PROPOSITION DE LOI relative au choix libre et éclairé d’une assistance médicalisée pour une fin de vie digne
Enregistrée à la Présidence du Sénat le 2 décembre 2013
Présentée par Mme Corinne BOUCHOUX, MM. Jean DESESSARD, Jean-Vincent PLACÉ, Mmes Aline ARCHIMBAUD, Marie-Christine BLANDIN, Hélène LIPIETZ, M. André GATTOLIN, Mmes Kalliopi ANGO ELA, Esther BENBASSA, MM. Ronan DANTEC et Joël LABBÉ, sénateurs.Envoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le sujet sensible de la fin de vie concerne tous les citoyens de près ou de loin et se pose à chacun tôt ou tard. Aujourd’hui, on ne peut nier les difficultés et les retards que connaît encore l’organisation de la prise en charge de la fin de vie dans notre pays.
La loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie a répondu à beaucoup d’interrogations et a permis d’indéniables avancées, mais elle est mal appliquée par les professionnels et surtout ne suffit pas à répondre à de nombreuses situations.
En particulier, lorsqu’un patient conscient, atteint d’une maladie qu’il ne peut et ne veut plus supporter, demande à ce qu’on l’aide à mettre fin à ses jours et ne veut pas se contenter du« laisser mourir » autorisé par la loi précitée ou de la sédation introduite par le décret du 29 janvier 2010. L’amélioration de l’offre en soins palliatifs est une nécessité et il convient aussi d’autoriser dans le droit français dans un cadre rigoureux et humain l’assistance médicalisée pour mourir.
Tel est l’objet de la présente proposition de loi et à son fondement : la liberté du patient et l’égalité dans l’accès au choix d’une assistance médicalisée pour une fin de vie digne.
Cette proposition de loi vise à donner le droit à choisir librement, pour chacune, chacun, sa fin de vie, dans la dignité et d’assurer un accès universel aux soins palliatifs et s’emploie à définir les modalités et conditions permettant à un malade conscient et autonome atteint d’une maladie grave d’être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre un terme à sa vie de manière digne.
La procédure proposée s’assure du caractère libre et éclairé de la demande et prévoit aussi la possibilité de rédiger des directives anticipées dans le cas où la personne serait dans l’incapacité d’exprimer sa volonté.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
L’article L. 1110-2 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-2. – La personne malade a droit au respect de sa liberté et de sa dignité. Elle peut bénéficier, dans les conditions prévues au présent code, d’une assistance médicalisée pour une fin de vie digne. »
Article 2
L’article L. 1110-9 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toute personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale, même en l’absence de diagnostic de décès à brève échéance, atteinte d’au moins une affection accidentelle ou pathologique avérée, grave, incurable et/ou à tendance invalidante et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique constante et inapaisable qu’elle juge insupportable, peut demander à bénéficier, dans les conditions strictes prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée permettant par un acte délibéré une mort rapide et sans douleur. »
Article 3
Après l’article L.1110-9 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1110-9-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-9-1. – Est réputée décédée de mort naturelle, en ce qui concerne les contrats où elle est partie, la personne dont la mort résulte d’une assistance médicalisée pour mourir dans la dignité mise en oeuvre selon les conditions et procédures prescrites par le présent code. Toute clause contraire est réputée non écrite. »
Article 4
Après l’article L. 1110-10 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1110-10-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-10-1. – Lorsqu’une personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale, même en l’absence de diagnostic de décès à brève échéance, atteinte d’au moins une affection accidentelle ou pathologique avérée, grave, incurable et/ou à tendance invalidante et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique constante et inapaisable ou qu’elle juge insupportable, demande à son médecin le bénéfice d’une assistance médicalisée pour une fin de vie digne, celui-ci doit s’assurer de la réalité de la situation dans laquelle se trouve la personne concernée.
« Après examen du patient, étude de son dossier et, s’il y a lieu, consultation de l’équipe soignante, le médecin doit faire appel, pour l’éclairer, dans un délai maximum de 48 heures, à un autre praticien de son choix.
« Les médecins vérifient le caractère libre, éclairé, réfléchi et constant de la demande présentée, lors d’un entretien au cours duquel ils informent l’intéressé des possibilités thérapeutiques, ainsi que des solutions alternatives en matière d’accompagnement de fin de vie.
