17 > 21 juin 2012 / Sommet de la Terre et Sommet des Peuples [Rio de Janeiro, Brésil]
[16-06-2012]
Départ pour Rio où s’ouvrira demain le Sommet de la Terre, baptisé « RIO+20 », un moment important qui réunira 140 chefs d’état. J’y assisterai au titre des Citoyens du monde, en qualité d’élu du congrès mondial des peuples, en tant que maire et sénateur écologiste, quand je rejoindrai la délégation officielle au moment de l’intervention de François Hollande.
Les conclusions du premier Sommet de Rio, en 1992, m’ont profondément marquées. Depuis, j’affiche et j’affirme ma volonté de bousculer la pratique politique parce qu’il est urgent de changer de modèle économique et social, non seulement au niveau local ou national, mais aussi au niveau mondial. Il faut protéger la terre, c’est pourquoi j’y défendrai un autre modèle agricole en intervenant notamment contre l’accaparement des terres dans les pays du sud, par des multinationales, qui y développent des monocultures intensives au détriment des cultures vivrières des populations locales.
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Rio+20 : jour 1 [17-06-2012]
Première journée particulièrement intense et intéressante à Riocentro, accompagné d’Ursula Grattapaglia, déléguée comme moi du Congrès des Peuples. Premier side-event « Agricultural transition » animé par Henry Saragih, Coordinateur international de la Via Campesina, reçue l’année dernière à Saint-Nolff pour son congrès mondial. Partout au monde, les résistances paysannes s’organisent, fédérées par la Via Campesina. Intervention remarquée d’Angela Hilmi, Indienne, auteur du livre « Agricultural transition, a different logic ». Deuxième side-event, co-organisé par les Citoyens du Monde et WATUN : « Creating a more effective system of environmental and sustainable development governance », animé par Rob Wheeler, Américain, Président du Congrès des Peuples. J’étais l’un des intervenants auprès de Pierre Calame. L’essentiel de mon propos a été de faire un état des lieux alarmant de l’accaparement des terres, et de démontrer que c’est un sujet particulièrement préoccupant justifiant de la mise en œuvre d’une véritable gouvernance mondiale démocratique, à même de légiférer. L’assistance était composée de personnes venant d’une vingtaine de pays. Le besoin de gouvernance mondiale a fait consensus. Il reste maintenant à œuvrer pour faire avancer ce concept. J’ai conclu en faisant savoir que pour moi, c’est véritablement la mobilisation citoyenne qui va bousculer le monde politique et le forcer à prendre en compte les aspirations des peuples.
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RIO+20 : jour 2 [18-06-2012]
Au matin, rencontre avec Nicole Bricq, notre nouvelle Ministre de l’Environnement, en présence notamment de Sandrine Bélier, Députée européenne, et Laurence Rossignol, Sénatrice PS, Rapporteure de la position sénatoriale française sur le Sommet Rio+20. L’Ambassadeur de France au Brésil était également présent. La Ministre nous a fait part de toutes les difficultés pour arriver à un accord qui ne soit pas qu’à minima. Elle estime que la pression de la société civile permettra de préserver certaines avancées, notamment pour le maintien du principe du « without regression ». L’après-midi, participation à la rencontre Global Greens, réunissant tous les élus verts du monde présents à Rio. Le Président des Verts du Brésil m’a proposé de prendre la parole à la tribune, en tant qu’à la fois Sénateur écologiste français et membre élu du Congrès des Peuples. Lorsque j’ai annoncé le score des écologistes aux élections législatives de dimanche -18-, l’assistance a longuement applaudi. Rencontres très riches avec les nombreux Verts brésiliens présents, et échanges avec deux collègues Sénateurs écologistes, Kennedy, parlementaire néo-zélandais, et Larissa, parlementaire australienne. Ils sont impliqués dans le mouvement des Global Greens, que j’espère bien rejoindre très bientôt.
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RIO+20 : jour 3 [19-06-2012]
Sommet des Peuples à Flamengo Park. Depuis mon arrivée à Rio, j’ai essentiellement découvert le Sommet officiel de Riocentro dans cette ambiance typiquement – me dit-on – onusienne. J’ai cependant pu participer à des débats intéressants, contribuant ainsi à porter la voix de l’utopie dans ce haut lieu où se dessine l’avenir du monde. Aujourd’hui mardi, changement de décor dans le Parc Flamengo, investi par le Sommet des peuples « Cupula dos povos ». L’ensemble des mouvements de la société civile s’y expriment avec une présence très importante et remarquée des tribus amérindiennes. Au-delà de la quarantaine de kilomètres qui séparent les deux sites, quelle distance, quel fossé, quel décalage et quel contraste entre les attentes des populations et les réponses apportées par le sommet officiel. Il est vraiment temps que la classe politique renoue avec le peuple. Les intérêts planétaires doivent dépasser les intérêts nationaux. Journée pour moi très ressourçante : de belles rencontres et des liens pour une coopération future. Partout dans le monde, de nouvelles expériences émergent, fruits de l’imagination, de la créativité et de l’envie de bien vivre ensemble, de nouvelles résistances s’organisent pacifiques mais déterminées. C’est là où naissent les germes de l’espoir. A nous les politiques de les faire pousser.
