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L’habitat léger, une manière de surmonter la galère de l’installation agricole

REPORTERRE  – 14/05/2021

Pour s’installer à moindre coût et éviter l’endettement, des exploitants choisissent de vivre sur leurs terres, dans un habitat léger, minimaliste et démontable. Non sans quelques obstacles juridiques et administratifs, comme en témoignent deux paysans, dans les Landes et en Indre-et-Loire.

« Je voulais montrer qu’avec très peu d’argent et en autoconstruisant, il est possible de créer une microferme fonctionnelle capable de générer un peu de revenus. » Ce n’est pas sans une once de fierté que Nicolas Marchionini regarde le travail accompli en trois ans sur son terrain autrefois vierge, à Onesse-Laharie, dans les Landes. Dans le courant de l’année 2015, à la naissance de son fils, cet ex-cuisiner a décidé sur un coup de tête de se reconvertir dans le maraîchage biologique en permaculture. À 43 ans, il fait partie de ces agriculteurs qui ont opté pour un choix de vie original : vivre en habitat léger directement sur les terres qu’il cultive.

Après avoir vécu deux ans en caravane, il s’est construit une « cabane bioclimatique sur pilotis »« Je l’ai conçue pour être démontable, autonome en eau et à terme en électricité. À part les tôles, tout est fait en matériaux naturels et locaux », détaille-il. Pour cet autodidacte qui, dans une autre vie, a eu une expérience de chef de chantier, la sobriété énergétique et la non artificialisation des sols étaient des conditions sine qua non de son installation. Mais c’est avant tout l’argument économique qui l’a poussé à faire ce choix. « Je n’avais que 50 000 euros à investir. J’ai tout fait pour éviter un maximum de charges », résume-il. Un projet qui semble fonctionner puisque Nicolas, qui travaille en collaboration avec un autre maraîcher bio, anticipe pour l’année 2021 des revenus nets allant de 900 à 1 200 euros par mois.

 

Des initiatives comme celles de Nicolas semblent aujourd’hui éparses et marginales. Elles s’inscrivent pourtant dans un mouvement bien plus ancien. « La démarche d’aller vivre en habitat léger ou mobile s’inscrit dans un ensemble de luttes qui commencent dans les années 1970. Elles posent la question de l’accès au logement et à l’alimentation et défendent un droit des peuples à contrôler leurs ressources et à se maintenir en autonomie », explique Béatrice Mesini, chargée de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), autrice du livre Du local au mondial — Alternatives rurales et luttes paysannes (Université de Provence, 2008) et par ailleurs membre de l’association des Habitants de logements éphémères ou mobiles (Halem).

Parmi les syndicats agricoles, la Confédération paysanne, jointe par Reporterre, voit dans l’habitat léger « une opportunité parmi tant d’autres de faciliter l’accès aux terres agricoles et les transmissions, notamment dans des zones à forte pression foncière ». En effet, le coût de l’installation est une des raisons qui explique l’érosion rapide et continue du nombre de néo-agriculteurs depuis vingt ans. Selon la Mutuelle sociale agricole (MSA), tous âges confondus, 13 400 agriculteurs se sont installés en 2019 contre 17 000 en 2000. Une baisse de plus de 20 % en moins de vingt ans qui concerne une population déjà faible puisque le secteur agricole ne compte que 400 000 actifs.

À 36 ans, Manuel Guérin s’est confronté à l’épineuse question de la transmission des terres en reprenant la ferme de son père, près de Braye-sur-Maulne, en Indre-et-Loire. Étant donné qu’il ne pouvait pas vivre dans la ferme familiale et n’avait pas suffisamment d’économies pour acheter un logement en dur à proximité, cet agriculteur-éleveur converti à l’agriculture biologique a décidé en 2019 de s’installer en yourte sur un de ses quarante hectares. « Je pense rester quelques années, c’est une solution de transition, le temps que je lance vraiment mon activité », résume-t-il.

« Le système actuel ne permet plus à des paysans de s’installer progressivement »

Béatrice Mesini estime que les agriculteurs se tournent vers de telles alternatives par ce que « le système actuel ne permet plus à des paysans de s’installer progressivement, sur la base d’une petite activité vivrière. Il faut tout de suite obéir au diktat de la viabilité économique et être rentable ». Les aides telles que la dotation jeune agriculteur (DJA) sont en effet conditionnées à la viabilité économique de l’entreprise. Le demandeur doit nécessairement présenter un plan d’entreprise lui permettant de dégager un revenu au moins égal à un Smic net quatre ans après le lancement du projet. Une condition presque impossible à remplir lorsque l’on se lance sans capitaux et qui n’empêche pas les jeunes agriculteurs de s’endetter.