« Les médecins peuvent, s’ils le jugent souhaitable, renouveler l’entretien dans les 48 heures.
« Les médecins rendent leurs conclusions sur l’état de l’intéressé dans un délai de quatre jours au plus à compter de la demande initiale du patient.
« Lorsque les médecins constatent au moins une affection accidentelle ou pathologique avérée, grave, incurable et/ou à tendance invalidante et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique constante et inapaisable ou que la personne juge insupportable, et donc la situation d’impasse thérapeutique dans laquelle se trouve la personne ainsi que le caractère libre, éclairé, réfléchi et réitéré de sa demande, l’intéressé doit, s’il persiste, confirmer sa volonté, le cas échéant, en présence de la ou des personnes de confiance qu’il a désignées.
« Le médecin est tenu de respecter cette volonté.
« L’acte d’assistance médicalisée pour mourir dans la dignité, pratiqué sous le contrôle du médecin et par lui-même, ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai de deux jours à compter de la date de confirmation de la demande. Toutefois, ce délai peut être abrégé à la demande de l’intéressé si le médecin estime que cela est de nature à préserver la dignité de celui-ci telle qu’il la conçoit pour lui-même.
« L’intéressé peut, à tout moment, et par tout moyen, révoquer sa demande.
« Les conclusions médicales et la confirmation de la demande sont versées au dossier médical. Dans un délai de huit jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté son concours à l’assistance adresse à la commission régionale de contrôle prévue à la présente section un rapport exposant les conditions du décès. À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article ; la commission contrôle la validité du protocole. Le cas échéant, elle transmet à l’autorité judiciaire compétente. »
Article 5
L’article L. 1111-11 du code de la santé publique est ainsi modifié :
I. Le premier alinéa est ainsi modifié :
1° À la première phrase, après le mot : « majeure », sont insérés les mots : « et capable » ;
2° À la deuxième phrase, les mots :« concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de traitement » sont supprimés ;
3° À la troisième phrase, après les mot : « Elles sont », sont insérés les mots : « modifiables ou ».
II. Les deuxième et troisième alinéas sont remplacés par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Le médecin est tenu de les respecter car elles demeurent valables sans conditions de durée.
« Dans ces directives, la personne indique ses souhaits en matière de limitation ou d’arrêt de traitement. Elle peut également indiquer dans quelles circonstances elle désire bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir dans la dignité, telle que régie par le présent code. Elle désigne dans ce document la ou les personnes de confiance chargées de la représenter et qui auront accès à son dossier médical. Les directives anticipées sont inscrites sur un registre national automatisé tenu par la commission nationale de contrôle des pratiques relatives au droit de mourir dans la dignité, instituée par l’article L. 1111-13-3. Toutefois cet enregistrement ne constitue pas une condition nécessaire pour la validité du document.
« En complément, un fichier national des directives anticipées géré par un organisme indépendant des autorités médicales est créé dès la promulgation de la présente loi. Une association peut être habilitée par arrêté à gérer ce fichier national. Les autorités médicales ou tous médecins ont l’obligation de consulter ce fichier dès lors qu’une personne en phase avancée ou terminale d’au moins une affection reconnue grave et incurable ou dans un état de dépendance incompatible avec sa dignité est admise dans un service hospitalier.
« Les modalités de gestion du registre et la procédure de communication des directives anticipées à la Commission susvisée ou au médecin traitant qui en fait la demande sont définies par décret en Conseil d’État.
« La directive anticipée ainsi que le nom de la ou des personnes de confiance sont enregistrés sur la carte vitale des assurés sociaux. »
Article 6
Après l’article L. 1111-13 du code de la santé publique, sont insérés trois articles L. 1111-13-1, L. 1111-13-2 et L. 1111-13-3 ainsi rédigés :
« Art. L. 1111-13-1. – Lorsqu’une personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale, même en l’absence de diagnostic de décès à brève échéance, atteinte d’au moins une affection accidentelle ou pathologique avérée, grave, incurable et/ou à tendance invalidation et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique constante et inapaisable ou jugée insupportable se trouve dans l’incapacité d’exprimer une demande libre et éclairée, elle peut néanmoins bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir, à la condition que cette volonté résulte de ses directives établies dans les conditions mentionnées à l’article L. 1111-11. La ou les personnes de confiance saisissent de la demande le médecin. Après examen du patient, étude de son dossier et, éventuellement, consultation de l’équipe médicale soignante assistant au quotidien l’intéressé, il fait appel pour l’éclairer à un autre praticien de son choix. Le médecin établit dans un délai de quatre jours au plus à compter de leur saisine pour avis un rapport indiquant si l’état de la personne concernée correspond aux conditions exprimées dans ses directives anticipées, auquel cas elles doivent être respectées impérativement.
