Projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR)

« Plus de justice, de sécurisation, de cohésion tout en prenant en compte le levier de la transition écologique. »

Monsieur le président, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, concernant le logement, je souscris totalement à ce que Marie-Noëlle Lienemann vient de dire avec conviction, avec clarté…

M. Roland Courteau. Et aussi avec talent !

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur pour avis de la commission du développement durable. Exactement !

M. Joël Labbé. Mme Lienemann a placé la barre très haut ! Cela étant, sans accuser qui que ce soit, je constate que nous avons l’habitude d’employer de nombreux sigles et que, parmi ceux qui nous regardent, certains ont du mal à nous suivre. Nous l’entendons régulièrement !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est vrai !

M. Joël Labbé. Si ALUR peut avoir quelque allure, la GUL n’en a pas vraiment. (Sourires.)

M. Pierre-Yves Collombat. Il va falloir y remédier !

M. Bruno Sido. Il faut accélérer l’allure !

M. Joël Labbé. Prenons-y garde ! Nous devons nous rapprocher de la population, et cette démarche passe également par le langage.
Le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui prouve que la question du logement est considérée comme une priorité nationale par le Gouvernement. C’est l’un des engagements forts des élections de 2012 qui trouve ici sa traduction !
Tout d’abord, je salue la méthode selon laquelle le présent texte a été élaboré. Pendant plusieurs mois, les professionnels, les bailleurs sociaux, les représentants des associations, les élus locaux, mais aussi les parlementaires que nous sommes, ont été associés aux travaux préparatoires.
Madame la ministre, ce souci permanent de la co-élaboration,…

M. Jean-François Husson. Oh !

M. Joël Labbé. … permet aujourd’hui de proposer une réforme vaste et ambitieuse qui s’étend à presque tous les domaines de la politique du logement.
On a connu des textes vastes qui étaient un peu fourre-tout. À l’inverse, le présent projet de loi est cohérent. Sa densité est une nécessité si l’on veut transformer cette politique, en traitant à la fois la question des locataires du secteur privé, celles des loyers, des relations entre locataires et propriétaires, celle des droits et des devoirs des uns et des autres, sans oublier l’urbanisme ni l’aménagement du territoire. Pour garantir la cohérence de tous ces domaines, il faut bel et bien de l’ambition !
Parmi les nombreuses dispositions que contient ce texte– sur lesquelles je reviendrai –, j’insisterai en premier lieu sur deux mesures qui, à terme, auront des conséquences importantes pour des millions de Français et pour les générations futures : l’encadrement des loyers et la création de la garantie universelle des loyers.
Ces deux mesures constituent un véritable progrès social, contribuant, selon la belle expression de Mme la ministre, à« faire France ensemble ». Elles vont devenir des outils concrets et pérennes pour maîtriser les loyers et sécuriser les relations entre locataires et propriétaires, dans un souci d’équilibre. À cet égard, nous organisons la solidarité et nous renforçons le pacte républicain qui nous unit. Cette solidarité est d’autant plus vitale que la crise du logement, qui s’intensifie, contribue à la précarité et à l’exclusion.
La ségrégation urbaine aggrave les différenciations sociales. La France compte plus de 3,5 millions de mal-logés – selon le rapport de la fondation Abbé-Pierre –, des centaines de milliers de personnes sans logement et des dizaines de milliers de personnes sur les listes d’attentes des offices d’HLM. Telle est aussi la réalité de notre pays. Elle justifie, ô combien, cette loi ambitieuse et juste !
Si la loi DALO garantit le droit au logement opposable, elle ne permet guère de concrétiser l’accès à ce droit fondamental. Une partie des classes populaires et moyennes – jeunes, étudiants, personnes handicapées, saisonniers, personnes démunies, personnes âgées, migrants, etc. – est durablement et structurellement exclue de l’accès au logement considéré comme normal.
Par ailleurs, le paysage urbanistique reste dominé par la sacralisation bien particulière du droit de propriété via ces deux formes d’habitat héritées du siècle dernier : l’habitat privé, souvent confié aux promoteurs immobiliers, et l’habitat public, structuré autour du mouvement HLM voué au logement social, que je viens d’évoquer.
Des réponses intermédiaires ont été récemment proposées, notamment les formules de location et d’accession, qui sont heureuses et qui font des heureux.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !

M. Joël Labbé. Au demeurant, d’autres formes d’habitat existent : l’habitat hors normes, alternatif, mais aussi l’habitat participatif qui permet aux habitants qui le souhaitent de s’organiser pour développer l’autopromotion, l’auto-construction, l’éco-construction et l’initiative citoyenne en matière de logement.

Mme Corinne Bouchoux. Oui !

