PROPOSITION DE RÉSOLUTION
en application de l’article 34-1 de la Constitution,
pour exclure les investissements publics de la transition écologique et énergétique du déficit budgétaire,
Enregistrée à la Présidence du Sénat le 17 octobre 2022
Présentée par
MM. Jean-François LONGEOT, Jean-Pierre MOGA, Vincent DELAHAYE, Mme Valérie LÉTARD, MM. Ronan DANTEC, Guillaume GONTARD, Joël LABBÉ, Mmes Catherine MORIN-DESAILLY, Françoise GATEL, MM. Joël GUERRIAU, Éric GOLD, Mme Esther BENBASSA, MM. Pierre MÉDEVIELLE, Michel CANÉVET, Mme Annick BILLON, MM. Alain MARC, Jean-Marie JANSSENS, Alain HOUPERT, Claude KERN, Mme Élisabeth DOINEAU, MM. Daniel CHASSEING, Jean-Marie VANLERENBERGHE, Yves BOULOUX, Mme Évelyne PERROT, MM. Marc LAMÉNIE, Jacques LE NAY, Pierre LOUAULT, Mme Sonia de LA PROVÔTÉ, M. Jean-Pierre CORBISEZ, Mmes Nathalie DELATTRE, Frédérique ESPAGNAC, MM. Michel LAUGIER, Daniel BREUILLER, Cyril PELLEVAT, Jean-Pierre GRAND, Mme Nassimah DINDAR, M. François BONNEAU, Mmes Lana TETUANUI, Annick JACQUEMET, MM. Bruno BELIN, Jean-Pierre DECOOL, Mme Françoise FÉRAT, MM. Franck MENONVILLE, Henri LEROY, Mmes Denise SAINT-PÉ et Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, Sénateurs et Sénatrices
Exposé des motifs
Mesdames, Messieurs,
L’été 2022, marqué par plusieurs épisodes caniculaires et une sécheresse sans précédent, a été le plus chaud jamais enregistré en Europe, d’après les données du service européen sur le changement climatique Copernicus, qui relève qu’une « série intense de canicules à travers l’Europe, couplée à des conditions de sécheresse inhabituelles, a conduit à un été d’extrêmes, avec des records en matière de températures, de sécheresse et d’incendies ». Par ailleurs, les incendies « hors normes » de l’été 2022, notamment en Gironde, ont marqué les esprits par leur intensité, leur vitesse de propagation, leur durée et les surfaces brûlées1(*).
Ces phénomènes climatiques extrêmes ne feront que s’accentuer, aggravés par le réchauffement climatique que l’Accord de Paris de 2015 souhaite limiter le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à 2, de préférence à 1,5 degré Celsius, par rapport au niveau préindustriel d’ici 2100.
Au regard de cette urgence climatique, la nécessaire transition écologique et énergétique passera aussi bien par une évolution de nos modèles de production que de consommation. Mais cette évolution majeure nécessite d’accroître les investissements publics et privés dédiés. En France comme en Europe, les investissements nécessaires sont ainsi estimés entre 2,5 et 4 % du PIB, soit un montant entre 62 et 100 milliards d’euros pour notre pays. Le plan France Relance et le plan d’investissements France 2030 ont permis d’accentuer l’effort en faveur de la transition écologique. Pour autant, les montants mobilisés restent en deçà des besoins colossaux d’investissements pour répondre aux urgences climatiques et environnementales et favoriser la résilience des territoires. De tels investissements pourraient être co-financés par les pouvoirs publics, afin de remédier aux défaillances du marché ou à des situations d’investissement non optimales, afin d’attirer les investisseurs privés au lieu de se substituer à eux avec l’objectif d’éviter de favoriser des effets d’aubaine tout en bénéficiant de puissants effets de levier.
De tels investissements sont aujourd’hui impossibles en raison de nos règles de comptabilité nationale et européenne qui considèrent le déficit public comme un besoin net de financement et ne distinguent pas, à la différence du régime applicable aux entreprises, les dépenses de fonctionnement des dépenses d’investissement. Il serait souhaitable que ces dernières puissent être amorties sur plusieurs années. La comptabilité nationale, en ne prenant pas en compte l’amortissement des investissements, mais en assimilant le montant des investissements pour une année donnée à un besoin de financement, conduit donc à un sous-investissement chronique.
