PROPOSITION DE LOI
visant à abroger le délit de solidarité
Enregistrée à la Présidence du Sénat le 24 janvier 2018
Présentée par
Mmes Esther BENBASSA, Éliane ASSASSI, Laurence COHEN, MM. Pierre-Yves COLLOMBAT, Éric BOCQUET, Mme Cécile CUKIERMAN, MM. Thierry FOUCAUD, Fabien GAY, Guillaume GONTARD, Mme Michelle GRÉAUME, MM. Pierre LAURENT, Pierre OUZOULIAS, Mme Christine PRUNAUD, MM. Pascal SAVOLDELLI, Dominique WATRIN, Ronan DANTEC, Joël LABBÉ, Mme Nathalie GOULET, M. Bernard JOMIER et Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, sénateurs.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La solidarité ne devrait plus jamais être un délit.
Depuis plusieurs mois, dans le contexte de ce qu’il est convenu d’appeler la « crise migratoire » – qu’il serait plus juste d’appeler une crise de l’accueil -, nous assistons à la recrudescence des poursuites judiciaires envers nos concitoyens qui font preuve de solidarité avec les exilés.
Ils sont, majoritairement, poursuivis sur le fondement de l’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) qui punit de cinq ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France ».
Les procès intentés à Cédric HERROU, Pierre-Alain MANNONI, Martine LANDRY et aux autres sont venus nous rappeler que, contrairement aux affirmations des ministres de l’Intérieur successifs, cette disposition du CESEDA n’est pas utilisée pour combattre les passeurs et réseaux criminels mais bien pour intimider les personnes solidaires.
Ces poursuites, qui ont abouti dans de trop nombreux cas à des condamnations, montrent également que les exemptions prévues à l’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne sont pas suffisantes pour protéger effectivement les personnes qui agissent de manière désintéressée, par simple humanité.
Comme le rappelle justement l’Anafé (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers), « ni trafiquantes, ni délinquantes, ces personnes, inquiétées, intimidées, poursuivies, défendent avant tout les droits humains. Elles agissent pour protéger les droits des personnes migrantes et réfugiées auxquels portent atteinte les autorités françaises. »
Les auteurs de la présente proposition de loi se sont rendus à Paris, à Calais, à Ouistreham, à Briançon, à Grande-Synthe et à Menton. Ils ont constaté les manquements de l’État, les violations répétées des droits des exilés, la négation de la législation nationale et internationale en matière de protection de l’enfance. Ils ont aussi rencontré ces femmes et ces hommes que, pour certains, rien ne destinait à devenir militants. Ces femmes et ces hommes qui ont un jour croisé une personne en détresse et qui ont décidé de lui apporter un peu d’aide.
La lutte contre les passeurs, contre les trafiquants d’êtres humains, doit être menée sans relâche et toutes les ressources législatives doivent être mobilisées à cette fin. Il n’est pas inutile, à cet égard, de rappeler la grande richesse du code pénal en la matière.
Parallèlement, il n’est plus admissible que la solidarité reste encore un délit.
Par conséquent, il est indispensable que la loi soit modifiée afin de protéger réellement les actions humanitaires et désintéressées, ce qu’a visiblement échoué à faire la dernière loi adoptée en la matière le 31 décembre 2012 et qui poursuivait cet objectif. Il est urgent de mettre un terme définitif au délit de solidarité, comme le demande d’ailleurs la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans son avis en date du 4 juin 2017.
La présente proposition de loi a ainsi pour objet de supprimer définitivement l’incrimination de toute forme de solidarité.
L’article 1er propose une nouvelle rédaction de l’article L. 622-1 du CESEDA afin de préciser que les poursuites pourront être engagées contre toute personne qui aura agi sciemment et dans un but lucratif. Ceci en conformité avec la directive européenne 2002/90 CE du 28 novembre 2002 « définissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers ».
L’utilisation de l’adjectif « sciemment » vient préciser qu’une personne qui aurait agi dans un but lucratif dans le cadre de l’exercice d’une profession, chauffeur de taxi ou hôtelier par exemple, et qui n’aurait pas vocation à s’interroger sur la régularité du séjour de son client, ne pourrait être poursuivie.
