KAIZEN – Par Sabah Rahmani – 14/04/2017
Comment aborder l’herboristerie au XXIe siècle ? À l’occasion du 5è Congrès des herboristes, les 8 et 9 avril à Angers, les acteurs de la filière ont débattu sur l’avenir du métier. Malgré son interdiction en France depuis 1941 sous le régime de Vichy, l’herboriste résiste et valorise sa connaissance des plantes médicinales auprès des citoyens de plus en plus demandeurs.
« Les plantes sont les premiers soins qui aient jamais existé », rappelle Patrice de Bonneval, président de la Fédération française des écoles d’herboristerie. Héritée de savoirs ancestraux, l’utilisation des plantes médicinales connaît un renouveau certain dans le paysage de la pharmacopée traditionnelle. Depuis la suppression du diplôme d’herboriste en 1941 sous le régime de Vichy, au profit du monopole des pharmaciens d’officine, les herboristes s’activent contre vent et marée pour faire reconnaître leur savoir-faire.
Au carrefour de la botanique, de l’agriculture, de la pharmacie, de la médecine et de l’anthropologie, l’herboristerie propose des remèdes naturels pour de petits troubles communs (digestion, sommeil, rhume, ménopause, stress, etc.) en guise de premiers soins, de compléments ou de prévention pour une meilleure santé. « Comme il faut peser nos mots, on parle de bien-être et de prévention. On ne parle pas d’utiliser les plantes pour soigner les maladies », précise Michel Pierre, président du syndicat Synaplante. Les herboristes ne sont pas en effet à l’abri de poursuites judiciaires engagées par le conseil national de l’ordre des pharmaciens, farouchement opposé au retour de ce métier en France. Moins virulents, certains médecins ou pharmaciens, reconnaissent pourtant la spécificité de cette pratique ancestrale. Julie Subirina, docteur en médecine et spécialiste en phytothérapie avoue que « le médecin n’a pas beaucoup de temps pour faire de la prévention » et qu’avec une bonne formation, un herboriste peut être un allié.
Une formation indispensable
En France, six écoles privées proposent des formations en plantes médicinales avec des cours pluridisciplinaires en plusieurs années (botanique, anatomie, biochimie, diététique, etc.). Elles voient leurs effectifs croître chaque année, avec près de 1 500 élèves au total. On retrouve même des médecins et des pharmaciens dans les rangs des formateurs et des étudiants de ces écoles, puisque leurs parcours initial à l’université offrent peu d’heures d’étude des plantes. À défaut d’un diplôme reconnu par l’État, ces établissements délivrent un certificat reconnu par les professionnels de la filière. Fondateur de l’Ecole lyonnaise de plantes médicinales, Patrice de Bonneval explique que « dans le métier d’herboriste il y a cinq piliers ; la reconnaissance des plantes, la culture des plantes, la transformation des plantes, la vente et le conseil ».
Le conseil d’un herboriste est donc indispensable pour un usage approprié de la plante. Si les centres antipoison et de toxicovigilance en France relèvent peu de cas d’intoxication sous forme de tisane, il existe quelques risques. « Il y a un tas de plantes que l’on peut utiliser sans danger, sauf à en prendre des quantités monstrueuses pour avoir un effet indésirable. Certaines, même à faible dose, ont des interactions avec des médicaments. Et lorsqu’il y a intoxication, cela est souvent dû à des confusions quand les gens ramassent des plantes toxiques sans le savoir », prévient le Dr Subirina.
Une biodiversité à préserver
Victimes de leur succès, certaines plantes comme la rhodiole (Rhodiola rosea), l’arnica (Arnica montana) ou la gentiane jaune (Gentiana lutea) sont désormais menacées. « Les plantes médicinales ne sont pas une ressource inépuisable. Il faut être très vigilant à propos de la disponibilité et la durabilité d’une ressource végétale », soutient Thierry Thévenin, porte parole du Syndicat Simples qui regroupe producteurs et cueilleurs. Ce membre de la Fédération des paysans herboristes et de l’Association française des professionnels de la cueillette des plantes sauvages rappelle que 90 % des 1 300 espèces médicinales produites en Europe sont récoltées à l’état naturel. « Malheureusement on assiste aujourd’hui à de plus en plus d’arrachage de plantes sauvages par des groupes organisés incontrôlables qui parcourent la France en vue de les revendre à des laboratoires », dénonce Ferny Crouvisier, présidente de l’Association pour le renouveau de l’herboristerie.
« Même s’il y a des législations et des espaces protégés comme dans les parcs nationaux, certaines espèces ne sont pas protégées partout », ajoute Thierry Thévenin. Outre les quantités abusives de prélèvement, certaines plantes comme le thym, sont déracinées au lieu d’être coupées, tandis que d’autres nécessitent un long processus de reproduction, comme la gentiane par exemple. « Pour trouver les meilleurs techniques possibles de cueillette, en terme de quantité de prélèvement ou de récolte, nous nous sommes rapprochés des chercheurs des conservatoires botaniques nationaux, dans le cadre du projet FloreS de l’Université de Lausanne.»
