L'Humanité

La bête noire des bêtes chères

L’Humanité / 04-02-15 par Marie-Noëlle Bertrand

Hautement toxiques pour les pollinisateurs, les néonicotinoïdes seront sur la sellette aujourd’hui devant l’Assemblée nationale.

Insecticides au nom imprononçable, les néonicotinoïdes reviennent sur le devant de la scène, et pas pour leur bonheur. Soutenu par plusieurs organisations écologiques, Joël Labbé, député d’Europe Écologie-les Verts (EELV), doit déposer cet après-midi une résolution alertant « le gouvernement et les instances européennes de l’urgence de mettre en œuvre des restrictions fortes » à leur utilisation. La revendication n’est pas neuve, et a déjà marqué des points : en 2013, sur impulsion de la France, la Commission européenne prononçait un moratoire pour l’interdiction partielle, pendant deux ans, de trois de ces molécules. Mais on en compte sept au total, et la bataille, pour ceux qui souhaitent les voir disparaître des champs, n’est pas finie.

« L’utilisation actuelle des néonicotinoïdes n’est pas durable »

En novembre 2014, François Hollande leur a donné quelques espoirs en déclarant, lors de la conférence environnementale, vouloir aller plus loin dans leur interdiction. À voir ce qu’il en restera dans la feuille de route environnementale que doit présenter aujourd’hui Manuel Valls. En attendant, le nouveau plan Écophyto, dévoilé vendredi et visant à réduire de 50 % l’usage des pesticides d’ici à 2025, n’en pipe pas mot. « Une grosse déception », estime Joël Labbé, selon qui le gouvernement reste sous le joug des lobbies industriels, et qui appelle les députés à faire front contre les néonicotinoïdes. Pourquoi eux ? C’est que, au rang des produits phytosanitaires, cette nouvelle famille de dérivés chlorés de la nicotine a fait les preuves de sa très haute toxicité. Pour les abeilles, entre autres. Questionné par Libération, vendredi, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, a eu beau jeu de faire valoir sa demande d’une « étude de leur impact sur la faune polinisatrice » à l’Efsa : l’Autorité européenne de sécurité des aliments a déjà identifié, en 2013, plusieurs risques associés aux néonicotinoïdes pour les abeilles. Encore ne sont-elles pas les premières victimes de ces neurotoxiques, présents dans les formulations telles que le Cruizer, le Gaucho ou encore le Pancho. « En tête arrivent les invertébrés des sols, indispensables à leurs fonctions, dont les vers de terre », explique Jean-Marc Bonmatin, chercheur au Centre de biophysique moléculaire du CNRS, et qui, pendant quatre ans, dans le cadre d’une étude internationale, a planché sur tout ce que la science a publié sur le sujet. Publiée en juin dernier, la conclusion de l’étude est sans appel : « L’utilisation actuelle des néonicotinoïdes n’est pas durable », résume le chimiste. Insecticides 5 000 à 10 000 fois plus toxiques que le DDT, les néonicotinoïdes s’attaquent au système nerveux des insectes et autres invertébrés terrestres ou aquatiques. Pénétrant le tissu des plantes, ils peuvent rester plusieurs mois dans les sols et contaminer eaux de surface ou profondes. Leur usage préventif systématique, enfin, sur les semences en fait une arme de destruction massive, tuant sans distinction la microfaune des sols. « Le pire, c’est que neuf fois sur dix son application ne sert à rien, dans la mesure où les semences ne sont pas souvent attaquées », résume Jean-Marc Bonmatin, lequel plaide pour n’en user qu’en ultime recours. « Beaucoup d’alternatives agronomiques existent », insiste-t-il, rappelant que c’est la base de la chaîne alimentaire qui est ici en jeu. « Un lien direct entre l’utilisation des néonicotinoïdes et l’effondrement des populations d’oiseaux communs, tels que les hirondelles, a déjà été démontré aux Pays-Bas. »

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