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RIO+20 : jour 4 [20-06-2012]
Riocentro – Journée officielle pour la venue de François Hollande. C’est la « journée historique » du Sommet, avec la ratification du texte Rio+20 par les chefs d’Etat ou leurs représentants. Je reviendrai en fin de semaine sur mon point de vue sur ce texte. Journée dilemme pour moi : une immense manifestation de protestation regroupant toutes les forces vives du Sommet des Peuples est organisée dans le centre de la ville de Rio. J’aurais bien aimé y participer mais les élus écologistes des Global Greens n’avaient pu s’organiser pour monter une délégation. En fin de compte, j’ai choisi de me joindre aux membres de la Délégation officielle française en ma qualité de Sénateur. Le Président François Hollande ayant fait le choix de se rendre lui-même à Rio, et d’y faire une déclaration solennelle, il importait que je sois présent. Je n’ai pas du tout regretté : notre Président de la République, accompagné de quatre de ses Ministres, dont Pascal Canfin, que j’avais le plaisir de retrouver pour la première fois dans son rôle de Ministre Délégué au Développement, s’est adressé à nous au Pavillon français après sa prise de parole officielle. Il nous a commenté les positions défendues par la France, rejoignant celles de l’Europe, représentée ici en tant que telle (Sandrine Bélier, Députée Européenne écologiste a fortement apporté sa contribution). Avec sincérité, il nous a fait part de ses déceptions (que je partage, et pas qu’un peu !), mais aussi de l’espoir suscité par la mise en place d’un calendrier 2012-2015. Ce temps est nécessaire pour mener de nouvelles négociations afin d’arriver à un accord formel, contraignant, à la hauteur des enjeux planétaires, au-delà des simples bonnes intentions actuelles. Il faudra que les ONG et les mouvements issus de la société civile gardent leur mobilisation pour peser sur les décisions internationales qui s’imposent. Ensuite François Hollande a pris le temps de serrer les mains avec sa simplicité habituelle. C’est la première fois que j’ai l’occasion de le saluer dans son rôle de Président de la République : « Tu es là toi aussi, ça me fait plaisir ! ». Je n’ai pas regretté d’être présent au milieu de mes collègues élus nationaux. Avec notre nouveau Président, la France, pays des Droits de l’Homme, doit plus que jamais défendre la grande cause de l’environnement et du développement durable sur la scène internationale.
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RIO+20 : jour 5 [21-06-2012]
Retour à Rio Centro Ce matin, j’ai participé au Side-event organisé par l’ADEME, l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement), et la FAO : « Green economy and agriculture tools to fight against the climate change ». De nombreux pays étaient représentés dans l’assistance. Après des exposés plutôt techniques mais des témoignages d’expériences intéressantes menées sur l’Etat de Rio, le représentant de la FAO a souligné l’importance d’accroître la productivité pour limiter la déforestation. Dans le cadre du débat qui a suivi, je suis intervenu pour obtenir des précisions sur la notion de productivité, rappelant que la grande marchandisation des produits alimentaires génère au moins 30% de pertes. A la fin de la séance, plusieurs personnes m’ont fait part de leur approbation sur la nécessité de prendre en compte ce gâchis, notamment Joël Ruet, représentant de l’IDDRI (Institute for Sustainable Development and International Relations), que je rencontrerai prochainement sur Paris, Bernard Dreyfus, Directeur Général délégué à la Science de l’IRD, et Nicole Bernex Weiss, membre de l’Université du Pérou. Cette semaine m’aura vraiment permis de nouer contact avec un nombre important de personnes compétentes et influentes œuvrant dans le domaine du développement soutenable, donnant des perspectives intéressantes de travail en réseau. Après une pause déjeuner-échange avec Eva Joly, nous nous sommes retrouvés entre élus écologistes pour échanger nos points de vue sur le Sommet, et préparer un point presse. En fin de journée, rencontre inattendue avec Gert-Peter Bruch, Président de Planet Amazonie, association qui défend la cause des peuples amérindiens. Au fur et à mesure de la discussion, nous nous sommes découvert un bon ami commun, le chanteur Cali, lui-même investi dans la défense des territoires ancestraux de ces peuples. A mon niveau, je me suis engagé à soutenir ce combat pour la défense du droit à la dignité des peuples.
