Protection de l’identité de genre


PROPOSITION DE LOI relative à protéger l’identité de genre
Enregistrée à la Présidence du Sénat le 11 décembre 2013


Présentée par Mmes Esther BENBASSA, Kalliopi ANGO ELA, Aline ARCHIMBAUD, Marie-Christine BLANDIN, Corinne BOUCHOUX, MM. Ronan DANTEC, Jean DESESSARD, André GATTOLIN, Joël LABBÉ, Mme Hélène LIPIETZ et M. Jean-Vincent PLACÉ,
 (Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commissionspéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
En 1992, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a reconnu pour la première fois que le refus d’un État d’autoriser les personnes trans à modifier la mention du sexe dans leur état civil afin de pouvoir obtenir des documents officiels conformes à leur identité de genre constituait une violation de la Convention européenne des droits de l’homme. Deux décennies plus tard, les personnes trans en Europe continuent à lutter pour pouvoir changer d’état civil.
En France, le régime de la modification de la mention du sexe à l’état civil résulte essentiellement de principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de cassation, aucun texte législatif n’étant intervenu de façon spécifique en la matière.
Quatre arrêts de la Cour de cassation rendus en 2012 et 2013 posent le principe selon lequel « pour justifier une demande de rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance, la personne doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence ».Deux conditions sont donc posées : le diagnostic du transsexualisme et l’irréversibilité de la transformation de l’apparence physique. Si le droit n’exige pas d’intervention chirurgicale, il demande en revanche un traitement médical irréversible qui implique la stérilisation.
En pratique, dans notre pays, la modification de la mention du sexe à l’état civil est, en vertu de l’article 99 du code civil, demandée à l’autorité judiciaire (président du tribunal de grande instance ou procureur de la République). Si le juge fait droit à la demande il ordonne, conformément à l’article 1056 du code de procédure civile, la transcription de sa décision dans les registres de l’état civil.
On le comprend aisément, l’absence de législation spécifique et la fluctuation de la jurisprudence rend la situation des personnes trans particulièrement inégale selon les juridictions auxquelles elles s’adressent et les met face à une grande insécurité juridique.
Au-delà de l’insécurité juridique, la situation des personnes trans en France, du point de vue des droits humains, est méconnue et négligée. Pourtant, ces personnes font face à des problèmes graves, souvent spécifiques. Elles sont exposées à de multiples discriminations, à l’intolérance et même à la violence. Leurs droits fondamentaux sont bafoués, y compris le droit à la vie privée, le droit à l’intégrité physique et à l’accès aux soins. C’est ce qu’a notamment mis en évidence le rapport de Thomas HAMMABERG, commissaire des droits de l’Homme du Conseil de l’Europe.
Cette proposition de loi vise à combattre ces inégalités et violences faites aux personnes trans et à protéger l’identité de genre.
Le dispositif proposé comporte onze articles répartis en deux titres.
? Le titre Ier a pour objet, conformément aux recommandations de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH)1(*), d’introduire dans notre droit le concept d’identité de genre, ce qui nécessite de remettre sur le métier les dispositions adoptées dans le cadre de la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel qui, dans le but de protéger les personnes transgenres, incriminaient les discriminations et aggravaient les infractions commises à raison de l’« identité sexuelle » des victimes (articles 4 et 6 de la loi).
Mais, comme le souligne la CNCDH, le recours à la notion d’identité sexuelle ne permet pas de protéger l’ensemble des personnes transgenres, et peut au contraire contribuer à alimenter les préjugés dont elles souffrent : elle préconise donc de faire plutôt référence au concept d’identité de genre, déjà présent dans le droit international et dans le droit de l’Union européenne2(*).
Les articles 1er à7 de la proposition de loi ont donc pour objet de substituer systématiquement la mention de l’identité de genre à celle de l’identité sexuelle dans tous les textes modifiés par les articles 4 et 6 de la loi du 6 août 2012, qui figurent :
– dans le code pénal (définition de la discrimination entre personnes physiques et morales ; circonstances aggravantes de certains crimes et délits) ;