La présente résolution propose ainsi d’exclure du calcul du déficit les fonds publics affectés aux investissements de transition écologique et énergétique.
Au niveau national, cela reviendrait à demander à l’Insee de corriger le calcul du déficit en excluant le montant net des investissements dédiés à la transition écologique et énergétique et en y incluant les charges d’intérêt et la dépréciation du capital.
Au niveau européen, cela reviendrait à utiliser les mécanismes de flexibilité existants. Tout d’abord, la prise en compte de l’investissement public de transition relève des objectifs politiques de l’Union européenne (UE) en matière d’environnement exprimés à l’article 3 du traité sur l’Union européenne. Par la suite, un assouplissement de la clause d’investissement permettant une déviation temporaire de l’objectif de moyen terme en raison d’investissements spécifiques ayant des effets budgétaires de long terme positifs pourrait être envisagé. Enfin, consciente d’un sous-investissement durable en Europe malgré des liquidités suffisantes, la Commission européenne a fait de la transition écologique du continent une priorité et de la neutralité carbone une cible à l’horizon 2050. Pour ce faire, plusieurs programmes et trains de mesures en assurent les déclinaisons opérationnelles, au travers notamment du pacte vert pour l’Europe, du plan de relance Next Generation UE et du mécanisme pour une transition juste, afin d’assurer l’équité de la transition vers une économie climatiquement neutre.
La présente proposition de résolution pourrait ainsi s’envisager dans le cadre de nouveaux dispositifs de flexibilité conduisant à ne pas tenir compte des investissements dans l’évaluation de l’objectif budgétaire de moyen terme d’un État. La solution proposée par la présente résolution représenterait également un outil national rapidement opérationnel pour la déclinaison nationale des ambitieuses cibles climatiques et environnementales définies par la Commission européenne, dans une logique de subsidiarité.
Cette proposition de résolution propose enfin une solution alternative aux augmentations de fiscalité liée au carbone et à l’énergie et à l’origine du mouvement des gilets jaunes, les recettes fiscales supplémentaires n’ayant pas été orientées vers le financement de la transition écologique, mais vers des allégements de la fiscalité pesant sur d’autres produits, travaux ou revenus.
* 1 Ainsi que l’a montré en août 2022 le rapport d’information Feux de forêt et de végétation : prévenir l’embrasement, de Jean BACCI, Anne-Catherine LOISIER, Pascal MARTIN et Olivier RIETMANN, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques.
Proposition de résolution
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu le traité sur l’Union européenne et son article 3 disposant que l’Union européenne « œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et […] une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend [à] un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement »,
Vu le règlement (UE) n° 549/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux dans l’Union européenne,
Vu le règlement (CE) n° 1466/97 du Conseil du 7 juillet 1997 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques et le règlement (CE) n° 1467/97 du Conseil du 7 juillet 1997 visant à accélérer et à clarifier la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs,
Vu la communication du 13 janvier 2015 de la Commission au Parlement européen, au Conseil, à la Banque centrale européenne, au Comité économique et social européen, au Comité des régions et à la Banque européenne d’investissement intitulée : « Utiliser au mieux la flexibilité offerte par les règles existantes du Pacte de stabilité et de croissance », COM(2015) 12 final,
Considérant la définition du déficit public au sein des traités européens comme « le besoin net de financement, tel que défini dans le système européen de comptes économiques intégrés », traduisant un besoin de financement ne permettant pas d’opérer une distinction entre dépenses en capital et dépenses de fonctionnement ;
Considérant la nécessité d’accroître significativement l’investissement public et privé dédié à la transition écologique et énergétique ;
Considérant que le développement durable, la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement sont des priorités de l’Union européenne ;
Considérant la clause d’investissement permettant aux États membres de l’Union européenne de déroger ponctuellement et dans un cadre limité aux règles budgétaires encadrant le volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance ;
Invite le Gouvernement à envisager une modification des règles de calcul du déficit budgétaire, notamment en isolant le montant net des investissements publics en faveur de la transition écologique du calcul du déficit budgétaire et en y incluant les charges d’intérêt et la dépréciation du capital.
Voir la proposition de résolution : https://www.senat.fr/leg/ppr22-056.pdf
Voir le dossier législatif : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr22-056.html