PROPOSITION DE LOI relative à la nocivité du diesel pour la santé
Enregistrée à la Présidence du Sénat 5 mai 2014
Présentée par Mme Aline ARCHIMBAUD, MM. Ronan DANTEC, Joël LABBÉ, Jean-Vincent PLACÉ, Mmes Corinne BOUCHOUX, Esther BENBASSA, Marie-Christine BLANDIN, MM. Jean DESESSARD et André GATTOLIN,
(Envoyée à la commission des finances, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le doute n’est plus permis. Il est aujourd’hui établi que les gaz d’échappement des moteurs Diesel sont des cancérigènes non plus probables – comme ils l’étaient reconnus depuis 19881(*) – mais certains2(*). La seule incertitude réside désormais dans le nombre de morts prématurées que causent chaque année les particules fines. Selon les études encore trop peu nombreuses, ce chiffre varie en France entre 15 0003(*) (chiffre de l’Institut National de Veille Sanitaire) et 42 0004(*) (chiffre de la Commission européenne) par an.
Certes, le diesel n’est pas la seule source de production de particules fines. Elles proviennent également du chauffage, des industries, de l’agriculture… Mais dans les grandes agglomérations, la part du trafic routier dans l’émission de ces particules est prépondérante : 51 % en Île-de-France par exemple5(*). Et le diesel, qui compose environ les deux tiers du parc automobile français, en est le principal responsable, bien plus que l’essence.
Reconnus responsables de cancers du poumon par l’Organisation mondiale de la santé, les gaz d’échappement des moteurs Diesel sont également à l’origine d’autres pathologies pulmonaires, comme l’asthme et la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), car les particules en suspension dans l’air entrent dans les bronches – et plus elles sont fines, plus elles y entrent loin -, créent une inflammation qui les épaissit et provoque alors des sécrétions de glaires qui rendent difficile la circulation de l’air et entraînent l’essoufflement et l’insuffisance respiratoire.
Ces particules très fines peuvent également passer au travers de la paroi des bronches jusque dans la circulation sanguine, ce qui irrite la paroi des artères, favorisant la formation de plaques d’athérome avec risques de thromboses responsables d’accidents tels que des angines de poitrine, des infarctus ou encore des accidents vasculaires cérébraux.
Le diesel, ce sont donc aujourd’hui des conséquences directes sur notre santé, surtout lorsque le seuil de particules fines dans l’air dépasse les 50 mg/m3 plus de 35 jours par an (valeur limite fixée par l’Europe). Or, 3 millions de franciliens habitent dans des zones où il n’est pas rare de dépasser cette valeur limite plus de 200 jours dans l’année. En tout, quinze zones en France, dont 12 agglomérations de plus de 100 000 habitants, seraient ainsi concernées par ces dépassements réguliers de seuils, ce qui vaut à la France d’être actuellement poursuivie par la Commission européenne devant la Cour de justice de l’Union européenne : elle pourrait être condamnée à de lourdes amendes, soit plus de 100 millions d’euros.
L’étude la plus récente a conclu à une espérance de vie à 30 ans réduite de 3,6 à 7,5 mois pour les habitants de ces plus grandes villes françaises. Au total, sur ces 12 millions d’habitants, ce sont plus de 2 900 morts prématurées dues aux particules fines qui pourraient être évitées chaque année si les concentrations moyennes annuelles de particules fines inférieures à 2,5 microns de diamètre (les plus dangereuses) respectaient la valeur guide de l’Organisation mondiale de la santé.
Une autre étude conduite par le Docteur Rob BEELEN (Université d’Utrecht aux Pays-Bas), publiée dans la revue médicale The Lancet, a conclu qu’une exposition prolongée aux particules fines a un effet néfaste sur la santé, même lorsque les concentrations restent dans la norme de l’Union européenne. Selon ces travaux, une exposition continue à des PM10 (particules fines de diamètre inférieure à 10 microns) au niveau seuil de la norme de concentration dans l’air (50 mg/m3) augmente le risque de mourir d’une cause naturelle de 35 %.