Pour l’association Halem, qui se bat sur ces questions depuis 2005, comme pour la Confédération paysanne, le choix de l’habitat léger est opportun mais doit répondre à un cahier des charges. Paul Lacoste, responsable des questions juridiques au sein d’Halem, revendique « un droit d’implantation pour tous les porteurs de projets, notamment agricoles, dès lors qu’ils garantissent la réversibilité, l’autonomie et la sécurité de leur installation ». Le syndicat paysan insiste de son côté sur « la nécessité pour le cultivateur d’être en permanence sur sa terre agricole, comme dans le cas du maraîchage ou de l’élevage ».

Si l’installation des agriculteurs en habitat réversible réussit souvent à se fondre dans le paysage local en raison d’une « plus grande tolérance des élus vis-à-vis de cette population », selon Paul Lacoste, le chemin de l’habitat léger reste encore semé d’embûches juridiques et administratives.

Nicolas Marchionini comme Manuel Guérin sont tous les deux visés par des procédures exigeant la démolition imminente de leurs installations. Le premier a été condamné le 8 avril dernier pour « infraction aux dispositions du plan local d’urbanisme » pour avoir installé sa cabane sur une « zone naturelle protégée » inconstructible. Après avoir demandé le passage en zone agricole à l’occasion d’un changement du plan local d’urbanisme — la décision est encore en attente — pour régulariser sa situation, Nicolas a décidé de faire appel : « On me demande de démolir de façon arbitraire au nom de la protection de la biodiversité alors que personne n’est jamais venu sur place estimer si je dégradais ou non le terrain. »

Quant à Manuel, son permis de construire a été refusé en novembre dernier en raison de sa proximité avec un bâtiment classé, situé sur une commune voisine. Bien qu’hors du champ de vision du bâtiment en question, l’arrêté municipal stipule que la yourte « n’est pas de nature à s’intégrer harmonieusement dans l’environnement bâti et paysager ». L’agriculteur, qui a reçu le soutien d’Halem, de l’Association pour le développement de l’emploi agricole et rural (Adear) et de la Confédération paysanne locale, demande à présent un nouveau permis de construire « à titre précaire », en faisant valoir la nécessité économique et le côté provisoire de son projet. Sollicité par Reporterre, la mairie de Braye-en-Maulne n’a pas souhaité s’exprimer sur la situation.

Ces situations sont loin d’étonner Paul Lacoste : « La loi ne distingue pas les bâtiments légers et ceux en dur qui ont un impact pour le sol. La seule dérogation prévue pour les habitats légers en zones non constructibles, le Stecal [1], est une démarche peu connue, lente et complexe tant pour les demandeurs que pour les élus qui bien souvent la refusent. »

Ces déboires juridiques sont d’autant plus surprenants qu’une autre loi, concomitante à la loi Alur, a été promulguée justement pour favoriser l’accès aux terres agricoles, y compris en habitat léger. La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, du 13 octobre 2014 déclare en effet dans son « livre préliminaire » que « la politique en faveur de l’agriculture et de l’alimentation […] a pour finalités d’accompagner l’ensemble des projets d’installation » et « d’encourager les formes d’exploitation progressives ». Le cas des agriculteurs en habitat léger est pourtant rarement débattu sur la base de cette loi et les politiques semblent se désintéresser du sujet. Exception notable, le sénateur écologiste du Morbihan Joël Labbé. Il est l’un des seuls parlementaires à s’intéresser au sujet et travaille actuellement, en collaboration avec plusieurs associations du secteur, à un projet de révision de la loi Alur visant à permettre une meilleure inclusion des habitats légers.

De son côté, l’association Halem entend profiter du cas de Manuel Guérin — médiatisé grâce à une pétition qui a obtenu plus de 50 000 signatures — pour interpeller les pouvoirs publics et demander à ce que cessent les poursuites judiciaires qui visent les agriculteurs ayant fait le choix de l’habitat alternatif.

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