LE MONDE – – Par Sophie Landrin
Série « Les années Hollande ». Malgré une victoire diplomatique sur le climat, le président sortant ne s’est jamais converti à l’écologie. Il lègue cependant deux lois sur la transition énergétique et la biodiversité.
C’est l’image d’une victoire diplomatique et historique incontestable – sans doute la plus joyeuse du quinquennat. Le 12 décembre 2015, à la tribune de la salle plénière du palais des expositions du Bourget, François Hollande, son ministre des affaires étrangères et président de la COP21, Laurent Fabius, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, la secrétaire exécutive de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, Christiana Figueres, et la négociatrice en chef de la France, Laurence Tubiana, triomphent main dans la main, les bras levés. Dans la salle, délégués, diplomates, ONG saluent le coup de marteau du président de la COP21 d’une longue salve d’applaudissements et de cris de liesse.
Au terme de douze jours d’intenses discussions, 195 Etats viennent de conclure le premier traité universel de lutte contre le changement climatique, visant à limiter la hausse des températures « bien au-dessous du seuil » des 2 °C, et si possible sous celui de 1,5 °C. Paris donne son nom à l’un des accords internationaux les plus importants pour l’avenir de la planète, en surchauffe sous l’effet des émissions humaines de gaz à effet de serre.
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La COP21 efface des années de négociations infructueuses. Le rôle de la France et l’habileté de Laurent Fabius sont unanimement soulignés, de même que l’intuition du chef de l’Etat, qui se porta candidat en 2012 pour accueillir en France ce rendez-vous de la dernière chance dont aucune nation ne voulait, tant son issue semblait écrite à l’avance. Six ans auparavant, le sommet de Copenhague s’était soldé par un échec retentissant.
Voyants au rouge
Le chef de l’Etat français souligne l’entrée du monde « dans l’ère du bas carbone ». « C’est un mouvement puissant et irréversible, affirme-t-il. Le combat pour le climat participe d’une lutte engagée depuis des siècles, des décennies pour la dignité humaine, une lutte pour l’égalité, une lutte pour les droits fondamentaux. »
Mais le rideau de la COP21 tombé, François Hollande est bien décidé à ne rien changer. Nicolas Hulot demande au président de la République de renoncer au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui entre désormais en contradiction avec les engagements climatiques de la France. Le président refuse de trancher cette affaire pourtant hautement symbolique pour les écologistes, et trouve un stratagème : il propose aux électeurs de Loire-Atlantique de se prononcer lors d’un référendum dont la représentativité et la légitimité sont immédiatement contestées par les opposants. Le président quittera le pouvoir, le 14 mai, en laissant à son successeur un dossier encore plus enlisé qu’à son arrivée.
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Sur la question des énergies fossiles, point-clé de la lutte contre le réchauffement climatique, le chef de l’Etat est incapable de tenir une ligne claire. En avril 2016, il promet la fin des subventions au charbon et annonce l’instauration unilatérale par la France d’un prix plancher pour la tonne de carbone dans le secteur de la production électrique. La mesure, réclamée par les organisations non gouvernementales, n’entrera jamais en vigueur. En octobre, le gouvernement renonce face aux manifestants de la CGT qui brandissent la menace de la fermeture des centrales à charbon et la suppression de 5 000 emplois directs et indirects. Pour les ONG, ce revirement est « irresponsable » et porte « un coup à la crédibilité de la France » à la veille de l’entrée en vigueur de l’accord de Paris.
Pourquoi François Hollande ne s’est-il pas emparé de la victoire de la COP21 pour réorienter l’action de son gouvernement et redonner du lustre à son quinquennat, à l’image de Barack Obama, l’un des artisans du succès de la COP21, qui a fait de la lutte contre le réchauffement la pierre angulaire de la fin de son mandat ? Avant de quitter la Maison Blanche, le président américain a multiplié les gestes en faveur de l’environnement : renoncement au projet d’oléoduc géant Keystone XL, interdiction de tout forage dans l’océan Arctique, sanctuarisation de millions d’hectares de territoires marins et terrestres… Cet héritage, que l’administration Trump s’emploie à défaire pièce par pièce, est fragile. Mais il est bien là.
