Débat : la crise du Covid-19, relocalisation des productions stratégiques pour assurer notre souveraineté. Lesquelles, où, comment ?

Lors de sa séance publique du mercredi 27 mai 2020, le Sénat a débattu, à la demande du groupe Union centriste (UC), sur le thème « La crise du Covid‑19 : relocalisation des productions stratégiques pour assurer notre souveraineté. Lesquelles, où, comment ? ».

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Joël Labbé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe Union Centriste d’avoir permis la tenue de ce débat sur un sujet dont la crise du Covid-19 a révélé toute la pertinence.

La relocalisation des productions était déjà présente dans le débat avant cette crise sanitaire, mais les récents événements ont agi comme un coup de projecteur sur nos vulnérabilités : pénurie de matériel médical, tensions dans l’approvisionnement en médicaments ou en intrants agricoles, tensions dans la chaîne logistique de l’industrie agroalimentaire…

La crise du Covid-19 nous invite donc à penser la construction de notre indépendance dans de nombreux secteurs essentiels à la Nation. Avoir dans cet hémicycle un débat sur la relocalisation des productions stratégiques pour assurer notre souveraineté est fondamental à cet égard.

Avant d’évoquer la relocalisation des moyens de production, il convient de s’interroger sur le maintien des outils existants afin de préserver ces outils et d’éviter la poursuite des délocalisations : l’annonce de la possible fermeture de la Fonderie de Bretagne, filiale de Renault implantée près de Lorient, a suscité une énorme et légitime crispation. Il est incompréhensible que cette usine qui emploie près de 380 personnes, dont l’outil de production est neuf et la qualité de production reconnue, ferme au moment même où l’on se soucie de relocalisation et où la puissance publique soutient fortement le groupe Renault par l’apport de gros moyens financiers. Il en est de même pour trois autres filiales de Renault.

De manière générale, il convient de réfléchir collectivement aux conditions de la relocalisation. Comment garantir un retour en France des industries sans rentrer dans la course au moins-disant social et environnemental ? Comment garantir l’accessibilité, pour les plus pauvres, des biens produits en France, qui seront souvent plus coûteux, du fait de normes plus exigeantes ? Relocaliser signifie aussi repenser nos politiques de lutte contre les inégalités.

Enfin, je pense que, à plus long terme, la souveraineté ne passe pas uniquement par une relocalisation de la production ou la constitution de stocks stratégiques : elle passe aussi par une réduction de nos besoins, donc de notre dépendance. Bien sûr, nous ne pouvons pas nous passer de médicaments, mais combien de maladies pourraient-elles être évitées grâce à une politique de santé axée sur la prévention ? En matière énergétique également, les gisements d’économies sont particulièrement importants.

Je consacrerai la suite de mon propos au secteur de l’alimentation. S’il est une production stratégique, c’est bien celle-ci. La souveraineté alimentaire des territoires, dont on parle de plus en plus, passe par un certain nombre de ruptures.

Même si la France reste une puissance agricole, la vulnérabilité de notre modèle a également été mise en lumière pendant cette crise. Notre groupe a d’ailleurs présenté, sur l’initiative de notre collègue Françoise Laborde, une proposition de résolution sur le lien entre résilience alimentaire des territoires et sécurité nationale. Les analyses sur les tensions et les risques de rupture d’approvisionnement en cas de crise qui le fondent ont montré toute leur pertinence.

J’ajoute que la crise du Covid-19 ne doit en aucun cas être dissociée de l’urgence climatique, qui pèse aussi grandement sur la résilience de notre modèle alimentaire. Relocaliser l’agriculture, ce n’est surtout pas revenir sur nos exigences environnementales pour produire plus. Ce n’est pas poursuivre dans la voie d’un modèle agroindustriel responsable de près d’un quart des émissions de gaz à effet de serre et participant à l’effondrement de la biodiversité, à la déforestation, à la dégradation de la qualité des sols, de l’air, de l’eau. Ce n’est pas poursuivre dans la voie d’un modèle qui, on le sait, détruit des emplois agricoles et la vie dans les territoires ruraux, via l’agrandissement sans fin des exploitations ; un modèle qui engendre de la détresse chez celles et ceux qui parviennent, non sans peine, à se maintenir à flot.

La transition agricole et alimentaire est attendue par une partie grandissante de notre population ; elle passe à la fois par une relocalisation des productions et par une transition vers l’agroécologie, en vue d’assurer la souveraineté alimentaire de nos territoires.

Les solutions sont déjà amorcées localement via l’agriculture biologie diversifiée, qui approvisionne les circuits courts, mais de nouvelles filières doivent être organisées sur les territoires pour garantir une autonomie à l’échelle locale. Les pistes pour assurer cette souveraineté alimentaire des territoires sont nombreuses. Je voudrais évoquer celles contenues dans un tout récent rapport produit par Les Greniers d’abondance.

Pour ce collectif de chercheurs, d’enseignants et de citoyens travaillant sur la résilience alimentaire, réussir la souveraineté alimentaire des territoires nécessitera d’augmenter la population agricole et le nombre de fermes, de préserver totalement les terres agricoles, de favoriser l’autonomie technique et énergétique des fermes, de diversifier les variétés cultivées, avec des semences adaptées aux terroirs pour pouvoir affronter les crises qui nous attendent, d’adopter une gestion intégrée de la ressource en eau pour faire face aux menaces de sécheresse, de diversifier les productions pour satisfaire localement aux besoins de la population, de sortir, via l’agroécologie, de la dépendance aux pesticides, de développer des outils locaux de stockage et de transformation pour traiter la production sur place, de simplifier la logistique et l’achat alimentaire pour réduire notre dépendance aux transports et à la grande distribution et nous alimenter grâce aux filières locales, d’adopter une alimentation plus végétale, d’en finir avec la spécialisation de l’agriculture dans les territoires pour revenir au système polyculture-élevage et de sortir de la dépendance aux engrais chimiques.

Ces principes devraient être appliqués sur l’ensemble de nos territoires, mais aussi sur toute la planète. Cela n’implique bien sûr en aucun cas la fermeture aux échanges, mais ceux-ci doivent se réaliser dans le cadre d’un commerce juste et équitable, respectueux du droit fondamental à l’alimentation des populations, au rebours de la logique des accords de libre-échange.

Pour parvenir à la relocalisation de l’alimentation sur les territoires, un vaste plan est nécessaire, assorti de financements pour accompagner la transition agricole, l’organisation des filières de proximité, ainsi que la généralisation des projets alimentaires territoriaux, outils qui ont fait leurs preuves pour assurer l’ancrage territorial de l’alimentation. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SOCR et CRCE.)

 

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