Monsieur le Président, Monsieur le Ministre,
Très chères et trop rares collègues Sénatrices,
Chers collègues Sénateurs,
C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai fait mon entrée, voilà quelques jours, dans cette grande maison si chargée d’histoire. M’est alors venue à l’esprit une musique portant ces mots très forts : « For the times they are a-changin’ », tirés d’une chanson des années soixante de Bob Dylan. À la même époque commençaient les travaux du Club de Rome. Cinquante ans après, les changements survenus n’ont répondu ni à l’interpellation du poète visionnaire ni à la mise en garde d’éminents scientifiques sur les limites de la croissance.
Au contraire, tout reste à faire, toutes les dérives dénoncées se sont accélérées. Nous sommes aujourd’hui dans une situation d’urgence, et il est de notre responsabilité collective, en tant que représentants du peuple français, d’avoir le courage de prendre toutes les mesures qui s’imposeront. Rappelons-nous Corneille : « Nous partîmes cinq cents mais, par un prompt renfort, nous nous vîmes trois mille en arrivant au port. » On voit que c’est souvent une minorité audacieuse et éclairée qui ouvre le chemin ! Pour l’heure, nous voici donc arrivés au port, le sujet du jour !
Au nom des sénateurs écologistes, j’évoquerai le fond de la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire, texte ciblé sur les sept ports autonomes maritimes.
Je suis d’accord avec notre collègue Charles Revet, auteur du rapport d’information, quand il déplore la trop faible prise en compte de l’intérêt fondamental que représente le développement des ports dans notre pays, qu’il s’agisse des grands ports maritimes ou de ceux dits secondaires – je pense notamment au port de Lorient, dans notre Morbihan.
Or, le développement du transport de marchandises par voie maritime est une nécessité si l’on veut lutter efficacement contre le réchauffement climatique. Ce mode de transport émet cinquante fois moins de CO2 que le transport aérien et douze fois moins que le transport routier !
L’analyse de ce rapport inspire une question simple : à quoi doivent servir le transport maritime et ses dessertes aériennes, terrestres et fluviales ?
L’un des premiers objectifs est bien l’acheminement des ressources nécessaires au fonctionnement de notre société, en affectant le moins possible notre environnement. Aujourd’hui, la majeure partie de nos importations sont débarquées dans les ports du nord de l’Europe. Il s’agit donc de rééquilibrer l’activité portuaire. L’enjeu est aussi de relier efficacement les ports à leur arrière-pays. La loi dite « Grenelle 1 » a fixé comme objectif le doublement de la part de marché du fret non routier pour les acheminements à destination et en provenance des ports d’ici à 2015. Nous en sommes loin !
Là est bien l’enjeu : investir dans le transport de fret ferroviaire et fluvial en tant qu’alternative à la route, afin de relever le défi, bien réel, du réchauffement climatique. Dans cette perspective, il est absolument nécessaire de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Les effets d’annonce ne suffisent pas !
Au regard de cet enjeu, le cadeau fait à certains lobbies agricoles, notamment celui des céréaliers, est un non-sens et un scandale, monsieur le Ministre. En autorisant la circulation de camions à cinq essieux de quarante-quatre tonnes…
M. Bruno Sido. Quarante-deux !
M. Joël Labbé. … au lieu de quarante actuellement et en promettant, comme l’a fait le Président de la République, d’étendre cette mesure à tous les autres secteurs avant la fin de l’année 2012, on porte un nouveau coup aux quelques avancées permises par le Grenelle de l’environnement. Où est la cohérence ?
M. Jean Desessard. Très bien !
M. Joël Labbé. Il est primordial d’encourager le transport fluvial, qui ne représente aujourd’hui qu’une très faible part de la desserte des ports. Le projet initial d’autoroute de la mer entre Nantes-Saint-Nazaire et Gijón a permis de décongestionner quelque peu les routes saturées de camions. Cet effort doit être prolongé en créant des connexions maritimes à l’échelle européenne. Nous en sommes encore loin, et le risque est bien réel que, après cinq ans de subventionnement, la rentabilité soit jugée trop faible pour que l’on poursuive ce type de projets.
M. Jean Besson. C’est vrai !
M. Joël Labbé. Depuis la nuit des temps, un port est un élément structurant d’un territoire. Le renforcement du rôle des acteurs locaux dans la gestion portuaire est donc une étape essentielle en matière de développement, en vue de parvenir à un aménagement concerté de ces espaces.