Sans doute François Hollande ne s’est-il jamais vraiment converti à l’écologie. Même Ségolène Royal, qui défend ardemment son bilan, l’admet à demi-mot : « L’environnement, ce n’est pas sa sensibilité de base. » Alors que tous les voyants climatiques sont au rouge, François Hollande s’inscrit bien davantage dans la tradition productiviste du Parti socialiste. « Il y a eu un décalage flagrant entre les paroles très fortes de François Hollande à l’international et la réalité de son action sur le plan intérieur », note Géraud Guibert, le président du think tank la Fabrique écologique. La raison en est simple : « Il est resté un court-termiste forcené, alors que l’écologie implique une vision à long terme. Il a toujours pensé que l’environnement est un sujet de niche pour les écologistes, au lieu de l’intégrer comme un élément structurant d’une politique économique. »
Signaux contradictoires
Dès le début du quinquennat, le chef de l’Etat envoie des signaux contradictoires. Il convoque une première conférence environnementale pleine de promesses réunissant tous les acteurs, ONG, industriels, élus, syndicats, et appelle à ses côtés le médiatique et populaire Nicolas Hulot comme envoyé spécial pour la protection de la planète. Mais l’Elysée et Matignon font valser les locataires de l’hôtel de Roquelaure, siège du ministère de l’écologie, comme des pions dans un jeu de l’oie. A peine nommée, Nicole Bricq est démise de ses fonctions pour avoir voulu geler les permis de forage pétroliers en Guyane et réformer le code minier. Ses deux successeurs, Delphine Batho et Philippe Martin, ne résisteront pas plus d’une année chacun. La première est limogée pour avoir critiqué les coupes budgétaires imposées à son ministère. Le second fera les frais du changement de premier ministre. Il faut attendre l’arrivée de Ségolène Royal, le 2 avril 2014, pour stabiliser le ministère.
L’ancienne candidate à l’élection présidentielle a suffisamment d’envergure politique et médiatique, et de proximité avec le président, pour imposer l’environnement à l’agenda du gouvernement. « Quand je suis arrivée, raconte t-elle, le ministère était totalement déprimé, épuisé, par l’instabilité et l’incompétence. J’ai trouvé dans les cartons un travail sur la transition énergétique totalement inabouti. Je me suis enfermée pendant trois jours avec mes équipes pour tout reprendre. » En une année, à marche forcée, elle fait adopter définitivement par le Parlement un texte de 66 articles qui dessine, pour le milieu du siècle, un modèle énergétique plus sobre, plus durable et moins nucléarisé.
La France devra notamment réduire de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, et les avoir divisées par quatre en 2050 (par rapport à 1990) ; diminuer de moitié sa consommation d’énergie avant 2050, baisser la part des énergies fossiles de 30 % à la même échéance ; promouvoir les énergies renouvelables pour atteindre 32 % de la consommation d’énergie et 40 % de la production d’électricité à cette date. Même si la loi réaffirme la suprématie du nucléaire, elle place la France sur la voie d’une véritable transition.
« François Hollande a posé deux actes fondateurs pour un modèle plus écologique : l’accord de Paris sur le climat et, sur le plan intérieur, la loi sur la transition énergétique qui fixe le cadre le plus pertinent en Europe, et place la France sur une trajectoire compatible avec l’objectif de contenir le réchauffement climatique sous 2 °C », analyse Pascal Canfin, le président de WWF France et ancien ministre délégué au développement (2012-2014).