– dans le code de procédure pénale (exercice par les associations des droits de la partie civile ; dispositions relatives à l’exécution de certaines décisions dans le cadre de l’entraide judiciaire et de la coopération internationale) ;
– dans le code du travail (mesures discriminatoires prohibées ; dispositions interdites dans les règlements intérieurs ; cas d’irrecevabilité des listes de candidats aux élections prud’homales) ;
– dans le code du sport (suspension ou dissolution des associations ou groupements à la suite de provocations à la haine ou à la discrimination à l’occasion ou lors de manifestations sportives) ;
– dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse (provocation à des infractions ou à des comportements prohibés ; diffamation et injure ; conditions de recevabilité de la constitution de partie civile des associations) ;
– dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (distinctions prohibées entre les fonctionnaires) ;
– dans la loi du 27 mai 2008 portant adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (définition et prohibition de la discrimination directe ou indirecte).
L’article 8 prévoit l’application des dispositions des articles 1er à 7 dans les collectivités d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, comme l’avait fait l’article 10 de la loi du 6 août 2012 pour les dispositions des articles 4 et 6 de cette loi.
? Le titre II de la proposition de loi tend à définir une procédure« déjudiciarisée » permettant aux personnes transgenres d’obtenir, dans des délais raisonnables et sans que puisse leur être imposé aucun traitement médical ou chirurgical, la modification de la mention de leur sexe à l’état civil et s’il y a lieu le changement corrélatif de leur prénom.
L’article 9 propose d’insérer à cette fin une section 2 bis, composée de trois articles, dans le chapitre II (Des actes de naissance) du titre II (Des actes de l’état civil) du livre premier (Des personnes) du code civil.
L’article 61-5 (nouveau) du code civil prévoit qu’une demande de modifications de la mention du sexe inscrit dans son acte de naissance peut être présentée par tout adulte capable, dès lors que cette mention n’est pas conforme à son identité de genre ni à son comportement social et qu’elle est incompatible avec le respect de sa vie privée – auquel portent atteinte, comme l’a relevé la Cour européenne des droits de l’homme, les tracasseries, questions et curiosités incessantes que suscite la divergence entre les papiers d’identité d’une personne et son image sociale.
Comme en matière de changement de nom, la procédure serait administrative, la demande étant adressée au garde des sceaux et l’autorisation donnée par décret. En cas de silence gardé par l’administration pendant un délai fixé à trois mois, est prévue une procédure d’autorisation implicite, en application de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, cette autorisation implicite faisant l’objet d’une attestation délivrée par l’autorité administrative.
La composition du dossier de demande (fourniture d’attestations, mesures de publicité…) sera déterminée par voie réglementaire, mais il est clairement exclu que l’autorisation soit subordonnée à la production de certificats ou d’expertises médicaux : le demandeur n’aura donc pas à en fournir, et on ne pourra lui imposer de le faire.
Tout refus d’autorisation devra être motivé et pourra naturellement faire l’objet d’un recours devant le juge administratif.
L’article 61-6 (nouveau) du code civil prévoit qu’un droit d’opposition pourra être exercé en premier et dernier recours devant le Conseil d’État, par des personnes ayant intérêt à intenter une telle action. Cette disposition est, elle aussi, inspirée de la procédure de changement de nom, de même que celles de l’article 61-7 (nouveau) du même code, prévoyant que la décision rendue est mentionnée en marge des actes de l’état civil de l’intéressé, et éventuellement de son conjoint, que les modifications en résultant sont opposables à tous (article 100 du code civil) et que toute expédition d’acte devra être délivrée avec ces modifications (article 101 du code civil).
L’article 10 prévoit une mesure de coordination étendant aux décisions autorisant le changement de la mention du sexe la procédure d’opposition applicable aux changements de nom.
Les dispositions du titre II seront d’application directe en Polynésie française et les compétences relatives au droit civil et à la réglementation de l’état civil ont été transférées à la Nouvelle-Calédonie le premier juillet 2013, mais une disposition spécifique est nécessaire pour les rendre applicables dans les îles Wallis-et-Futuna : c’est l’objet de l’article 11 de la proposition de loi.

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