« Lorsque le rapport conclut à la possibilité d’une assistance médicalisée pour mourir, la ou les personnes de confiance doivent confirmer la volonté constante du patient. Le médecin est tenu de respecter cette volonté. L’acte d’assistance médicalisée pour mourir ne peut intervenir avant l’expiration d’un délai de deux jours à compter de la date de confirmation de la demande.
« Dans un délai de huit jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté son concours à l’assistance médicalisée pour mourir adresse à la commission régionale de contrôle un rapport exposant les conditions du décès. À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article ainsi que les directives anticipées ; la commission contrôle la validité du protocole. Le cas échéant, elle transmet à l’autorité judiciaire compétente.
« Art. L. 1111-13-2. – En cas de pronostic vital engagé à très brève échéance, le médecin peut, après en avoir informé la commission régionale qui se réserve la possibilité de dépêcher auprès de lui un médecin-conseiller, ramener l’ensemble du protocole à quatre jours.
« Art. L. 1111-13-3. – Il est institué auprès du Garde des Sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargé de la santé, un organisme dénommé Commission nationale de contrôle des pratiques en matière d’aide active à mourir.
« Il est institué dans chaque région une commission régionale présidée par le préfet de région ou son représentant. Elle est chargée de contrôler, chaque fois qu’elle est rendue destinataire d’un rapport d’assistance médicale pour mourir, si les exigences légales ont été respectées. Si ces exigences ont été respectées, l’article 221-3, le 3 de l’article 221-4 et l’article 221-5 du code pénal ne peuvent être appliquées aux auteurs d’une assistance médicalisée pour mourir.
« Lorsqu’elle estime que ces exigences n’ont pas été respectées ou en cas de doute, elle transmet le dossier à la Commission susvisée qui, après examen, dispose de la faculté de le transmettre au Procureur de la République.
« Les règles relatives à la composition ainsi qu’à l’organisation et au fonctionnement des commissions susvisées sont définies par décret en Conseil d’État. Les membres de ces commissions ne peuvent recevoir aucune rémunération due à leur appartenance à ces commissions. »
Article 7
L’article L. 1111-12 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-12. – Lorsqu’une personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale, même en l’absence de diagnostic de décès à brève échéance, atteinte d’au moins une affection accidentelle ou pathologique avérée, grave, incurable et/ou à tendance invalidante et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique constante et inapaisable ou jugée insupportable et hors d’état d’exprimer sa volonté a désigné une personne de confiance en l’application de l’article L. 1111-6, l’avis de cette dernière prévaut sur tout autre avis, y compris médical, à l’exclusion des directives anticipées, dans les décisions d’investigation, d’intervention ou de traitement prises par le médecin. La personne de confiance a le même droit d’accès au dossier médical que le titulaire. »
Article 8
L’article L. 1110-5 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les professionnels de santé ne sont pas tenus d’apporter leur concours à la mise en oeuvre d’une assistance médicalisée pour mourir. Dans le cas d’un refus de la part du médecin, celui-ci doit, dans un délai de deux jours, s’être assuré de l’accord d’un autre praticien et lui avoir transmis le dossier. »
Article 9
L’article L. 1110-9 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-9. – Toute personne en fin de vie, dont l’état le requiert et qui le demande, a un droit universel d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. Chaque département français et territoire d’outre-mer doit être pourvu d’unités de soins palliatifs en proportion du nombre de ses habitants. »
Article 10
Les éventuelles conséquences financières résultant pour les organismes de sécurité sociale de la présente proposition de loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La perte de recettes résultant pour l’État du paragraphe ci-dessus est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
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