M. Joël Labbé. Le développement de l’habitat hors normes et léger n’est pas lié à celui de l’habitat insalubre. Il s’agit de personnes qui, délibérément, choisissent un certain type d’habitat adapté à leurs besoins avec un très faible impact environnemental, construit et habité selon le concept de la« sobriété heureuse » cher à Pierre Rabhi.
Habitat alternatif léger, habitat participatif, toutes ces évolutions, tous ces modes d’habiter et d’investir le sol autrement sont reconnus et sécurisés via le présent texte. Or cette reconnaissance n’allait pas de soi. Là encore, je tiens à saluer le travail collectif accompli autour de Mme la ministre et avec elle, sur cet enjeu de l’habitat participatif. Les échanges réguliers, intensifs et de très bonne tenue ont abouti à des dispositifs acceptés aussi bien par les professionnels du secteur et les organismes de financement que par les habitants eux-mêmes.
Si la France ne compte que quelques centaines d’habitats de ce type, l’Europe du nord en dénombre plusieurs centaines de milliers. Je parle de ce sujet en connaissance de cause : sur le territoire de ma commune, Saint-Nolff, douze logements de ce type sont actuellement en cours de construction. Ce projet intègre une part de logement social. Le présent texte va arriver à point nommé pour résoudre les difficultés qui subsistent et fournir un cadre juridique à ce chantier !
Un autre enjeu me semble crucial : le juste partage de la terre et la lutte contre l’artificialisation des sols. Le présent texte fixe des objectifs chiffrés en matière de lutte contre l’artificialisation des sols.
Il convient de stopper la désagrégation et le recul des surfaces agricoles, frappées par la spéculation foncière. On répète régulièrement ce chiffre : l’équivalent d’un département français disparaît désormais tous les sept ans. Il s’agit à présent d’agir véritablement pour avancer dans ce domaine.
Il est fondamental d’articuler le présent texte et le projet de loi pour l’avenir de l’agriculture, qui sera prochainement examiné. Il faut garantir à la fois la lutte contre l’étalement urbain, l’effort de construction de logements,…

M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis de la commission des lois. Eh oui !

M. Joël Labbé. … et le développement d’une agriculture durable, vecteur de dynamisation des territoires.
Voilà pourquoi j’ai proposé d’enrichir le texte de loi par un amendement n° 481, dont je vous invite à prendre connaissance. (Sourires.) Il vise à introduire la possibilité d’élaborer, dans le cadre de la stratégie foncière du schéma de cohérence territoriale, un projet agricole et alimentaire territorial.
On me rétorquera que je ne suis pas là pour parler d’agriculture, mais d’urbanisme… Les deux sont évidemment étroitement liés !

M. Claude Bérit-Débat, rapporteur. Eh non !

M. Joël Labbé. D’ores et déjà, la préparation d’un schéma de cohérence territoriale invite à établir le diagnostic des caractéristiques et des potentialités du territoire en matière d’environnement, de développement économique, d’équilibre de l’habitat, etc., en fonction des prévisions démographiques et des besoins identifiés. L’un des besoins majeurs d’un territoire n’est pourtant jamais mentionné : son alimentation, et en corollaire, son agriculture.
L’agriculture est décidément considérée comme un monde à part, qui a sa propre loi– dans tous les sens du terme, d’ailleurs – et qui s’est, au fil du temps, déconnecté, malgré elle, des territoires. Elle s’est, hélas, isolée du reste de la population, de manière souvent dramatique, car elle s’est isolée au point d’en mourir. Une étude de l’Institut national de veille sanitaire publiée le 10 octobre classe ainsi« la catégorie sociale des agriculteurs exploitants comme celle présentant la mortalité par suicide la plus élevée de toutes les catégories sociales », avec un taux trois fois plus élevé que la moyenne chez les hommes et deux fois plus élevé chez les femmes.

M. Claude Dilain, rapporteur. Tout à fait !

M. Joël Labbé. Ce constat doit nous alerter ! Comment notre pays peut-il perpétuer un système économique et politique qui broie des vies paysannes ?
L’amendement que je vous présenterai n’est donc pas anodin. À mes yeux, il ne constitue pas un amendement d’appel, mais plutôt d’alarme ! Ce n’est pas avec des grands discours, mais bien par des actions concrètes que l’on renouera les liens entre la noble profession de paysan et la population.
La demande citoyenne d’une reconnexion entre alimentation et production locale est patente, le développement des circuits courts alimentaires, partout sur nos territoires, en témoigne. Quoi de plus naturel et de plus concret, dès lors, que de faciliter ces démarches en introduisant, au sein même du document de planification et d’aménagement que représente le schéma de cohérence territoriale, la notion de projet agricole et alimentaire de territoire ?
Une telle démarche garantirait et faciliterait la concertation entre acteurs du territoire, élément incontournable de la construction d’un projet partagé, qui vise autant la pérennité d’activités économiques génératrices d’emplois nobles, locaux et pérennes, que la nécessité de mieux-disant environnemental et la recherche d’une plus grande autonomie alimentaire des habitants.
Cela, je l’ai expérimenté. La commune dont je suis le maire est en train de réviser son plan local d’urbanisme et nous construisons, en parallèle et de manière volontariste, un projet agricole et alimentaire de territoire. Tout le monde a pris place autour de la table, et les agriculteurs sont placés au cœur des débats, auxquels ils sont donc associés. On prend ainsi conscience qu’il est possible d’avancer dans la bonne direction.
Cette prise en compte de l’agriculture et de l’alimentation dans les documents d’urbanisme donne tout son sens à la limitation de l’étalement urbain. L’essentiel de la terre doit être préservé, comme il l’a toujours été avant le dernier demi-siècle. La terre ne doit pas être potentiellement urbanisable, mais doit retrouver sa pleine vocation nourricière.