Le conflit de Sivens dénoué
Ségolène Royal dote également le pays d’une loi sur la biodiversité – la première – qui inscrit dans le code civil la reconnaissance du préjudice écologique. La ministre étend les zones de protection marines, interdit le bisphénol A dans tous les contenants alimentaires, ainsi que les sacs de caisse en plastique. Quant aux néonicotinoïdes, ces pesticides tueurs d’abeilles, ils devraient être interdits dès 2018, avec dérogations possibles jusqu’en 2020, grâce à l’impulsion de parlementaires socialistes et écologistes, au premier rang desquels Delphine Batho, Laurence Abeille, Gérard Bapt ou Joël Labbé. Cependant, sur le front de la protection des riverains soumis aux épandages, aucune avancée notable n’est enregistrée.
La ministre s’illustre encore sur le dossier des boues rouges de Gardanne, qui polluent depuis des années la Méditerranée, mais elle perd la bataille contre le premier ministre Manuel Valls, qui donne son quitus à l’usine Alteo pour poursuivre son activité et continuer à déverser des effluents toxiques dans le parc marin des Calanques. Elle dénoue le conflit du barrage de Sivens, où un jeune homme a trouvé la mort dans l’affrontement avec les gendarmes, mais elle échoue à convaincre le chef de l’Etat de dire adieu au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
Sur le plan de la protection des espèces sauvages, le bilan de la ministre est pour le moins contrasté. Pendant tout son mandat, elle n’a cessé de faciliter l’abattage des loups, estimant qu’« il y en a beaucoup trop » ; elle a également refusé un lâcher d’ours dans les Hautes-Pyrénées, où l’espèce est menacée de disparition. A la veille de son départ, la ministre a toutefois donné des gages aux associations de protection des animaux, en interdisant la reproduction des orques et des dauphins en captivité, entraînant, à terme, la fin des delphinariums. « C’est bien d’aller en Afrique plaider pour la sauvegarde des éléphants, mais c’est aussi important de défendre les espèces menacées sur son propre territoire », relève Pascal Canfin.
« Tache noire du quinquennat »
Mais, surtout, la ministre a commis aux yeux des défenseurs de l’environnement une erreur impardonnable. Au nom du refus d’une « écologie punitive », Ségolène Royal signe dès son arrivée l’abandon de l’écotaxe sur les poids lourds. Imaginé lors du Grenelle de l’environnement en 2008, voté à l’unanimité des parlementaires en 2009 sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, plusieurs fois reporté, le dispositif consiste à taxer le fret routier polluant au profit de modes de transport plus vertueux. En Bretagne, le projet provoque une levée de boucliers des transporteurs et des agriculteurs. Sous la pression des « bonnets rouges », le gouvernement recule, puis renonce.
« Cet abandon est la tache noire du quinquennat, assure Géraud Guibert. Le gouvernement a commis une erreur coupable. » La Cour des comptes elle-même déplore, dans son rapport de 2017, « le gâchis » de l’écotaxe, « un projet ambitieux » qui s’est soldé par un « échec stratégique » et un « abandon coûteux », estimé à près de 11 milliards d’euros.
C’est bien l’illisibilité de l’action environnementale du gouvernement qui marque le quinquennat de François Hollande. « Il n’y a pas eu de cap. Globalement, la question de l’environnement est restée pour François Hollande une variable d’ajustement. Dès qu’il s’est agi de traduire des choix diplomatiques en décisions concrètes, la politique a repris le dessus. Ce qui a fait défaut au quinquennat, c’est la cohérence d’ensemble », estime Pascal Canfin.
François Hollande a jeté les bases d’une transition mais d’immenses chantiers restent à réaliser : la réforme d’un modèle agricole à bout de souffle, la lutte contre la pollution de l’air, la mutation des transports, le combat contre les pesticides et les perturbateurs endocriniens, la mise en place d’une vraie fiscalité écologique ou encore la protection de l’océan. Dimanche 14 mai, il confiera les clés au nouveau président élu, qui a fait de l’environnement un thème mineur de sa campagne.