime d’assurance chômage spécifique des intermittents de l’emploi. L’article 4 prévoit enfin le rétablissement d’une annexe spécifique pour ces travailleurs au sein de la convention Unédic.
> Voir la proposition de loi
> Voir le dossier législatif