Un monopole dépassé
Alors que l’herboristerie traditionnelle manipule des centaines plantes, seules 148 plantes sont actuellement autorisées à la vente libre dans les commerces à condition de ne comporter aucune indication thérapeutique. Légalement, pas de conseil donc pour les vertus de la camomille, de la menthe ou du laurier, même si la réalité du terrain est tout autre, puisque le consommateur cherche souvent conseil auprès d’un spécialiste. Depuis 2014, un décret autorise néanmoins l’emploi de plantes médicinales dans les compléments alimentaires pouvant « être vendus par des personnes autres que des pharmaciens » (article D4211-12 du code de la santé publique). Si 542 plantes sont aujourd’hui concernées, les herboristes voient là une situation incongrue puisqu’ils ne sont pas autorisés à vendre ces plantes en vrac, bien que la plante naturelle soit nettement moins concentrée en principes actifs qu’en gélule.
Pour Flavien Meunier, avocat, « on touche ici au tabou et au limite du monopole pharmaceutique. Car si je prends de la feuille d’artichaut et que je la broie pour la mettre dans une gélule, je vais être autorisé à la vendre alors que si je la vends dans un sachet je vais être poursuivi pour exercice illégal de la pharmacie ! Je ne vois pas pourquoi elle serait plus dangereuse en vrac qu’en gélule, ça me dépasse, même sur le plan juridique je n’arrive pas à la comprendre.» Pour Michel Pierre, herboriste depuis plus de 40 ans à l’herboristerie du Palais Royal à Paris, la réponse est claire : « Le monopole des pharmaciens est un monopole de tiroir-caisse et pas forcément de connaissance. »
Cuisinées, les épices ont aussi leurs propriétés thérapeutiques.
Les herboristes français aspirent depuis plus d’un demi siècle à leur renaissance officielle, à l’instar de leurs collègues qui exercent en toute légalité en Belgique, en Suisse, en Allemagne ou encore en Italie. Quelques semaines avant le 5è Congrès des herboristes, des 8 et 9 avril à Angers, la Fédération française des écoles d’herboristerie a envoyé une lettre ouverte aux députés et sénateurs de France pour les interpeller sur la situation. Dans ce courrier elle rappelle que depuis 1983 les herboristes ont « formé plus de trente mille personnes passionnées, actives et spécialisées dans l’herboristerie et dans de nombreux domaines : commerces, conseils phytothérapiques, environnement, agriculture et surtout connaissance des plantes médicinales ». En sollicitant les élus, elle leur a demandé de les aider à faire reconnaître leur métier, à garantir la protection des consommateurs et à redonner confiance à la population dans sa capacité à mieux se prendre en charge dans sa prévention en matière de santé, contribuant ainsi à soulager les caisses de l’État.
Vers une nouvelle loi ?
À ce jour seuls cinq élus, de droite et de gauche, ont répondu au courrier. Parmi eux, le sénateur écologiste Joël Labbé promet d’en faire « sa mission prioritaire » s’il est réélu en septembre 2017. « Je ferai des auditions de toutes les parties concernées, pour faire un rapport parlementaire et des préconisations afin de proposer une nouvelle loi », confie-t-il. Le combat s’annonce difficile face au lobby des pharmaciens, très présent parmi les parlementaires, car une première tentative avait déjà échoué en 2011 avec la proposition du sénateur Jean-Luc Fichet.
Flavien Meunier estime que la voie juridique reste indispensable et que pour donner un coup de pouce à la cause « il faudrait que les parlementaires soient par eux-mêmes poussés par des associations, des syndicats et des pétitions pour modifier les textes. » Convaincu lui aussi par cette démarche, Joël Labbé souhaiterait faire appel aux outils de démocratie ouverte et collaborative « car si on soumet le projet de loi écrit au débat public et sur la plateforme Parlement & Citoyens, cela donnera beaucoup plus de poids».
Au-delà de la reconnaissance légale de l’herboristerie, c’est tout un patrimoine de savoir-faire traditionnel qui est en jeu. Thierry Thévenin défend ainsi l’idée « du savoir populaire des paysans herboristes grâce à une réappropriation des savoirs de la santé». « On s’est même demandé pendant ce congrès si on n’allait pas solliciter l’Unesco pour protéger ces connaissances en herboristerie», renchérit Michel Pierre. Pour sortir du cadre législatif qui enferme le métier, Patrice de Bonneval propose quant à lui « d’agrandir le champ d’action de l’herboriste, en lui donnant un aspect encore plus complet avec la création d’un nouveau concept : l’homme-plante».