LIBÉRATION / 15-11-2011 – Par Pierre-Henry ALLAIN
Portrait › Joël Labbé. Ce néosénateur écolo aux allures de rockeur fait passer un souffle d’air frais dans les couloirs du vieux palais.
De la buvette à l’hémicycle, il a encore un peu de mal à trouver son chemin, cherche secours auprès des huissiers. « Heureusement, il y en a un peu partout », se réjouit Joël Labbé, nouveau sénateur du Morbihan, venu s’installer au palais du Luxembourg sous l’étiquette d’Europe Ecologie – Les Verts après son élection surprise de septembre dernier.
S’il s’égare dans les couloirs, le nouvel impétrant, chaleureux en diable, connaît en revanche certains barmen par leur prénom et serre des mains à tout bout de champ. Dans son sillage, on devine quelques sourires amusés. Dans l’atmosphère éminemment feutrée et protocolaire des lieux, nul doute que ce drôle d’énergumène cherchant toutes les cinq minutes la bonne porte, détonne. Et, s’il a fait quelques concessions au costume cravate de rigueur en adoptant une veste de cuir et un jean sombre, pour le reste, il n’a rien changé : cheveux grisonnants tombant sur les épaules, boucle d’argent à l’oreille gauche et une demi-douzaine de bagouzes aux doigts. « Je ne cherche pas à choquer, se défend-il d’une voix légèrement flûtée. Mais tout ça fait partie de moi et j’ai définitivement décidé de jouer nature et d’être moi-même. Ici, même si je suis timide, je n’ai pas de complexes. D’avoir été choisi par de grands électeurs m’a donné une nouvelle légitimité et je n’ai pas l’intention de faire de la figuration. »
Lors d’une première séance, le ministre des Transports, Thierry Mariani, a pu d’emblée le vérifier. Et lever les yeux au ciel en entendant à la tribune l’élu breton citer Bob Dylan et son fameux The Times They Are A-Changin’, hymne dont Joël Labbé se considérait à cet instant comme la preuve vivante. Pour sa seconde intervention, lors d’une séance consacrée aux voies navigables de France, le nouveau sénateur réussissait à placer, d’un ton mal assuré mais néanmoins déterminé, une saillie sur le lobby agroalimentaire breton et une autre sur Pôle Emploi.
Deux jours plus tard, on retrouvait ce « révolté convivial », comme il se décrit lui-même, à une dizaine de kilomètres de Vannes (Morbihan), dans sa petite commune de Saint-Nolff, dont il est maire depuis 1995. « Ici, c’est mon oxygène, souffle ce cumulard. J’ai décidé de garder le mandat de maire car il me permet de rester en contact avec la réalité et la vie des gens. »
Par les deux grandes fenêtres de son bureau de premier magistrat, on aperçoit un petit centre commercial cerné par des bois aux arbres majestueux et une jolie église dont la cloche égrène discrètement le temps qui passe. « On est coincé en fond de vallée et seulement accessible par des petites routes, précise Joël Labbé. Cette commune n’a jamais connu les affres du remembrement. On a aussi une rivière dont on est très fier où se reproduit la truite sauvage. »
Fils de paysan, le maire de Saint-Nolff a toujours vécu au cœur de cette nature abondante. Quant à sa fibre militante, elle semble indissociable de son amour pour la musique rock et folk. « Le protest song a été une révélation. Bob Dylan a marqué ma vie », dit-il.
Adolescent, il a déjà la chevelure de Robert Plant et se passionne pour la littérature et la poésie. En devenant père à 21 ans, il doit toutefois interrompre des études de langues étrangères pour nourrir sa famille : « J’ai été rapidement confronté aux réalités de la vie. » Ouvrier dans une coopérative agricole puis employé dans un laboratoire d’analyses vétérinaires, Joël Labbé a son premier coup de cœur politique lors de la présidentielle de 1974, pour le pionnier écologiste René Dumont. « C’est lui qui avait raison. » Trois ans plus tard, il devient élu municipal et, en 1995, se décide à briguer le mandat de maire. Le sommet de la Terre de Rio, en 1992, sert de second déclic. « J’ai toujours été idéaliste, reconnaît-il. Mais le côté « Elections, piège à cons » n’a jamais été mon truc. »
A la surprise générale (déjà), il est élu. Et l’on moque ce maire au look de rockeur fêtard. Sa première préoccupation est de démontrer ses capacités gestionnaires. Mais il reste aussi fidèle à ses idéaux universalistes en faisant adhérer Saint-Nolff à la charte des communes du monde. Document qui préfigure l’adhésion de la commune à l’Agenda 21 et son engagement pour un développement durable. Des comités consultatifs pour une démocratie participative sont mis en place. En 1997, Saint-Nolff vibre aussi aux rythmes de son premier festival. Avec Noir Désir et Miossec à l’affiche et 17 000 spectateurs dans le bois de Kerboulard. Se remémorant les éditions suivantes, Joël Labbé pourrait parler des heures de sa rencontre avec Iggy Pop. L’« Iguane », incrédule : « C’est vous le maire ! » Il se souvient de ses nuits à refaire le monde avec Cali ou de Nick Cave reprenant l’Hallelujah de Cohen (« Quand tu entends ça, tu tombes à genoux, même si tu crois en rien », lâche cet agnostique en pays catho).
Mais, avec l’exercice de ses différents mandats (il est élu conseiller général en 2001, encore une « surprise »), l’édile au cœur de rockeur se découvre une autre passion : l’urbanisme et l’aménagement. L’un de ses derniers projets concerne une écocité sans automobiles, « pour en finir avec la logique du lotissement ».
Antilibéral affirmé, la carrière politique de ce gaucher contrarié, qui se dit volontiers « bordélique », ne supporte pas « l’autoritarisme » et se laisse « tirer vers l’avant par des trucs qu’[il] n’analyse pas toujours complètement », a eu ses soubresauts. Ses violents affrontements avec l’ex-maire de Vannes et ministre UMP François Goulard autour du projet de parc naturel du golfe du Morbihan ont laissé des traces. « Quand il a prétendu que j’étais un irresponsable, ça m’a fait mal, confie Joël Labbé qui, sous le cuir, garde une sensibilité à fleur de peau. Je me sens plus respecté aujourd’hui au Sénat que je ne l’étais à la communauté d’agglomération. » Face au même Goulard, son élection aux sénatoriales a eu des allures d’éclatante revanche, même s’il s’en défend.
Pour affronter les moments difficiles (un burn out l’été dernier a failli le faire passer à côté du palais du Luxembourg), Joël Labbé a ses secrets. Comme les dimanches matins que cet ancien marathonien passe sur son vélo à sillonner les routes de campagne. Ou les retrouvailles avec sa « tribu », à savoir son épouse Danièle, ses cinq enfants et six petits-enfants, dans la maison aménagée dans un ancien bistrot à 500 mètres de la mairie. Une demeure avec « plein de chambres » dont la façade est ornée de l’effigie d’un âne, en souvenir de tous ceux qu’il a élevés lorsqu’il vivait en pleine campagne. « C’est un animal têtu comme moi et injustement dénigré, commente-il. Tu ne pourras rien lui faire faire, s’il n’est pas d’accord. » Ses nouveaux collègues sénateurs n’ont qu’à se le tenir pour dit.
Photo © Frédéric Stucin.MYOP