Au sein de ces populations à risque, certaines professions sont surexposées comme celles qui conduisent ou interviennent sur des véhicules routiers (garagistes, mécaniciens, commerciaux, transporteurs) et celles qui utilisent des engins équipés de moteurs Diesel dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, l’industrie ou l’agriculture, sans oublier le personnel travaillant à proximité de ces véhicules et engins (travailleurs sur la voie publique, employés de péage ou de parking). Les enfants sont également particulièrement exposés car ils se trouvent plus près du sol et respirent plus vite. Ils sont aussi plus vulnérables car leurs alvéoles pulmonaires sont encore en développement – les enfants vivant près des axes routiers ont ainsi 20 % de chance de plus que les autres de faire de l’asthme. Enfin, les personnes âgées, qui ont une capacité respiratoire diminuée, font aussi partie des populations à risque.
Certes, les filtres à particules dont sont équipés les nouveaux véhicules diesel diminuent le niveau de pollution. D’abord, il y a de fortes raisons de penser que les tests d’émission réalisés par les constructeurs eux-mêmes ne prennent pas en compte les conditions d’utilisation réelles des filtres et que leurs résultats, présentés comme réglant le problème de la nocivité du diesel, sont sujets à caution. De plus, ces filtres ne permettent pas de stopper l’émission des particules les plus fines qui sont aussi les plus dangereuses, ni les composés organiques volatils qui, une fois dans l’air, reforment des particules fines secondaires. Il faut également préciser que ces filtres, qui visent le CO2 et les particules, induisent une surproduction d’autres substances polluantes, dont les oxydes d’azote (NOx), déjà en concentrations importantes dans de nombreuses agglomérations et au sujet desquels la réglementation européenne a prévu de se durcir dès 2015.
Alors pourquoi persiste-t-on à utiliser ces motorisations dangereuses pour notre santé ? Ce n’est pas parce que le diesel émettrait moins de gaz à effet de serre : les émissions de CO2 sont à peine inférieures à celles de l’essence (la différence est de moins de 10 %). Ce n’est pas non plus parce que cela coûterait moins cher : les moteurs Diesel sont plus chers à l’achat, plus chers à l’entretien et ne sont rentabilisés que sur de très longues distances parce que le carburant diesel est subventionné à la pompe. Il n’est pas responsable de continuer à laisser croire aux ménages modestes – dont les revenus ne permettent que difficilement de faire face aux dépenses contraintes du quotidien, et notamment au coût de leurs déplacements – que le diesel est la solution à leurs problèmes de pouvoir d’achat. En effet, l’idée est très répandue dans l’imaginaire collectif que le diesel« coûte moins cher ». Cela doit être largement relativisé. Premièrement parce qu’il faut rouler beaucoup pour amortir l’achat d’un véhicule diesel, plus coûteux qu’un véhicule essence (environ 20 000 kilomètres par an) et qu’en réalité de moins en moins d’automobilistes, surtout parmi les plus modestes, n’atteignent ce seuil. Mais aussi parce que si le prix du diesel à la pompe est artificiellement plus bas que l’essence, c’est du fait d’un avantage fiscal qui représente un manque à gagner pour nos finances publiques de plus de 7 milliards d’euros par an et qui est in fine financée par les contribuables et donc les ménages eux-mêmes.
En plus de cette niche fiscale, le diesel pèse même sur notre balance commerciale. En effet, lorsque l’on raffine un baril de pétrole, on produit environ un tiers de diesel et deux tiers d’essence. Du fait de la très forte dieselisation (plus des deux tiers) de son parc automobile, la France consomme donc plus de diesel qu’elle ne peut en raffiner et est donc contrainte d’en importer.
Si le diesel a pris une telle place, c’est donc le fait d’une stratégie industrielle délibérée de la part de l’État : on a créé un besoin artificiel en détaxant le carburant pour stimuler cette filière. Aujourd’hui que les dangers du diesel pour la santé humaine sont avérés, la puissance publique ne trouve plus la force d’appliquer une nouvelle stratégie. Le principal argument avancé est que l’on perdrait des emplois. On autorise donc un carburant qui tue, et même on le subventionne, on s’interdit de préparer l’avenir industriel du pays…, pour sauver de l’ordre de 10 000 emplois.
