LE MONDE / 20-05-2015 – Par Stéphane Foucart
C’est un constat que chacun peut faire et qui vaut toutes les études : chose impensable voilà une vingtaine d’années, il est désormais possible de traverser la France tout en conservant le pare-brise de sa voiture presque vierge de toute trace d’insectes. D’autres signes, comme la division par trois de la production française de miel en vingt ans, ne trompent pas.
Ce déclin des hexapodes – dont celui des abeilles domestiques est la part médiatiquement émergée – commence à mobiliser timidement la classe politique. Ségolène Royal devait présenter, mercredi 20 mai, en conseil des ministres, un plan national d’action en faveur des abeilles et des pollinisateurs sauvages (bourdons, papillons, abeilles solitaires, etc.).
La ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie devait notamment confirmer l’appui de la France à la reconduction du moratoire européen mis en œuvre en décembre 2013. Celui-ci interdit certaines utilisations de plusieurs insecticides agricoles, mais arrive à son terme fin 2015. La volonté de la France de le voir reconduit avait été annoncée, le 7 mai, par Stéphane Le Foll, le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Depuis, la position française s’est durcie. « Il ne s’agit pas uniquement de reconduire le moratoire après 2015, mais de l’étendre à d’autres substances et d’autres usages », précise-t-on ainsi dans l’entourage de Mme Royal.
Le moratoire européen ne concerne actuellement que quatre molécules – dont trois appartenant à la famille dite des « néonicotinoïdes » – et n’en interdit que certaines utilisations. Ces produits demeurent par exemple autorisés sur les céréales d’hiver. Deux autres néonicotinoïdes, le thiaclopride et l’acétamipride, ne sont en outre pas concernés par le moratoire en vigueur.
Socialistes divisés
Cette famille de neurotoxiques, introduite au milieu des années 1990, est suspectée d’être un élément déterminant du déclin des insectes. Sans attendre une possible évolution de la réglementation européenne, Mme Royal devait aussi annoncer la saisine de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), chargée de « définir de nouvelles interdictions d’usage » des néonicotinoïdes en France.
Le renforcement de la position du gouvernement sur le sujet est récent. Le 16 mars, un amendement à la loi sur la biodiversité, déposé par les députés socialistes Delphine Batho et Gérard Bapt et prévoyant l’interdiction totale des néonicotinoïdes en France dès 2016, avait ainsi été adopté en première lecture par l’Assemblée… contre l’avis du gouvernement.
Les socialistes semblent d’ailleurs divisés sur la question. En février, une proposition de résolution déposée au Sénat par Joël Labbé (EELV) et dont l’objet était simplement d’enjoindre au gouvernement français de plaider, au niveau européen, un moratoire étendu sur les néonicotinoïdes – position aujourd’hui portée par Ségolène Royal et Stéphane Le Foll – n’avait guère séduit dans les rangs socialistes. Sévèrement rejetée (64 pour et 248 contre) par les sénateurs, la proposition de résolution avait fédéré contre elle la quasi-totalité des votes socialistes (108 sur 111).
Mobilisation croissante de la société civile
Le gouvernement est, sur le sujet, poussé par le volontarisme de certains parlementaires, mais aussi par une mobilisation croissante de la société civile. Lancée fin avril par la Fondation Nicolas Hulot et l’association Générations futures, une pétition demandant le retrait des « néonics » a recueilli quelque 50 000 signatures en trois semaines.
Cependant, les annonces gouvernementales contre les pesticides tueurs d’abeilles suscitent quelques suspicions. Delphine Batho a ainsi adressé, lundi 18 mai, une question écrite au gouvernement, s’étonnant de l’impossibilité d’accéder aux détails de la note des autorités françaises adressée à la Commission européenne sur le sujet, et demandant sa publication.
Outre la guerre officiellement déclarée contre les néonicotinoïdes, Mme Royal devait présenter d’autres pistes d’action : soutien financier aux territoires sans néonicotinoïdes ou encore changement des pratiques de gestion de la végétation sur les accotements du réseau routier. « La pratique dite du “fauchage tardif” permet, par exemple, d’augmenter localement la diversité des insectes pollinisateurs d’environ 30 %, dit-on au ministère. C’est quelque chose qui sera mis en œuvre sur les 12 000 km du réseau routier national. »
Les autres gestionnaires des voies de communication (collectivités, SNCF, etc.) seront sollicités par l’Etat pour appliquer des pratiques favorables à la préservation des pollinisateurs, autour des réseaux dont ils ont la charge.