OUEST-FRANCE – – Par Michel TROADEC, avec Yves-Marie ROBIN
À 70 ans, après presque cinquante ans de vie publique, de maire à sénateur, Joël Labbé reviendra, à l’automne, à plein-temps à Saint-Nolff (Morbihan). Un livre raconte son itinéraire.
L’histoire de Joël Labbé, c’est celle d’un fils de paysan attaché à sa terre – au sens large – qui n’a rien fait pour être un homme politique mais l’est devenu en gagnant toutes les élections auxquelles il s’est présenté : trois fois élu, trois fois réélu. Pourtant, dit-il, installé dans un salon du Palais du Luxembourg à Paris, où siège la vénérable institution, « je suis un homme politique qui doute, ce qui est sans doute inhabituel. Je ne suis pas un homme de pouvoir ».
Mais revenons en arrière, aux origines, sur un terrain de football d’un gros bourg du Morbihan, Saint-Nolff, 1 800 habitants dans les années 1970. Ils sont plusieurs à remarquer cet arrière un peu foufou qui fait le spectacle en défendant son but comme un mort de faim. Ainsi, quand il s’agit d’intégrer des jeunes au conseil municipal, le maire pense à lui.
« J’étais à part »
Il refuse, accepte, devient vite adjoint à la Jeunesse et à l’Environnement. « J’étais à ma place sans l’être. Je n’avais pas le profil. J’avais conservé mes cheveux longs, mon style et il était hors de question d’en changer. J’étais à part », écrit-il dans L’utopie et la vie ! Il pourrait dire les mêmes mots aujourd’hui.
À 25 ans, la politique, il la regarde de loin. Mais René Dumont, candidat écologiste à la Présidentielle de 1974, lui a plu « avec son pull à col roulé et son verre d’eau. Au fil du temps, mon côté écolo s’est affermi. La conférence de Rio en 1992 montrait déjà des voyants au rouge. Les collectivités locales étaient appelées à s’engager dans ce qu’on appellera l’Agenda 21. »
Il ne s’entend pas avec le nouveau maire de Saint-Nolff. Alors, « pour apporter ma pierre à l’environnement », il monte une équipe. Et ça passe… Il est maire. Très vite, Saint-Nolff devient la première « commune du monde » bretonne, avant de s’engager dans l’Agenda 21. Tout en créant un grand festival de musique « citoyen ». La petite commune du Morbihan change de braquet…
« Je suis respecté en gardant mes différences »
Un mandat plus tard, l’idée d’amener ses idées au niveau départemental le titille. Réélu maire, il devient conseiller général. Pourtant dans l’opposition de gauche, il vit bien cette période, le président centriste du conseil général, Jo Kergueris, lui demandant de développer l’Agenda 21 au niveau départemental. À l’inverse, ses prises de bec avec François Goulard, successeur de Jo Kergueris, seront fréquentes.
En 2011, grosse surprise dans le Morbihan : les trois élus de gauche, dont Joël Labbé, sont propulsés au Sénat : « Je connaissais la politique locale, c’était mon monde. Je me retrouvais dans l’autre monde… »
Et il n’en rêvait pas… « Il y a d’abord eu un côté euphorique. Mais ça a été très dur au début. Ma vie basculait. J’avais des lacunes énormes en savoir-faire politique. Je n’avais pas les codes, je faisais des boulettes. »
Avancer tout en restant soi-même. C’est son leitmotiv. Dans la première intervention du nouveau sénateur écolo, il évoque Bob Dylan et son fameux The times they are a-changin’ pour rappeler qu’il est temps que ça change. « On m’avait conseillé de ne pas le faire, mais j’aurais été mal autrement. Aujourd’hui, je suis respecté en gardant mes différences. »
La gauche peut-elle envisager une victoire électorale en étant divisée ?
Il comprend que, dans ses dossiers, il n’y a pas de place pour l’approximation, qu’il faut du travail, de l’assurance, de la confiance. Il apprend avec plaisir à bosser avec les scientifiques, à écouter, à faire des concessions si nécessaire. « Il faut de la stratégie pour trouver une majorité quand on n’est que dix écolos. »
« Je fais gaffe avec la fierté »
C’est ainsi qu’est votée en 2014 la loi Labbé interdisant aujourd’hui l’usage des pesticides dans l’espace public et les jardins. Fier de ça ? « Je fais gaffe avec la fierté. Mais c’est important d’avoir réussi à faire bouger tout un pan des pratiques de la société. »
A-t-il subi des pressions ? « Non, je crois qu’ils savaient que, pour eux, je n’étais ni fréquentable ni récupérable. »
Tout ça n’a pas été sans difficulté : burn-out, coups de fatigue… « Trop souvent, mon tempérament a fait que j’ai dépensé sans compter. J’ai parfois payé le prix fort. »
Cet automne, à 70 ans, il retrouvera son Saint-Nolff à plein-temps, la nature, sa femme qui l’a toujours soutenu, ses cinq enfants, ses dix petits-enfants, un nouveau vélo, l’envie de voyager, de marcher vers Saint-Jacques-de-Compostelle et réécouter encore et encore Bruce Springsteen, Bob Dylan et son ami Miossec. Ce qui ne l’empêchera pas d’être toujours disponible pour défendre l’agriculture biologique et la relocalisation de l’alimentation, le combat d’une vie.
L’utopie et la vie !, Joël Labbé et Sabrina Delarue, Actes sud, 181 pages, 21 €.
Interview à lire sur ouest-france.fr.