ACTU.FR – 21/05/2019
Bête noire des firmes agrochimiques, le sénateur Joël Labbé est persuadé d’une chose : la mobilisation citoyenne est le plus fort des contre-lobbies. Entretien.
Figurez-vous dans le fichier Monsanto ?
Je n’ai pas eu d’info. Si j’y étais, on me l’aurait dit… Mais comme je ne suis pas fréquentable pour ces gens-là, j’imagine que je ne suis pas »fichable ». Si ça avait été le cas, j’aurais été noté en dessous de tout, car ils n’ont pas du tout apprécié la Loi Labbé, sans compter mes positions régulières concernant les pesticides et l’agrochimie en général.
Comment réagissez-vous aux propos du député UDI de Haute-Garonne, Pierre Médevielle, qui a déclaré que le glyphosate était moins cancérogène que la viande rouge et la charcuterie ?
C’est du réchauffé ! Régulièrement, dans la production de Monsanto, il y a ce genre d’argument. Avant Médevielle, il y a eu le sénateur de la Manche, Jean Bizet, qui a sorti exactement la même chose.
Doit-on y voir là une preuve du lobbying exercé auprès des parlementaires ?
Je suis très mal placé pour répondre, car je ne suis pas fréquentable. Mais, lors de l’élaboration de la Loi Labbé, j’ai pu voir très précisément comment les firmes ont tout fait pour que cette loi ne trouve pas de majorité. Il y a tout un système bien organisé. Par exemple, il y a l’UIPP (Union des industries de la protection des plantes) dans laquelle on retrouve les firmes agrochimiques, avec de gros moyens, en lien avec les grosses coopératives agricoles, le gros syndicat agricole (FNSEA), et avec les industries agroalimentaires. Tout ça fonctionne ensemble ; ils ont des liens réguliers avec les personnes influentes dans les partis politiques ; ils ont leurs entrées dans les ministères, à Matignon et à l’Élysée. Ça a été une des raisons du départ de Nicolas Hulot du gouvernement.
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La Loi Labbé interdit l’achat, l’usage et la détention de tous les produits phytosanitaires de synthèse par les particuliers, depuis le 1er janvier 2019. Cette loi interdit également le recours aux pesticides par les collectivités depuis deux ans.
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Comment peut-on lutter contre le lobbying de ces firmes ?
Le système semble incontournable, hypercostaud et avec de gros moyens. Mais, il est fragile, car on peut le contrer grâce à la mobilisation citoyenne qui est le plus fort des contre-lobbies. Moi, qui suis souvent sur ces sujets un élu minoritaire, je compte beaucoup sur le poids de l’opinion publique pour faire en sorte que les parlementaires puissent prendre leurs décisions en leur âme et conscience. Le contre lobbying citoyen, c’est aussi les citoyens qui prennent conscience qu’ils peuvent avoir une influence dans la mesure où ils sont à même d’interpeller leurs parlementaires tout le temps, en dehors des campagnes électorales. La Loi Labbé est passée grâce à la mobilisation citoyenne. Aujourd’hui, je travaille pour la réhabilitation du métier d’herboriste et la reconnaissance des plantes médicinales. Je n’ai pas, actuellement, de majorité pour faire passer un texte. Je me donne un an et d’ici là, il y aura une proposition de loi qui aura trouvé une majorité car le débat va dépasser les clivages politiques et va devenir un débat public.
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« Mon autre objectif : que la Loi Labbé devienne européenne »
La Loi Labbé est-elle achevée ?
Non, elle n’est pas terminée. Pour qu’elle puisse être adoptée, on avait accepté que les cimetières et les terrains de sport ne soient pas concernés. Avec la végétalisation des cimetières et le Zéro phyto, on va proposer un amendement pour que les cimetières soient inclus dans la Loi Labbé. Pour les terrains de sport, il existe des nouveaux gazons avec des formules de bio stimulant. La Loi Labbé est un pied dans la porte car ce sont les mêmes molécules utilisées par les particuliers qui le sont par les agriculteurs. Le but est d’interdire l’ensemble des molécules de synthèse qui présentent un danger pour la santé, pour l’environnement. Mon autre objectif est que la Loi Labbé devienne européenne.
« Il faut travailler avec la nature et pas contre elle »
Peut-on se passer de glyphosate ?
C’est déjà expérimenté avec l’agrobiologie et l’agriculture bio qui montrent qu’on peut faire sans. Il existe des alternatives avec un changement complet des pratiques agricoles. Il faut travailler avec la nature et pas contre elle. On s’en sortira avec les pratiques de l’agrobiologie. Et pour y arriver, il faut réorienter les aides de la Pac (Politique agricole commune) pour soutenir une agriculture vertueuse et inciter les agriculteurs à aller vers ces pratiques. Je milite aussi pour une relocalisation de l’alimentation. Il faut faire en sorte que pour 2030, la majeure partie des produits agricoles consommés ici soit produite ici.
« J’ai un côté libertaire ; j’ai du mal à marcher au pas »
Quelle serait votre société idéale ?
Ce serait une société basée sur la réconciliation entre les humains entre eux et les humains avec l’ensemble du monde vivant. Une réconciliation avec la planète. Un signe positif, c’est la prise de conscience des jeunes générations et leur capacité de mobilisation. Le plus beau projet, c’est assurer la survie de l’humanité sur cette planète. Cette réconciliation ne peut pas se faire dans un monde ultralibéral où le marché est maître. Je ne condamne pas l’économie de marché, mais je demande qu’elle soit hyper régulée par la puissance publique.
Pourquoi avez-vous quitté Europe Écologie Les Verts en décembre 2016 ?
Le projet d’EELV me convient, mais j’ai beaucoup de mal avec les appareils politiques. J’ai besoin d’être libre. Ça me dérangeait qu’on vienne me dire comment faire. J’ai un côté libertaire ; j’ai du mal à marcher au pas. Mais malgré tout, je reste de la grande famille écologiste et je soutiens la liste de Yannick Jadot aux Européennes.