LIBÉRATION / 28-10-2013 – Par Laura Fernandez Rodriguez
S’il se dit prêt à envisage un « moratoire » par mesure d’« apaisement », le sénateur écologiste du Morbihan Joël Labbé défend l’intérêt de ce type de fiscalité.
Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, a remis ce lundi des propositions au Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, visant l’agriculture et l’agroalimentaire, à la suite des violentes manifestations qui ont eu lieu en Bretagne contre l’écotaxe.
Si la plupart des écologistes demandent l’application de l’écotaxe, dans un contexte social tendu, le sénateur EE-LV du Morbihan, Joël Labbé, évoque l’idée d’un « moratoire » pour contenir une situation qu’il juge « grave, voire explosive ».
Qu’attendez vous du gouvernement après ce week-end de tensions ?
Je crois qu’il faut calmer le jeu, car la situation est grave, voire explosive. Je ne sais pas quelles vont être les mesures prises ; je n’ai pas eu connaissance du contenu des propositions que compte déposer le ministre de l’Agriculture. Mais on ne peut pas supprimer l’écotaxe sur la Bretagne et la laisser sur le territoire national. Il faut des mesures d’apaisement et de pédagogie.
Certes, il ne faut pas oublier que des aménagements ont déjà été mis en place pour prendre en compte le fait que la Bretagne est une région périphérique. Le rabais de 50 %, le fait que les transports laitiers soient exonérés… Dans une situation apaisée, paisible, ce serait suffisant. Mais aujourd’hui la Bretagne est en ébullition, les esprits exacerbés, notamment ceux qui viennent de perdre leur travail dans l’agroalimentaire. La situation est telle que l’idée d’un moratoire pourrait être nécessaire.
Les vraies questions sont posées, à présent, c’est-à-dire la transition économico-écologique de la Bretagne. Nous, les écologistes, tirons la sonnette d’alarme depuis longtemps. Maintenant, on est devant la réalité de la nécessaire transition. Et l’écotaxe va pousser à relocaliser notre économie.
Vous restez malgré tout favorable à cette taxe ?
Sur le fond, je suis bien sûr favorable à l’écotaxe, qui est une nécessité, et qui a déjà commencé à être instaurée ailleurs en Europe, comme en Allemagne, en Autriche, ou en République Tchèque par exemple.
Il s’agit de moderniser impérativement l’offre de transports et de logistique. Le principe est de faire payer le coût réel de l’utilisation des routes, quand on sait que les camions les dégradent 20 à 100 fois plus que les voitures. Le but de l’écotaxe est d’inciter les transporteurs à optimiser leur transport, d’une part, et à utiliser les transports alternatifs. Car les bénéfices de l’écotaxe vont aller directement financer des infrastructures alternatives comme le fret ferroviaire, maritime et fluvial, qui a un coût.
De plus, je rappelle que l’écotaxe n’est pas encore appliquée. Elle n’est donc pas en responsabilité dans tout ce qu’on veut lui mettre sur le dos, la situation de l’agriculture et de l’agroalimentaire, la déliquescence d’un certain nombre de secteurs de l’économie bretonne… En tant qu’écologiste, je voudrais mettre en garde la FNSEA, qui attise ce mouvement, ainsi que le Medef, vis-à-vis de leur propre responsabilité. Ils pointent la mesure gouvernementale de trop, alors que c’est le modèle agricole et agroalimentaire qui est à bout de course.
Justement, quel scénario faudrait-il privilégier pour le modèle breton ?
C’est tout le système agricole et agroalimentaire qui est à remettre en cause. Notre modèle actuel de compétitivité est suicidaire : ne penser qu’à cout-terme, avec du bas de gamme, aller faire tuer 700 000 porcs en Allemagne chaque année, à cause du dumping social, et acheter des protéines végétales transgéniques venues du Brésil : rien que cela doit ouvrir les yeux de nos concitoyens.
Il faut entraîner une mutation de notre modèle agricole et agroalimentaire vers une production à haute valeur ajoutée, au lieu de continuer sur le bas de gamme. Sans être passéiste, il faut revenir à des productions plus locales, de qualité, et génératrices d’emplois directs, au lieu d’aller vers le gigantisme.
L’écotaxe est un des éléments qui doivent permettre aux filières de fonctionner d’un point de vue plus régional. Et son coût est à relativiser : la taxe ne porte que sur le transport routier empruntant des routes surchargées. Le transport représente environ 10 % du prix des marchandises. Donc, à titre d’exemple, pour une salade à un euro, la répercussion de l’écotaxe est de moins d’un centime. C’est moins cher que le sac plastique vendu dans la grande distribution…
La Bretagne semble actuellement en proie à un malaise plus vaste…
Oui, le monde agricole est dans la détresse, le grand doute. Le taux de suicide chez les agriculteurs est deux fois plus élevé que la moyenne nationale. Il y a le malaise actuel, lié à la fermetures d’abattoirs, avec des gens qui se retrouvent au chômage, et cette écotaxe qui arrive à ce moment-là. Même atténuée, elle a attisé ce malaise, et a poussé à une forme de révolte que l’on doit prendre en compte. D’où la nécessité de mesures d’apaisement. Je ne veux pas d’un discours incantatoire écologiste. Oui l’écotaxe est nécessaire, mais on se doit d’être prudent. Il faut un dialogue constructif. Nous écologistes, nous le demandons. Et nous sommes prêts à y participer.