L’article 2 a pour objet de supprimer l’article L. 622-4 du CESEDA devenu inutile, seules les actions menées dans un but lucratif étant passibles de poursuites.
Les articles 3 à 5 ont pour objet l’application du présent texte dans les collectivités d’outre-mer.
Tel est l’objet de la présente proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
L’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi rédigé :
« Art. L. 622-1. – Toute personne qui aura sciemment facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France dans un but lucratif sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 €.
« Sera puni des mêmes peines celui qui, quelle que soit sa nationalité, aura commis le délit défini au premier alinéa du présent article alors qu’il se trouvait sur le territoire d’un État partie à la Convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République Fédérale d’Allemagne et de la République Française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes signée à Schengen le 19 juin 1990 autre que la France.
« Sera puni des mêmes peines celui qui aura sciemment, et dans un but lucratif, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger sur le territoire d’un autre État partie à ladite convention.
« Sera puni des mêmes peines celui qui aura sciemment, et dans un but lucratif, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger sur le territoire d’un État partie au protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, signée à Palerme le 12 décembre 2000. »
Article 2
L’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est abrogé.
Article 3
L’article 28 de l’ordonnance n° 2000-371 du 26 avril 2000 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers dans les îles de Wallis et Futuna est ainsi rédigé :
« Art. 28. – I. – Toute personne qui aura sciemment facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger dans les îles Wallis et Futuna dans un but lucratif sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 3 636 000 francs CFP.
« Sera puni des mêmes peines celui qui aura sciemment, et dans un but lucratif, facilité ou tenté de faciliter l’entrée la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger sur le territoire d’un État partie au protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, signée à Palerme le 12 décembre 2000.
« Pour l’application du deuxième alinéa du présent I, la situation irrégulière de l’étranger est appréciée au regard de la législation de l’État partie intéressé. En outre, les poursuites ne pourront être exercées à l’encontre de l’auteur de l’infraction que sur une dénonciation officielle ou sur une attestation des autorités compétentes de l’État partie intéressé.
« Aucune poursuite ne pourra être exercée contre une personne justifiant qu’elle a été jugée définitivement à l’étranger pour les mêmes faits et, en cas de condamnation, que la peine a été subie ou prescrite.
« II. – Les personnes physiques coupables de l’un des délits prévus au I du présent article encourent également les peines complémentaires suivantes :
« 1° L’interdiction de séjour pour une durée de cinq ans au plus ;
« 2° La suspension, pour une durée de cinq ans au plus, du permis de conduire. Cette durée peut être doublée en cas de récidive ;
« 3° Le retrait temporaire ou définitif de l’autorisation administrative d’exploiter soit des services occasionnels à la place ou collectifs, soit un service régulier, ou un service de navettes de transports internationaux ;
« 4° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction, notamment tout moyen de transport ou équipement terrestre, fluvial, maritime ou aérien, ou de la chose qui en est le produit. Les frais résultant des mesures nécessaires à l’exécution de la confiscation seront à la charge du condamné. Ils seront recouvrés comme frais de justice ;
« 5° L’interdiction pour une durée de cinq ans au plus d’exercer l’activité professionnelle ou sociale à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise, sous les réserves mentionnées à l’article 131-27 du code pénal.
« Toute violation de cette interdiction sera punie d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 3 636 000 francs CFP ;
« 6° L’interdiction du territoire français pour une durée de dix ans au plus dans les conditions et sous les réserves prévues par les dispositions des articles 131-30 à 131-30-2 du code pénal. L’interdiction du territoire français entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l’expiration de sa peine d’emprisonnement. »
Article 4
L’article 30 de l’ordonnance n° 2000-372 du 26 avril 2000 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en Polynésie française est ainsi rédigé :
« Art. 30. – I. – Toute personne qui aura sciemment facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en Polynésie française dans un but lucratif sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 3 636 000 francs CFP.
« Sera puni des mêmes peines celui qui aura sciemment, et dans un but lucratif, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger sur le territoire d’un État partie au protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, signée à Palerme le 12 décembre 2000.
« Pour l’application du deuxième alinéa du présent I, la situation irrégulière de l’étranger est appréciée au regard de la législation de l’État partie intéressé. En outre, les poursuites ne pourront être exercées à l’encontre de l’auteur de l’infraction que sur une dénonciation officielle ou sur une attestation des autorités compétentes de l’État partie intéressé.