Or, financer ces 10 000 emplois, même exclusivement avec de l’argent public, coûterait à l’État moins d’un milliard d’euros par an. Ce serait précisément le rôle de l’État stratège que de garantir leur emploi aux salariés du diesel le temps que soit mise en oeuvre la reconversion de leur filière dans les véhicules hybrides et les transports en commun, dans la déconstruction et le recyclage automobile comme Renault Sandouville ou encore dans de nouvelles technologies comme l’usine Bosch de Vénissieux passée à la production de panneaux solaires. Tout le monde y serait gagnant : nos concitoyens pourraient à nouveau respirer en ville et verraient petit à petit croître leur espérance de vie ; les salariés du diesel seraient désormais employés dans un secteur durable et exportateur et non plus dans une industrie moribonde sous la perfusion étatique ; l’État, enfin, réaliserait à moyen terme des économies phénoménales, que ce soit par la disparition progressive de la niche fiscale associée au diesel (7 milliards d’euros par an) ou par la diminution progressive du coût pour la société des pathologies liées au diesel, évaluées entre 20 et 30 milliards d’euros par an6(*).
Ce n’est donc pas en dilapidant des milliards dans une technologie mortelle que la société parviendra à soulager au mieux les ménages modestes. Et ce d’autant plus qu’ils sont les premiers à pâtir des particules fines : ce sont en effet les plus modestes qui le plus souvent habitent près des grands axes de circulations, les plus pollués et donc les plus cancérigènes. Il est irresponsable de leur imposer de choisir entre leur pouvoir d’achat et leur santé, qui plus est sur des arguments fallacieux !
Bien que conscients des limites imposées à l’initiative parlementaire, les auteurs de la présente proposition de loi ne peuvent rester inactifs face à ce scandale sanitaire, qui se double d’une aberration économique. C’est une question de responsabilité.
Ils proposent donc, par le présent texte, un renchérissement progressif dans le temps des motorisations Diesel lors de l’achat d’un véhicule neuf, pour aboutir à une quasi extinction de la filière d’ici 10 ans.
Cette mesure permet de ne pas pénaliser les possesseurs actuels de véhicules diesel, car il serait injuste que l’État piège les consommateurs en choisissant de surtaxer le carburant de véhicules diesel qu’il aurait lui-même incité à acquérir par un dispositif fiscal antérieur.
Cette mesure permet également d’acter le début d’une reconversion complète de la filière industrielle concernée. Il est fréquent que les personnes qui se mobilisent contre le diesel et sa nocivité sanitaire démontrée soient caricaturés comme des « ennemis de l’emploi ». La réalité, c’est que la filière automobile française est d’ores et déjà en difficulté. Nous avons aujourd’hui le choix entre une stratégie qui consisterait à s’arc-bouter sur une technologie du passé et une autre qui se tournerait résolument vers l’innovation et inscrirait la France dans un projet industriel d’avenir.
Cette mesure ne se suffit évidemment pas elle-même. Elle doit s’accompagner de l’engagement des pouvoirs publics de garantir les emplois menacés jusqu’à leur reconversion totale. Elle doit aussi s’accompagner d’une prime à la reconversion à destination des ménages qui souhaiteraient passer d’un véhicule polluant aux transports en commun ou à un véhicule propre, prime qui serait une chance pour l’industrie automobile d’intensifier sa reconversion. Cette prime à la reconversion pourrait d’ailleurs être modulée selon les revenus du ménage concerné, afin que l’acquisition d’un véhicule propre ne soit plus un luxe réservé à certains.
Il faut noter que les porteurs de cette proposition de loi font partie d’une famille politique historiquement mobilisée sur la question de la qualité de l’air et de la santé publique. Longtemps, ce combat a été mené en solitaire. Mais la multiplication et l’intensification des pics de pollution contribue à une prise de conscience, en France, de l’enjeu crucial de cette problématique et de celle, étroitement liée, du diesel.
Tout récemment d’ailleurs, la nouvelle maire de Paris a déclaré, lors de son élection, souhaiter« éradiquer le diesel ».Tout comme la nouvelle ministre de l’écologie a estimé le 15 avril 2014 qu’il « faut en terminer petit à petit avec les voitures diesel ».
Il semblerait donc que l’idée fasse son chemin selon laquelle il est temps de mobiliser la puissance publique pour casser le cercle vicieux dans lequel nous nous enferrons sur la question du diesel.
L’exemple de la ville de Tokyo, qui a fait disparaître les véhicules diesel en moins de 10 ans, nous montre d’ailleurs que l’éradication du diesel et la reconversion de son industrie n’est pas une fatalité, mais une question de volonté politique.
Au vu des enjeux sanitaires gravissimes sous-jacents et de plus en plus évidents, cette volonté politique partagée ne saurait davantage se faire attendre.
L’ensemble des enjeux sanitaires, sociaux et économiques de cette grande reconversion devraient être évoqués lors d’Assises du diesel.
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