Il faut poursuivre le mouvement de décentralisation. Les ports dits secondaires sont un atout pour les économies régionales, mais ils pourraient l’être davantage encore grâce à des mises en réseau efficaces. Il faut repenser la coopération et le poids des régions, notamment en associant les ports dits secondaires aux grands ports maritimes, afin d’éviter des concurrences malsaines entre les régions et entre les ports.
Avec cette réforme, la concurrence interportuaire va continuer, ainsi que la réalisation d’investissements colossaux pour des résultats bien souvent trop faibles. Ces mises en concurrence malsaines sont aussi, pour une part, responsables du manque de fiabilité de nos ports. Ce manque de fiabilité, qui est bien réel, a des causes multiples. Or le rapport met injustement l’accent sur la responsabilité des salariés grévistes, en passant sous silence celle des entreprises de manutention, pourtant évidente. Il manque, dans ce pays, une véritable culture du dialogue social. Il faudra bien que les choses évoluent à cet égard ; l’impulsion doit venir de l’État. (M. le Ministre s’étonne.)
Si l’association des collectivités territoriales au développement de l’activité portuaire est un élément important en termes d’aménagement du territoire, elle doit avoir aussi pour finalité d’aboutir à des aménagements concertés et acceptés par le plus grand nombre. Or de récentes évolutions ne vont pas dans ce sens, monsieur le Ministre.
Ainsi, le code de l’urbanisme permet de qualifier ces grands projets de projets d’intérêt général. De ce fait, les préfets peuvent prendre la main, au détriment des élus et de la population. Par ailleurs, le rapport plaide pour un assouplissement de l’application de la directive Natura 2000 : c’est tout simplement inenvisageable ! Il évoque également une explosion des recours formés par les associations environnementales et la nécessité de les sanctionner pénalement. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Un tel discours inquiète ! Il est fondamental que les associations, notamment locales, puissent être parties prenantes à la concertation.
J’évoquais tout à l’heure le dialogue social, mais il faut aussi créer, dans ce pays, une culture du dialogue sociétal.
Penser de manière durable le développement des ports engendrera en outre un gisement d’emplois et d’activités nouvelles. Il pourrait notamment être envisagé de créer une filière de préservation et de gestion nouvelle de l’écosystème marin, ainsi qu’une véritable filière de déconstruction et de recyclage des navires civils et militaires. La réforme de 2008 passe à côté de cet enjeu.
Pour conclure, il est nécessaire de concevoir une autre politique maritime, de penser les ports comme des outils d’un développement maîtrisé, durable et solidaire de nos territoires.
Solidarité, complémentarité : les mots sont lâchés. Il faut remettre en cause le gigantisme qui prévaut aujourd’hui, réguler le marché mondial, engager une véritable transformation écologique de notre économie, à l’échelle française, certes, mais aussi à l’échelle mondiale.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Joël Labbé. Je suis citoyen du monde. Le territoire de la commune de Saint-Nolff, dont je suis maire, a été déclaré, par délibération du conseil municipal, territoire mondial. Lorsque les enjeux sont mondiaux, une gouvernance mondiale est nécessaire : il faudra bien qu’on y arrive !
M. Thierry Mariani, Ministre. N’êtes-vous pas favorable à la démondialisation ?
M. Joël Labbé. Laissez-moi finir, monsieur le Ministre, vous m’interrogerez ensuite ! (Rires.)
Je donnerai un seul exemple de ce qu’il ne faudrait plus voir dans nos ports : le déchargement de soja transgénique, production qui asphyxie l’agriculture vivrière brésilienne et contribue à la destruction meurtrière de milliers d’hectares de forêt primaire. Le politique doit reprendre la main face au monde de la finance et au marché. C’est une forme de révolution, souhaitée et acceptée par les populations, qu’il nous faut mettre en marche, ou plutôt une métamorphose, pour reprendre les termes d’Edgar Morin : «L’espérance éthique et politique est de construire plus et mieux qu’une révolution, une métamorphose. »
Aujourd’hui, l’espoir est là, palpable, d’une société enfin humaine, profondément humaine. « For the times they are a-changin’ », inexorablement… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)