14e législature / Question écrite
> publiée dans le JO Sénat du 03/11/2016
M. Joël Labbé interroge M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement, concernant l’initiative internationale « 4 pour 1 000 » initiée par le ministère de l’agriculture en mars 2015, dont le lancement a été effectué lors de la conférence de Paris sur le climat (COP 21) en décembre 2015 et qui fera l’objet d’une journée dédiée lors de la COP 22 pour réunir les membres du consortium de l’initiative.
Surnommé pendant un temps dans les médias « la réponse agro-écologique du ministre de l’agriculture au problème du climat », le 4 pour 1 000 peine aujourd’hui à afficher une orientation politique nette. En l’espace d’un an, les informations communiquées sur cette initiative ont évolué vers d’autres approches que l’agro-écologie. Ainsi sont mentionnées dans la plaquette de présentation l’agroforesterie, la gestion des paysages et l’agriculture de conservation. Ces mots, sans orientation plus définie, peuvent rapidement s’apparenter à un fourre-tout. Il est difficile de garantir que l’initiative 4 pour 1 000 ne conduira pas à un usage intensif à travers le monde du round up de Monsanto et des organismes génétiquement modifiés (OGM) qui y sont associés sous prétexte de stocker du carbone dans le cadre de l’agriculture de conservation. Car, comme le souligne Monsanto, si hier « le glyphosate était le pilier du semis direct, il est devenu le filet de sécurité de l’agriculture de conservation ». Pour pouvoir répondre aux enjeux des dérèglements climatiques tout en favorisant la sécurité alimentaire, la transition de nos modèles agricoles est indispensable.
Face à l’absence de cadrage précis, le 4 pour 1 000 prévoit de développer un référentiel par l’intermédiaire d’un conseil scientifique et technique qui sera lui-même nommé par le consortium des membres de l’initiative au moment de la COP 22. Mais on le sait, les indicateurs que peuvent établir les scientifiques dans de tels programmes sont fortement dépendants de l’objectif politique qui leur est donné. Ce n’est pas la même chose de vouloir à tout prix stocker du carbone dans les sols agricoles que de vouloir contribuer à la sécurité alimentaire de nos concitoyens tout en favorisant le stockage de carbone. Le référentiel qui découlera de ce choix en sera nécessairement impacté. C’est donc bien de l’impulsion politique qui sera donné par le pays à l’initiative du projet que dépend en partie la trajectoire future de l’initiative, et non de celle des membres du 4 pour 1 000 dont les intérêts divergent du fait de leur grande diversité.
À l’approche de la COP 22 et de la première réunion du consortium de l’initiative 4 pour 1000 le 17 novembre 2016, il lui demande quel sera le cadrage politique défendu par la France concernant l’initiative du 4 pour 1 000.
Il lui demande si la priorité sera donnée à la quantité de carbone stockée dans nos sols agricoles ou bien à une approche intégrée ayant pour objectif la sécurité alimentaire et permettant de prendre en compte l’ensemble du bilan des gaz à effet de serre (y compris ceux issus de la production et de l’utilisation des intrants chimiques) ainsi que les impacts économiques et sociaux sur les petits producteurs qui constituent l’immense majorité des agricultrices et agriculteurs de ce monde.
Réponse du Ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt…
L’initiative « 4 pour 1000 » les sols pour la sécurité alimentaire et le climat a été lancée le 1er décembre 2015 lors de la COP 21 à l’initiative de la France avec près de 100 organisations signataires de la déclaration de Paris. Préserver des sols agricoles riches et vivants est déterminant pour relever trois défis majeurs : garantir la sécurité alimentaire, faire face au changement climatique et réduire les émissions de gaz à effets de serre. L’initiative « 4 pour 1000 » présente une solution à ces défis. En effet, elle vise à améliorer la qualité des sols en y encourageant le stockage de carbone grâce à des pratiques agricoles adaptées augmentant ainsi la fertilité, la résilience des sols et la production agricole tout en limitant la concentration de gaz à effets de serre dans l’atmosphère. Cette solution se base notamment sur les pratiques développées par l’agro-écologie telle que promue par le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. En 2016, l’initiative « 4 pour 1000 » s’est structurée avec notamment la publication de la déclaration d’intention mettant en place les instances de gouvernance. Cette déclaration d’intention fixe un ensemble de garde-fous. Tout d’abord, elle précise que l’objectif d’augmenter la séquestration de carbone dans le sol doit se faire en cohérence avec des critères économiques, sociaux et environnementaux. Ensuite les conditions d’accès au consortium qui est l’instance de décision de l’initiative y sont clairement spécifiées. Ne peuvent ainsi en être membres que les organisations à but non lucratif, ceci afin d’éviter que l’initiative ne soit pilotée par des intérêts commerciaux. L’initiative a depuis gagné en notoriété : elle compte désormais 223 partenaires dont 37 États et collectivités mais également 70 organisations non gouvernementales (ONG), 34 organisations agricoles, 11 organisations internationales, 36 centres de recherche, des banques de développement et des fondations. 95 partenaires sont déjà devenus membres du consortium en signant la déclaration d’intention. Parmi les membres, on trouve notamment l’association pour une agriculture durable (APAD), la fédération internationale des mouvements de l’agriculture biologique (IFOAM), l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), les ONG Agri Sud, AVSF, le GRET, CARI. Le référentiel qui sera développé sera le fruit du travail de scientifiques de haut niveau prenant en compte les enjeux de durabilité environnementale et les enjeux socio-économiques. Le comité scientifique et technologique proposera ce référentiel après consultation de la société civile et des utilisateurs potentiels. Il sera ensuite adopté par le consortium, puisque c’est ce dernier qui est l’instance de décision de l’initiative. Enfin, l’objectif de l’initiative est bien de répondre de manière intégrée au triple enjeu : sécurité alimentaire, adaptation aux effets du changement climatique et atténuation du changement climatique. Elle ne saura donc se contenter de cibler comme indicateur la quantité de carbone stockée dans les sols agricoles mais bien un ensemble multi-dimensionnel, y compris sur l’ensemble du bilan gaz à effets de serre.