M. Jean-François Husson. Très juste !

M. Joël Labbé. Je voudrais évoquer, en outre, un autre amendement, relatif aux chartes des parcs naturels régionaux et à leur positionnement parmi les documents d’urbanisme. Nous sommes plusieurs, siégeant sans doute sur toutes les travées de notre assemblée, à avoir déposé des amendements diversement rédigés à ce sujet.
Les parcs naturels régionaux, recouvrent aujourd’hui environs 15 % du territoire. Depuis leur origine, ils ont été considérés comme des territoires à la fois riches de leur patrimoine et fragilisés par diverses pressions. Je l’ai constaté en présidant le projet de parc naturel régional du Golfe du Morbihan, territoire ô combien sensible (M. Jean-François Husson s’exclame.). De ce fait, ils ont vocation à être des territoires d’innovation, d’expérimentation, d’excellence et d’exemplarité.
En outre, par l’adhésion volontaire des communes, ils permettent de démontrer la capacité d’un territoire à construire un projet exigeant en termes de développement durable et solidaire. Aussi est-il important, madame la ministre, que ce projet de loi tende à préserver la force des chartes des parcs naturels régionaux et de leurs documents annexes : tel sera l’objet de l’amendement que je défendrai à ce sujet.
Enfin, je ne pourrai conclure sans évoquer mon positionnement personnel (Ah ! sur toutes les travées.) et celui de notre groupe écologiste au sujet des plans locaux d’urbanisme intercommunaux.

M. Bruno Sido. C’est une mauvaise idée !

M. Joël Labbé. Madame la ministre, votre projet de loi est vaste et ambitieux, nous n’allons pas nous en plaindre : il faut de l’ambition pour faire bouger les choses et la volonté de passer des plans locaux d’urbanisme communaux aux plans locaux d’urbanisme intercommunaux en exige beaucoup.
En ma qualité de maire, durant trois mandats et pour encore quelques mois, j’étais initialement très réservé à ce propos. Il a fallu que l’on m’explique et que l’on me démontre l’intérêt du dispositif pour que mon avis évolue.
Je reste bien sûr attaché à la vision plus large du territoire qu’autorisent les schémas de cohérence territoriale, mais j’ai eu la chance, comme élu, de réviser un plan local d’urbanisme. Il s’agit d’un travail éminemment intéressant, au cours duquel se décident les enjeux du territoire. Il se heurte pourtant à des écueils : une trop grande proximité, la présence de divers groupes de pression, des intérêts parfois extrêmement proches des décideurs.

M. Pierre-Yves Collombat. Mais cela n’existe pas au niveau des intercommunalités, bien sûr ! Il n’y a pas de promoteurs, rien ! (Sourires sur certaines travées du RDSE.)

M. Joël Labbé. Le plan local d’urbanisme intercommunal permet de prendre du recul par la construction d’un projet partagé entre élus locaux, qu’il est alors possible de mener à bien. La concertation des collectivités locales au sujet de la partie du territoire intercommunal qui les concerne permet aux élus locaux d’être pleinement associés à la réalisation de leurs plans locaux d’urbanisme intercommunaux.
Je suis donc désormais acquis à cette cause, comme l’ensemble de mon groupe. On ne peut pas pour autant nous accuser de marcher au pas : je ne marche jamais au pas ! (Rires sur les travées de l’UMP). Comme notre collègue Jean-Louis Masson l’a fait tout à l’heure, je revendique ma liberté de penser– d’ailleurs, notre groupe la reconnaît totalement.
Je comprends toutefois les réserves exprimées par mes collègues sénateurs ou députés, et je suis prêt à faire un nouveau pas dans leur direction, en agréant la tentative de construire le consensus autour d’un plan local d’urbanisme intercommunal avec minorité de blocage. Si cette proposition recueillait l’assentiment du Sénat, je m’en satisferais. L’approbation d’une telle mesure représenterait en effet un véritable pas en avant, que j’appelle vivement de mes vœux.

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur pour avis de la commission du développement durable. Bravo !

M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis de la commission des lois. Très bien !

M. Joël Labbé. En définitive, le débat qui s’ouvre au Sénat offrira, je l’espère, une bonne occasion d’introduire encore plus de justice, de sécurisation et de cohésion, tout en prenant en compte le levier de la transition économique, écologique et sociale.
Cependant, tout ouvrage étant perfectible, soyez assurée, madame la ministre, que les écologistes seront un partenaire constructif, cherchant à défendre mais aussi à enrichir encore ce texte. Nous le voterons donc, en espérant que certains de nos amendements seront adoptés. Étudiez bien, en particulier, celui qui concerne le projet agricole et alimentaire de territoire ! (Sourires.)

M. Daniel Raoul. Non !

M. Joël Labbé. Il s’agit peut-être d’une utopie, mais si nous la mettions en marche, en grillant la politesse à tout le monde, cela constituerait un sacré progrès ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

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