ACTU ENVIRONNEMENT – Par Laurent Radisson / 21-01-16
Le Sénat a voté un amendement au projet de loi sur la biodiversité qui interdit le brevetage des gènes natifs. Les défenseurs des semences paysannes, mais aussi le Gouvernement et le GNIS, se réjouissent de cette avancée.
Les sénateurs ont adopté mercredi 20 janvier en séance publique plusieurs amendements au projet de loi sur la biodiversité visant à limiter le brevetage du vivant. Une avancée saluée à la fois par la ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, les professionnels des semences et par les défenseurs des semences traditionnelles.
Interdire le brevetage des gènes natifs
Un premier amendement, présenté par trois groupes politiques différents (CRC, Ecol., sénateurs RDSE), étend l’exclusion de la brevetabilité des procédés essentiellement biologiques, pour l’obtention des végétaux et des animaux, à leurs parties et composantes génétiques. « Les techniques génétiques récentes permettent de contourner cette interdiction, comme en témoigne la pratique de l’Office européen des brevets (OEB) », a expliqué le sénateur RDSE Guillaume Arnell.
« Nous connaissons tous ces laitues résistantes aux pucerons obtenus par un procédé de sélection classique, utilisées par des agriculteurs qui se sont vu soudain réclamer des redevances par une firme néerlandaise qui a repéré le même gène dans une laitue sauvage », a appuyé Ségolène Royal. « Ces brevets sur les traits natifs résultent des progrès récents des outils de séquençage génétique qui n’existaient pas lorsque l’actuel code de la propriété intellectuelle a été rédigé », a expliqué le sénateur écologiste Joël Labbé, auteur de l’un de ces amendements.
« L’Office européen des brevets a pris des décisions contestables, validant des brevets portant sur des plants de brocolis ou de tomates porteurs de traits natifs qui facilitent leur récolte. Cela fait porter un risque de concentration du secteur. Un sélectionneur traditionnel pourrait se voir poursuivre pour contrefaçon ; or nous connaissons la place de cette industrie en France », a alerté le rapporteur LR Jérôme Bignon.
« Vent d’espoir contre la biopiraterie »
« Je me réjouis de cette grande avancée », se félicite la ministre de l’Ecologie dans un communiqué. « Par l’adoption d’une telle mesure, la France envoie un signal fort à ses partenaires européens en vue d’une évolution de la réglementation européenne sur les gènes natifs, de manière à limiter les brevets sur le vivant », ajoute la ministre de l’Ecologie qui précise qu’elle défend fermement un autre outil : les certificats d’obtention végétale (COV), « système de protection intellectuelle ouvert et garantissant un libre accès à la réutilisation ».
Une position de défense des COV partagée par le Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS). « Nous sommes satisfaits de ces dispositions, déclare Delphine Guey, directrice des affaires publiques du groupement, car elle permet d’éviter la brevetabilité de découvertes et non des inventions ».
La Confédération paysanne et le Réseau Semences paysannes saluent, de leur côté, ce « vent d’espoir contre la biopiraterie ». D’autant, indiquent les organisations, que l’Office européen des brevets rendait au même moment une décision cette fois-ci favorable à leur cause : l’annulation d’un brevet établi par Monsanto sur des melons rendus résistants à une maladie virale après un « simple croisement » avec des melons traditionnellement cultivés en Inde.
Le syndicat paysan et le réseau de défense de la « biodiversité cultivée » regrettent toutefois que les sénateurs ne se soient prononcés que sur le brevetage des gènes, laissant de côté les combinaisons génétiques non encore connues. « Ils n’ont pas non plus voulu décider que les manipulations génétiques qui produisent de telles combinaisons génétiques, appelées « NBT » pour « New Breeding Techniques », soient soumises à la réglementation OGM, alors qu’il s’agit bien de la même chose », déplorent-ils.
Faciliter les échanges de semences entre agriculteurs
La Confédération paysanne et le Réseau Semences paysannes saluent aussi « l’élargissement de l’autorisation d’échange de semences entre agriculteurs » ainsi que « l’interdiction de fait des semences non reproductibles, dites Terminator ».
Un amendement a en effet été voté afin de préserver les semences traditionnelles. « Des semences issues d’un travail séculaire, voire millénaire, ne peuvent plus être utilisées par des agriculteurs en raison d’un accaparement illégitime. À terme, la qualité des fruits et légumes est menacée. Il s’agit aussi de défendre la liberté de nos cultivateurs et maraîchers », a fait valoir son auteur, le sénateur LR François Grosdidier. « Mettons fin aux menées oligopolistiques qui imposent des semences stériles et fragiles, responsables de la perte de nos sols et de la biodiversité cultivée », a renchéri l’écologiste Joël Labbé, auteur d’un amendement identique.
Un autre amendement, présenté également par le groupe écologiste et par des sénateurs LR et UDI-UC, permet aux agriculteurs d’échanger des semences reproductibles même s’ils ne sont pas membres d’un groupement d’intérêt économique et environnemental (GIEE). « Cette mesure, très attendue par les agriculteurs, depuis longtemps, fluidifiera les marchés, développera les échanges de bonnes pratiques et créera des emplois en milieu rural. C’est une grande avancée », a déclaré la ministre de l’Ecologie.
Reste maintenant à voir si ces dispositions passeront le barrage de la deuxième lecture du texte, à l’Assemblée puis à nouveau au Sénat, alors que les dates de ce nouvel examen ne sont pas encore connues.