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Intervention sur l’accaparement des terres et la nécessité d’une gouvernance mondiale
Mesdames, messieurs,
Permettez-moi, tout d’abord, de vous dire l’honneur et le plaisir que c’est pour moi d’être ici, à Rio de Janeiro, pour ce nouveau Sommet de la Terre, sommet qui doit être un moment unique dans l’histoire de l’humanité. Après les épisodes de Rio 92, de Kyoto 97, de Johannesbourg 2001, après l’échec humiliant de Copenhague 2009, comme beaucoup, je ne me fais pas beaucoup d’illusions sur l’issue du Sommet officiel, si ce n’est, quand-même, une prise de conscience encore plus importante des enjeux.
Mais aujourd’hui, cela ne suffit plus, tant il est urgent d’agir. Aussi, je crois beaucoup aux mouvements des peuples en marche qui veulent s’engager pour prendre en main leur propre destin, mouvements citoyens représentés ici, dans tous ces événements en marge du Sommet officiel, pour démontrer aux politiques qu’il est urgent d’agir pour un changement radical dans l’intérêt supérieur des populations et des générations futures.
J’interviens ici, à la fois en tant que politique moi-même, puisque je suis maire de la commune de Saint-Nolff en France depuis 1995 et, depuis l’année dernière, sénateur élu au Parlement français, membre du groupe des écologistes ; mais je suis ici aussi, en tant que membre du mouvement des Citoyens du Monde, élu au Congrès Mondial des Peuples. Quant à la commune de Saint-Nolff, depuis 1997, nous l’avons déclarée « Commune du Monde », territoire mondial lié à la Communauté Mondiale, cela par délibération du conseil municipal. Nous nous sommes ainsi engagés à respecter la charte des Communes du Monde dans toutes les décisions que nous prenons.
Pour les Citoyens du Monde, « A tout problème mondial, il ne peut qu’y avoir une solution mondiale ».
Au Congrès des Peuples, organe de préfiguration, nous appelons de nos vœux la construction d’une assemblée des peuples, parlement mondial d’une nouvelle confédération des Nations Unies, assemblée démocratiquement élue au suffrage universel.
Certains diront encore que c’est là une utopie de doux rêveur : oui, le rêve de réaliser l’unité du monde est une utopie, mais lorsqu’il s’agit d’en assurer la survie, cette utopie devient la plus belle des utopies, le plus beau des rêves, un grand rêve que nous avons collectivement le devoir de mettre en œuvre.
A titre d’exemple, le programme des Nations-Unies pour l’environnement n’est que très partiellement mis en œuvre alors que ce programme partait du constat alarmant que l’activité de l’homme est dès à présent la cause d’une dégradation des conditions de vie sur la planète qui peut devenir irréversible. Et depuis, la situation s’aggrave encore, sous le poids notamment d’un marché mondial aveugle et non régulé, où seul compte le profit à court terme.
Parmi tous les domaines, nombreux, qui nécessitent une gouvernance mondiale, il en est un, essentiel, qu’il importe de réguler maintenant, et dans l’urgence tant ce qui se passe est inacceptable : je veux parler de l’accaparement des terres. Cette pratique dont les conséquences sont extrêmement graves, est en train de se développer à grande échelle.
Ces accaparements massifs de terres au profit d’intérêts privés ou d’états tiers ciblent des dizaines de millions d’hectares de terres agricoles ou de forêts. Qu’elles soient faites pour des raisons alimentaires, énergétiques, minières, touristiques ou spéculatives, ces pratiques portent une grave atteinte aux droits humains fondamentaux de populations entières, paysannes, pastorales ou forestières. Ces communautés locales occupant ces terres depuis des générations sont spoliées de leur moyens de production alimentaire, de leur accès aux ressources naturelles et sont privées de leur liberté de produire comme elles le souhaitent.
Les intérêts privés internationaux concernés par ces investissements sont des sociétés multinationales, de puissants groupes agricoles liés à l’agro-industrie ou des institutions financières.
Pour ce qui est des pays concernés, les états du Golfe, la Chine, l’Inde et la Corée du Sud font partie des principaux acheteurs actuels, aux cotés des Occidentaux dont l’Europe.