« Aucune poursuite ne pourra être exercée contre une personne justifiant qu’elle a été jugée définitivement à l’étranger pour les mêmes faits et, en cas de condamnation, que la peine a été subie ou prescrite.
« II. – Les personnes physiques coupables de l’un des délits prévus au I du présent article encourent également les peines complémentaires suivantes :
« 1° L’interdiction de séjour pour une durée de cinq ans au plus ;
« 2° La suspension, pour une durée de cinq ans au plus, du permis de conduire. Cette durée peut être doublée en cas de récidive ;
« 3° Le retrait temporaire ou définitif de l’autorisation administrative d’exploiter soit des services occasionnels à la place ou collectifs, soit un service régulier, ou un service de navettes de transports internationaux ;
« 4° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction, notamment tout moyen de transport ou équipement terrestre, fluvial, maritime ou aérien, ou de la chose qui en est le produit. Les frais résultant des mesures nécessaires à l’exécution de la confiscation seront à la charge du condamné. Ils seront recouvrés comme frais de justice ;
« 5° L’interdiction pour une durée de cinq ans au plus d’exercer l’activité professionnelle ou sociale à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise, sous les réserves mentionnées à l’article 131-27 du code pénal.
« Toute violation de cette interdiction sera punie d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 3 636 000 francs CFP ;
« 6° L’interdiction du territoire français pour une durée de dix ans au plus dans les conditions et sous les réserves prévues par les dispositions des articles 131-30 à 131-30-2 du code pénal. L’interdiction du territoire français entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l’expiration de sa peine d’emprisonnement. »
Article 5
L’article 30 de l’ordonnance n° 2002-388 du 20 mars 2002 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en Nouvelle-Calédonie est ainsi rédigé :
« Art. 30. – I. – Toute personne qui aura sciemment facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en Nouvelle-Calédonie dans un but lucratif sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 3 636 000 francs CFP.
« Sera puni des mêmes peines celui qui aura sciemment, et dans un but lucratif, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger sur le territoire d’un État partie au protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, signée à Palerme le 12 décembre 2000.
« Cette infraction est punie de dix ans d’emprisonnement et de 9 090 000 francs CFP d’amende lorsqu’elle est commise en bande organisée.
« Pour l’application du deuxième alinéa du présent I, la situation irrégulière de l’étranger est appréciée au regard de la législation de l’État partie intéressé. En outre, les poursuites ne pourront être exercées à l’encontre de l’auteur de l’infraction que sur une dénonciation officielle ou sur une attestation des autorités compétentes de l’État partie intéressé.
« Aucune poursuite ne pourra être exercée contre une personne justifiant qu’elle a été jugée définitivement à l’étranger pour les mêmes faits et, en cas de condamnation, que la peine a été subie ou prescrite.
« II. – Les personnes physiques coupables de l’un des délits prévus au I du présent article encourent également les peines complémentaires suivantes :
« 1° L’interdiction de séjour pour une durée de cinq ans au plus ;
« 2° La suspension, pour une durée de cinq ans au plus, du permis de conduire. Cette durée peut être doublée en cas de récidive ;
« 3° Le retrait temporaire ou définitif de l’autorisation administrative d’exploiter soit des services occasionnels à la place ou collectifs, soit un service régulier, ou un service de navettes de transports internationaux ;
« 4° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction, notamment tout moyen de transport ou équipement terrestre, fluvial, maritime ou aérien, ou de la chose qui en est le produit. Les frais résultant des mesures nécessaires à l’exécution de la confiscation seront à la charge du condamné. Ils seront recouvrés comme frais de justice ;
« 5° L’interdiction pour une durée de cinq ans au plus d’exercer l’activité professionnelle ou sociale à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise, sous les réserves mentionnées à l’article 131-27 du code pénal.
« Toute violation de cette interdiction sera punie d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 3 636 000 francs CFP ;
« 6° L’interdiction du territoire français pour une durée de dix ans au plus dans les conditions et sous les réserves prévues par les dispositions des articles 131-30 à 131-30-2 du code pénal. L’interdiction du territoire français entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l’expiration de sa peine d’emprisonnement. »
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