REPORTERRE – 1er Février – Joël Labbé
Le président de la République a renié son engagement de sortir du glyphosate d’ici à trois ans. L’auteur de cette tribune rappelle cependant l’urgence qu’il y a à abandonner ce produit alors que des solutions de substitution existent et qu’un fort mouvement citoyen s’est levé pour le réclamer.
Joël Labbé est sénateur du Morbihan.
Le 24 janvier, Emmanuel Macron a déclaré qu’il ne pensait pas possible de sortir du glyphosate d’ici trois ans, mettant en cause la concurrence internationale. Il s’agit d’un recul sur sa promesse initiale, qui jette le doute sur la réalité de son engagement.
Si cette déclaration est décevante, elle n’est pas pour autant surprenante. Rappelons qu’il avait déjà reculé en refusant d’inscrire cette interdiction dans la loi dite EGalim [1]. L’argument utilisé était alors que l’engagement volontaire des acteurs serait plus efficace, et que la parole présidentielle suffirait à mobiliser l’ensemble des filières. Une position bien illusoire quand on sait que les plans Ecophyto successifs se sont jusqu’à présent soldés par des échecs : s’ils fixaient un objectif de réduction de 50 % des pesticides en 2018 (reporté à 2025), les quantités de pesticides utilisées ont continué d’augmenter, malgré un budget important, chiffré en dizaine de millions d’euros par an.
Et, au vu des dernières déclarations, on ne peut que s’interroger encore davantage sur l’efficacité d’une telle stratégie : comment espérer une mobilisation des agriculteurs et des industriels, alors que le Président désavoue les objectifs qu’il a lui-même fixés ? Tout cela démontre la réelle faiblesse de son engagement. La réduction à cinq ans du délai de réhomologation du glyphosate au sein de l’Union européenne, l’engagement initial du Président en faveur de l’interdiction, tout cela, nous le devons à Nicolas Hulot, et non au gouvernement actuel. Les lobbies ont repris la main. La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA, le syndicat agricole majoritaire) n’a eu de cesse de répéter qu’il n’y avait pas d’alternative à cet herbicide, Emmanuel Macron lui donne aujourd’hui raison.
Si cette interdiction est nécessaire, elle est aussi possible
C’est pourtant d’une interdiction réelle, claire et contraignante du glyphosate dont nous avons besoin. Des dérogations pourraient certes y être accordées, mais de manière exceptionnelle, et pour une durée très limitée.
Car, il y a urgence à interdire cet herbicide. Les preuves de la nocivité du glyphosate s’accumulent. Et ce, malgré les méthodes des firmes pour masquer la toxicité de leurs produits, aujourd’hui exposées en pleine lumière, à l’heure du scandale des Monsanto Papers, et des révélations sur les rapports « indépendants » de l’Agence européenne de sécurité des aliments, en réalité copie conforme des dossiers produits par les firmes d’agrochimie. On connaît donc désormais les risques du glyphosate pour la santé humaine, et pour l’environnement.
Si cette interdiction est nécessaire, elle est aussi possible. Les solutions existent, elles sont, pour la plupart, déjà là. L’Institut national de la recherche agronomique (Inra) estime possible, dès aujourd’hui, une sortie du glyphosate pour 80 à 90 % des usages. Il faut pour cela amorcer la transition vers des changements de systèmes, par l’allongement de la durée des rotations, la diversification des cultures, l’utilisation de semences adaptées… De nombreux agriculteurs appliquent déjà avec succès ces techniques sur le terrain. Cette transition doit cependant être accompagnée par de réels moyens : je travaille notamment à ce titre sur les paiements pour services environnementaux, qui permettent de rémunérer les pratiques vertueuses adoptées par les agriculteurs. Le gouvernement s’est engagé sur ce sujet dans son plan biodiversité, mais là encore, les paroles tardent à se concrétiser.
De plus, il existe aussi des solutions pour échapper aux distorsions de concurrence avec les autres pays qui continueraient à utiliser cette molécule : la France peut être un moteur pour entraîner avec elle l’Europe vers la sortie des pesticides. C’est ce qui s’est passé pour les néonicotinoïdes : l’interdiction française a été confortée par le retrait de trois molécules au sein de l’Union européenne. La France se doit aussi d’être un leader de la relocalisation de l’alimentation, seule solution pour faire face aux enjeux environnementaux, et garantir un revenu aux agriculteurs. Nous avons donc des solutions à portée de main, si notre pays choisit de s’en donner les moyens.
La pression citoyenne joue ici tout son rôle
Je reste donc optimiste sur la sortie des pesticides, même face aux déclarations confuses qui émanent du gouvernement. La pression citoyenne joue ici tout son rôle et elle peut, elle doit l’emporter. Lorsque j’ai commencé à travailler sur l’interdiction de l’usage des pesticides aux collectivités et aux particuliers, on m’a dit que c’était impossible. C’est pourtant devenu une loi qui s’applique aujourd’hui sans problème. De même, l’interdiction des néonicotinoïdes a été rejetée massivement en 2014, avant d’être finalement votée en 2016. Molécule par molécule, nous pouvons arracher des victoires. Ce n’est qu’en faisant preuve d’une vigilance extrême envers l’Union européenne et le gouvernement, et d’une mobilisation constante que nous y arriverons.
Le mouvement des coquelicots, les pétitions, la croissance du bio, les centaines de plaintes de victimes déposées contre Monsanto, le travail des journalistes d’investigation, l’annulation de l’autorisation de mise sur le marché du Roundup Pro 360 à la suite d’une plainte du Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (Criigen), tous ces éléments contribuent à renverser le rapport de force, depuis trop longtemps favorable aux firmes de l’agrochimie. Nous, élus, avons besoin de cet inarrêtable élan citoyen pour sortir la France des pesticides.
Ce vendredi 1er février, comme chaque premier vendredi du mois, les signataires de l’Appel à la résistance contre tous les pesticides de synthèse, dit « Appel des coquelicots », sont invités à se rassembler à 18 h 30 sur les places des villes et des villages des lieux où ils habitent.