PROPOSITION DE LOI
visant à renforcer la prévention des conflits d’intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires,
Enregistrée à la Présidence du Sénat le 03 janvier 2018
Présentée par
M. Jean-Claude REQUIER, Mme Nathalie DELATTRE, MM. Guillaume ARNELL, Stéphane ARTANO, Alain BERTRAND, Mme Maryse CARRÈRE, MM. Joseph CASTELLI, Yvon COLLIN, Jean-Pierre CORBISEZ, Mme Josiane COSTES, MM. Ronan DANTEC, Jean-Marc GABOUTY, Éric GOLD, Jean-Noël GUÉRINI, Mmes Véronique GUILLOTIN, Mireille JOUVE, M. Joël LABBÉ, Mme Françoise LABORDE, MM. Olivier LÉONHARDT, Franck MENONVILLE et Raymond VALL, sénateurs.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Dans notre société contemporaine, la mobilité est souvent perçue comme un privilège. La capacité d’adaptation des individus mobiles est désormais très valorisée, y compris dans la haute fonction publique : la mobilité y est devenue une étape de carrière obligatoire, au nom de la théorie de la « respiration » des grands corps de l’État. Les rapports de la Direction générale de la fonction publique font pourtant état de l’inégale pratique de cette mobilité dans l’ensemble de la fonction publique, qui bénéficie prioritairement aux agents de catégorie A et A+. En outre, certains corps sont plus concernés par le phénomène de mobilité parmi les agents de catégorie A+, comme le soulignait la récente étude « Que sont nos énarques devenus ? »1(*).
L’existence d’allers-retours des grands serviteurs de l’État entre l’administration et le secteur privé n’est pas une nouveauté. La pratique du « pantouflage » existe ainsi depuis la création de l’École Nationale d’Administration.
Cette pratique n’est cependant pas sans risque pour l’intérêt général. Le maintien hors de leur administration d’origine, pour des durées parfois indéterminées, de fonctionnaires bénéficiant durant la majeure partie de leur vie professionnelle du bénéfice d’un concours représente un coût de gestion des ressources humaines important. Le coût est d’autant plus grand lorsque l’engagement décennal n’est pas respecté avant le départ définitif vers le secteur privé.
Sans pour autant généraliser, il existe également un risque de situation de conflits d’intérêt lorsque des personnes issues de la haute administration se retrouvent potentiellement en situation de favoriser une entreprise ou une institution soit dans l’espoir de négocier une embauche, soit, après leur retour dans l’administration, pour honorer leurs anciennes relations professionnelles.
Ces risques sont bien connus, et diverses mesures ont été prises afin de lutter contre les conflits d’intérêts, comme dans la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. Les dispositifs issus de ce texte ont le mérite d’exister, mais ils restent cependant incomplets. Le choix de définitivement quitter la fonction publique est trop rarement formalisé, tant il est difficile de renoncer à un statut particulièrement protecteur.
La présente proposition de loi vise donc à renforcer les dispositifs de prévention des potentiels conflits d’intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires, dans le souci de garantir une meilleure transparence des évolutions de carrière et de ne permettre aucune suspicion.
L’article 1er conditionne la recevabilité d’une demande d’un fonctionnaire souhaitant cesser définitivement ses fonctions à sa démission de la fonction publique ainsi qu’au respect de l’engagement décennal (le cas contraire, au remboursement de la pantoufle) préalablement à la saisie de la commission de déontologie.
L’article 2 vise à rendre obligatoire la saisine de la commission de déontologie pour les demandes de mobilité des fonctionnaires soumis à déclaration auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et à rendre automatique l’ouverture d’une procédure disciplinaire en cas de non-respect de l’avis d’incompatibilité ou de compatibilité avec réserve de la commission de déontologie.
L’article 3 vise à modifier la composition de la commission de déontologie, et prévoit une présidence tournante entre les trois ordres administratif, financier et judiciaire.
L’article 4 étend le contrôle exercé par la commission de déontologie à la compatibilité des fonctions exercées par les fonctionnaires réintégrés après leur mobilité dans le secteur privé.
L’article 5 vise à étendre le contrôle de la commission de déontologie à la nomination des secrétaires ou délégués généraux des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes prévu par la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes.
L’article 6 fixe une durée maximale à la situation de détachement d’un fonctionnaire.
L’article 7 vise à instaurer un régime semi-automatique de peine complémentaire d’interdiction d’exercer une fonction publique, en cas de condamnation pour les mêmes infractions que celles donnant lieu au prononcé d’une peine d’inéligibilité.