L’Equipe – 01/10/2021 – Par Alexis Danjon
Les produits phytosanitaires de synthèse, tels que les fongicides ou les engrais, seront interdits au 1er janvier 2025 sur tous les terrains de sport de France et dès juillet 2022 sur les terrains en libre accès.
« Les choses avancent et il y a une vraie volonté de la part des acteurs de travailler sur le sujet et de sortir du tout produit phytosanitaire de synthèse. » Joël Labbé est un homme heureux. Il faut dire que le sénateur du Morbihan est sorti vainqueur du combat de toute une vie : l’interdiction de ces produits chimiques en dehors des zones agricoles. C’est-à-dire les jardins des particuliers, les espaces verts et les terrains de sport, dont ceux de football et de rugby.
Avec la loi Labbé, au 1er juillet 2022, ces fongicides, engrais ou autres pesticides seront interdits dans tous les stades en accès libre. Cette interdiction est toutefois reportée au 1er janvier 2025 pour les autres, notamment ceux des professionnels, comme le Groupama Stadium de l’OL, le Parc des Princes du PSG ou le GGL Stadium du Montpellier Hérault Rugby. Un délai étonnant, dans la mesure où les risques de certains fongicides pour la santé sont connus depuis plusieurs années.
« Il y a des risques que des maladies neurodégénératives, telles que la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson, se révèlent dans vingt ou trente ans », alarmait Pierre Rustin, directeur de recherche au CNRS. Encore plus étonnant : l’utilisation de certains produits phytosanitaires de synthèse restera encore possible si aucune solution technique alternative ne permet d’obtenir la qualité requise dans le cadre des compétitions officielles.
Une entourloupe de la part du monde professionnel pour pouvoir continuer à les utiliser en toute impunité ? « Absolument pas », nous assure un des participants à la dizaine de réunions réunissant le collectif gazon (FFF, LFP, FFR, LNR, FFG, AGREF et France Galop), le ministère de la Transition écologique et celui chargé des Sports. « Ils veulent vraiment avancer et ne plus utiliser ces produits. Ils ont proposé une trajectoire de sortie, une méthode de travail alternative pour l’entretien des gazons et il y a eu un consensus entre tous les participants sur cette date de sortie. Des pistes et des travaux de recherche sont engagés. »
Le collectif gazon sportif travaille désormais sur un accord-cadre avec les ministères pour un partenariat sur la recherche et le développement, visant à réduire au minimum l’usage de produits dangereux pour la santé et néfastes pour la nature. « Ces produits sont onéreux et leur application respecte des normes d’utilisation drastiques, les premiers concernés étant les responsables des terrains qui les appliquent », précise-t-on du côté de la LFP et de sa Commission dédiée aux surfaces de jeu. « On est donc véritablement sur des usages réalisés par nécessité afin de conserver des terrains sains disposant d’une bonne couverture végétale pour limiter les risques de blessure. Depuis plusieurs saisons, tous les acteurs se sont engagés dans une démarche visant à diminuer drastiquement l’usage des intrants sur les terrains, mais certaines limites se présentent toujours à nous. »
Notamment la mauvaise conception des stades multifonctions, trop fermés, créant des conditions propices à l’apparition de maladies. « Aucune solution n’a à ce jour été trouvée face à certaines maladies dévastatrices, telles que la Pyricularia. » Le dérèglement climatique est l’autre danger.
Le rugby en première ligne sur le zéro-phyto
Si le monde du football reste mesuré, le discours est beaucoup plus engagé du côté du rugby, où l’on ambitionne de se débarrasser de ces produits le plus rapidement possible. Normal, étant donné que les rugbymen passent leur match le nez dans le gazon. D’ailleurs, certains clubs ont déjà adopté une démarche zéro-phyto. Notamment le champion de France et d’Europe, le Stade Toulousain. Un précurseur. « C’est exemplaire la gestion de la pelouse au stade Ernest-Wallon depuis une dizaine d’années, en utilisant notamment les engrais organiques », s’enthousiasme Joël Labbé.
C’est également le cas de l’ASM Clermont (stade Marcel-Michelin), du Castres Olympique (stade Pierre-Fabre) ou encore de la Section Paloise (stade du Hameau). Autant de clubs en avance sur la loi, qui utilisent certains produits phytosanitaires de bio contrôle, à faibles risques et autorisés en agriculture biologique, ainsi que des autres produits de protection des plantes (macro-organismes, substances de base).
Christophe Gestain est expert pelouse à la LNR (Ligue Nationale de Rugby). Il est également responsable des terrains de l’agglomération de Pau. Celui de rugby, donc, mais aussi celui de l’équipe de football, le Pau FC (L 2). « On veut à tout prix éviter d’utiliser des produits dangereux pour l’homme et l’environnement. Nous n’utilisons donc aucun produit de synthèse, sauf en cas de force majeure, explique-t-il. On a dû en utiliser un cet été sur notre terrain de rugby car on avait un problème sanitaire grave qui pouvait détruire le gazon. Il n’y avait pas d’autre solution. L’arme chimique reste l’arme ultime. »
« dans 95 % des terrains en France, on peut être sur une démarche sans produit phytosanitaire de synthèse assez rapidement. »
Un crève-coeur pour cet expert, qui nous explique concrètement la raison de ce délai accordé au monde professionnel : « C’était impossible de tout arrêter en juillet 2022. Il faut accompagner, former aux méthodes alternatives. Il faut vraiment former les jardiniers à la nouvelle agronomie, qu’ils soient au plus près du vivant et de la nature. »
Une première journée spécifique de formation pour tous les agents en charge des terrains de sport est d’ailleurs prévue le 6 octobre à Rennes. Christophe Gestain sera un des intervenants. Il pourra partager son expérience et sa conviction : « Le zéro-phyto, on est tous pour. Ça peut prendre un peu de temps mais aujourd’hui, clairement, dans 95 % des terrains en France, on peut être sur une démarche sans produit phytosanitaire de synthèse assez rapidement. »
De partage, il en sera question si le rugby réussi sa transition zéro-phyto avant 2025. Le football suivra forcément. Et les joueurs ne seront enfin plus en contact avec ces produits dangereux pour leur santé.