Un groupe d’experts de la FAO sur la sécurité alimentaire estime qu’au cours des 5 dernières années, 50 à 80 millions d’hectares de terres agricoles dans les pays en voie de développement ont fait l’objet de négociations avec les investisseurs internationaux cherchant à acheter ou à louer ces terres. L’ONG Oxfam chiffre elle à 227 millions le nombre d’hectares accaparés depuis 2001. « Parallèlement, dans ces mêmes pays, près d’un milliard de personnes manquent de nourriture et un autre milliard souffre de formes diverses de malnutrition, et ce malgré une production alimentaire mondiale suffisante. »
Aussi, il est insensé de vouloir étendre sur l’ensemble de la planète un modèle unique agro-industriel qui fait faillite. Si l’investissement est nécessaire, en soutien financier pour améliorer les pratiques culturales et assurer la sécurité alimentaire locale, il faudrait au contraire un programme international d’investissements ajoutés à un apport de savoir-faire au titre de la coopération… Si le montant de ce programme représentait des sommes du même ordre que celui dont ont bénéficié les banques en 2008, il permettrait un grand pas en avant pour le développement de l’agriculture familiale sur des exploitations en polyculture.
La production agricole sur les terres acquises est essentiellement intensive et industrielle, basée sur la monoculture le plus souvent poussée aux OGM et autres produits de l’agrochimie. Au-delà du fait inacceptable de priver les agriculteurs locaux de leur terre, et de leur source d’alimentation, ces pratiques contribuent de plus à l’appauvrissement de la biodiversité et à l’accroissement du réchauffement climatique.
Mais la production alimentaire et fourragère n’est pas le seul moteur de ces transactions foncières, les terres sont également achetées en masse pour la production de biocarburants par d’autres acteurs « qui viennent ainsi gonfler les rangs des participants à cette ruée vers les terres » avec toujours un but commun, faire du business à court terme, au mépris total des intérêts des populations locales !
Les agences de financement et les institutions financières se montrent complices de ce système. Ces organismes demandent depuis longtemps plus d’investissement en agriculture dans les pays du sud avec une solution toute simple en système libéral : favoriser ce courant d’investissements. Leur argument massue : la faible productivité agricole dans la plupart des pays du sud. La dernière étude menée par la Banque Mondiale en 2010 est un exemple saisissant de ce type de discours : les familles paysannes ne sont pas en mesure de produire suffisamment pour nourrir la population et elles le seront encore moins demain. Ce constat est mensonger mais il permet d’apporter les mêmes réponses depuis les années 1960 : mono-cultures, plantations gigantesques, agro-chimie, travail bon marché, économies d’échelles, libéralisme… C’est un mensonge largement diffusé, car l’agriculture vivrière avec ses pratiques diversifiées est la plus productive à l’hectare, la plus utilisatrice de main d’œuvre, la mieux adaptée à la diversité des terroirs de ces pays. C’est donc cette agriculture qu’il faut soutenir, via des plans internationaux d’investissements, au lieu d’arroser de subventions, de faire bénéficier d’exemptions de taxes, les actuels investissements de l’agro-business qui profite de plus d’un coût de foncier extrêmement bas.
En France, aujourd’hui, comme dans les autres pays occidentaux, les tenants de l’agriculture productiviste, osent encore avancer l’argument qu’il faut bien accroître les rendements de nos terres agricoles au motif qu’il faudra bien nourrir la population mondiale qui devrait atteindre les 9 milliards estimés pour 2050. C’est là le comble du cynisme !
Certes, au vu de l’ampleur du désastre, le Comité sur la sécurité alimentaire mondiale ( CSA ) négocie la finalisation d’un ensemble de directives volontaires sur la gouvernance responsable des régimes fonciers des terres, pêches et forêts. Ces directives visent à constituer un cadre international de normes et d’orientations pour les gouvernements, la société civile et le secteur privé sur la gouvernance responsable des terres. Si cela permet des avancées notoires pour le respect des droits des populations, on est encore loin d’une gouvernance des ressources naturelles à même d’interdire les accaparements de terres et faire respecter les droits des populations.
Aussi, je vous invite a apporter votre soutien aux signataires de l’appel de Dakar contre les accaparements de terres lancé lors du Forum Social Mondial de Dakar en 2011.
Cette pratique de l’accaparement des terres est un des exemples qui démontrent la nécessité d’une régulation à l’échelle mondiale, via une loi mondiale par une nouvelle gouvernance qui reste à créer.
Je suis convaincu que c’est seulement devant l’ampleur de la pression politique exercée par le peuple des citoyens du monde en marche que les dirigeants politiques et les responsables des nations, un peu partout sur la planète, commenceront à être réceptifs à l’idée qu’il faut vraiment mettre en place une gouvernance mondiale démocratique.
C’est par là, que la plus belle et la plus noble des utopies pourra voir le jour, assurant ainsi la survie de l’humanité.
Je vous souhaite, chères citoyennes, chers citoyens du monde, d’être de plus en plus nombreuses, de plus en plus nombreux, pour constituer ce peuple en marche qui cultive l’audace d’espérer.
Je vous remercie.
Joël Labbé