LA CROIX – Par Emmanuelle Réju / 22-01-16
Un amendement au projet de loi sur la biodiversité, en cours de discussion au Sénat, propose de distinguer les huîtres naturelles des huîtres « triploïdes », rendues stériles pour améliorer leurs performances.
Pour le consommateur, rien ne distingue une huître triploïde d’une huître naturelle. Et pour cause : leur différence vient du nombre de leurs chromosomes (30 contre 20) et de la stérilité des huîtres triploïdes. Rien qui se voit à l’œil nu. C’est pourquoi les ostréiculteurs traditionnels souhaiteraient que leur mode de production soit reconnu grâce à un étiquetage spécifique.
Un amendement en ce sens a été déposé par le sénateur EELV du Morbihan Joël Labbé, à l’occasion de la discussion au Sénat du projet de loi sur la biodiversité. « Le consommateur doit être informé, d’autant que ces huîtres triploïdes, qui représentent désormais 50 % du marché, présentent des problèmes pour l’environnement », plaide l’élu.
Un croisement entre deux sortes d’huîtres
Ces huîtres d’un genre nouveau sont apparues sur les étals au début des années 2 000. Elles proviennent d’un croisement entre une huître naturelle diploïde, avec 20 paires de chromosomes, et une huître mâle tétraploïde, dont le nombre de chromosomes a été modifié en laboratoire. L’huître triploïde qui en résulte a la particularité d’être stérile.
L’intérêt de cette modification est purement commercial. « L’huître consomme énormément d’énergie pour produire des cellules de reproduction », explique Sylvie Lapègue, responsable de l’unité santé, génétique et microbiologie des mollusques à l’Ifremer. Une huître stérile utilise toute son énergie à sa croissance, ce qui permet d’amener ces animaux à taille marchande plus rapidement. Autre avantage : n’étant pas laiteuse en été, elle peut être vendue en toute saison, notamment quand de nombreux touristes se rendent sur la côte.
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Une fragilité non prouvée
« C’est une concurrence déloyale », dénonce de son côté Yoann Cahue, ostréiculteur à Cancale (Ile-et-Vilaine). « Ces huîtres sont plus fragiles que les naturelles et favorisent la propagation des maladies », accuse de son côté le sénateur Joël Labbé.
Pour l’instant, les recherches menées ne permettent pas de conclure à une fragilité particulière des huîtres triploïdes. « Certains lots de triploïdes ont des taux de mortalité élevés, de même que certains lots de diploïdes », détaille Sylvie Lapègue, à l’Ifremer. Pour le moment, il n’a pas été possible d’isoler les différents facteurs qui pourraient influer sur la mortalité, que ce soit leur caractère chromosomique, la qualité de l’eau ou les conditions d’élevage.
Pour en avoir le cœur net, il faut comparer la mortalité de mollusques aux caractères chromosomiques différents, issus du même fond génétique et élevés dans les mêmes conditions. Une étude conjointe de l’Ifremer et du ministère de l’agriculture, menée en ce moment sur de nombreux lots, devrait déboucher sur de premiers résultats en mars prochain.
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Un risque de dissémination dans l’environnement
Une autre question préoccupe aujourd’hui les pouvoirs publics et les ostréiculteurs. Les mâles tétraploïdes sont produits dans les installations de l’Ifremer, en milieu confiné, pour éviter toute dissémination dans l’environnement. En effet, il ne faudrait pas qu’un stock important de ces huîtres se croise dans le milieu naturel avec des huîtres naturelles, aboutissant dans un scénario catastrophe à la stérilisation du milieu.
Or théoriquement, n’importe quel opérateur peut aujourd’hui fabriquer des huîtres tétraploïdes. « Un cadre organisé doit être mis sur pied », confirme Sylvie Lapègue. Un groupe de travail associant la profession, le ministère de l’agriculture et l’Ifremer travaille à l’élaboration d’un cadre réglementaire.
Un nouveau label ?
Quoi qu’il en soit, Yoann Cahue souhaiterait que son mode de production soit valorisé, avec un étiquetage « ostréiculteur traditionnel ». « Les huîtres que je vends sont toutes nées, captées et élevées en pleine mer », précise-t-il. « Les huîtres triploïdes, elles, naissent dans des écloseries, puis grandissent dans des bassins avant de retrouver la mer ».
« Les huîtres sont un produit de saison, ajoute-t-il. Mes clients sont contents de me voir quand je reviens sur les marchés à l’automne. Pourquoi vouloir aller plus vite que la musique » ?