PROPOSITION DE LOI
visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national
Enregistrée à la Présidence du Sénat le 7 octobre 2013
Présentée par M. Joël LABBÉ et les membres du groupe écologiste
Mesdames, Messieurs,
Au début de l’année 2012, le Sénat a décidé la création d’une mission commune d’information portant sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement. J’étais l’un des vice-présidents de cette mission présidée par Sophie Primas et dont Nicole Bonnefoy était rapporteure. Composée de vingt-sept sénateurs et sénatrices issus de tous les groupes politiques, cette mission a choisi, vu l’ampleur du sujet et le temps imparti pour mener à bien ce travail, de concentrer ses travaux sur l’impact des pesticides sur la santé des fabricants et des utilisateurs de ces produits, de leurs familles et des riverains de ces activités.
Après plus de six mois de travaux, une centaine d’auditions et plusieurs déplacements en France métropolitaine, la mission a rendu ses conclusions, le 10 octobre 2012, dans un rapport d’information intitulé : « Pesticides : vers le risque zéro » (n° 42, 2012-2013). Adopté à l’unanimité, ce rapport dresse un tableau alarmant de la situation actuelle en France, tant en matière de risques des pesticides pour la santé que d’encadrement de leurs usages aux niveaux européen et national.
La mission commune d’information a notamment établi cinq constats majeurs qu’il convient de rappeler :
– Les dangers et les risques des pesticides pour la santé sont sous-évalués.
– Le suivi des produits pesticides après leur mise sur le marché n’est qu’imparfaitement assuré au regard de leurs impacts sanitaires réels.
– Les protections, notamment les équipements de protection individuelle (EPI) contre les pesticides ne sont pas à la hauteur des dangers et des risques de ces produits.
– Les pratiques industrielles, agricoles et commerciales actuelles n’intègrent pas suffisamment la préoccupation de l’innocuité pour la santé du recours aux pesticides.
– Les objectifs du plan Ecophyto 2018 ne seront pas atteints en ce qui concerne la réduction de 50 % de la quantité de pesticides utilisés en France à l’horizon 2018. Ils doivent être renforcés car l’usage des pesticides a augmenté au lieu de se réduire (2,7 % d’augmentation de 2008 à 2011).
En conséquence, la mission d’information a adopté une centaine de recommandations visant à apporter des réponses à ces constats inquiétants. Ces recommandations concernent tout à la fois la protection des agriculteurs, la reconnaissance des dangers et des risques liés à une exposition professionnelle ou non aux pesticides, que l’encadrement des pratiques industrielles et commerciales ou encore le renforcement de l’évaluation et du contrôle de ces produits nocifs.
J’ai manifesté dès le début des travaux, tout comme de nombreux autres membres de cette mission, la volonté de voir une traduction rapide et concrète de ces recommandations dans la réalité. À cette fin, au cours de ces derniers mois, il m’est apparu essentiel de mener, avec d’autres parlementaires, un travail de sensibilisation. C’est d’ailleurs avec cet objectif que j’ai participé à l’initiative « Parlement & Citoyens ». Il s’agit d’une plateforme web administrée et animée par un comité scientifique, sur laquelle tout parlementaire peut proposer à l’évaluation et au débat une proposition de loi. J’ai donc proposé ce texte visant à mieux encadrer les usages non-agricoles des pesticides. C’est ainsi que cette proposition de loi a suscité plus de 3 000 contributions d’experts et de citoyens en vingt jours.
Cette proposition de loi est d’autant plus nécessaire que depuis la parution du rapport de la mission, de nombreux faits sont encore venus étayer cette réalité : les produits pesticides sont nocifs pour la santé et l’environnement notamment pour la biodiversité.
Au niveau communautaire, à la suite de plusieurs avis de l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), la Commission européenne a décidé, le 24 mai 2013, de restreindre l’utilisation de trois pesticides insecticides pour trois types d’usage (semences, sol et feuilles). Cette décision concerne plus de soixante-quinze cultures, à partir du 1er décembre 2013 et pour une durée de deux ans. Ces produits qui sont de la famille des néonicotinoïdes sont notamment impliqués dans le déclin accéléré et très inquiétant des populations d’abeilles.
Récemment, à la suite d’une saisine par le ministère chargé de la santé, l’institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a publié, le 13 juin 2013, les conclusions d’une expertise collective, « Pesticides : effets sur la santé ». Se fondant sur l’ensemble de la littérature scientifique existante, cette expertise collective a permis d’identifier très clairement des relations entre plusieurs pathologies et l’utilisation de certains pesticides.
Ce constat alarmant doit nous inciter à réagir rapidement. C’est l’objet de la présente proposition de loi qui prévoit des mesures concrètes pour renforcer l’encadrement de l’utilisation et de la vente des pesticides dont les usages sont non agricoles. Ces usages peuvent représenter, certaines années, jusqu’à 10 % des usages globaux. Ces mesures visent à amplifier et renforcer des pratiques qui existent déjà. On peut penser à l’engagement de plus en plus de collectivités dans la démarche « zéro phyto » ou celui d’associations de jardiniers amateurs, qui, à l’image du maraîchage biologique professionnel, se sont également engagées dans une démarche d’arrêt de l’usage de ces produits.
Cependant, une proposition de loi ne peut embrasser l’entièreté d’un phénomène. Par ailleurs, de nombreuses dispositions relèvent de la réglementation européenne et du pouvoir réglementaire français et non du Parlement français. Enfin, considérant que certaines mesures pourtant essentielles nécessitent une concertation plus large avec les différents acteurs concernés, notamment pour ce qui concerne les usages agricoles de ces produits, ce texte se limite aux usages non agricoles des pesticides chimiques.
La proposition de loi vise donc à transcrire dans la loi les dispositions suivantes en mesure d’être appliquées dans un délai raisonnable mais néanmoins rapide.
L’article 1er complète le code rural et de la pêche maritime. En effet, à compter du 1er janvier 2018, il est interdit aux personnes publiques mentionnées à l’article L. 1 du code général de la propriété des personnes publiques d’utiliser les produits phytopharmaceutiques visés par le premier alinéa de l’article L. 253-1, à l’exception des produits visés par le deuxième alinéa du même article, pour l’entretien des espaces verts, de forêts et de promenades relevant de leur domaine public ou privé.
En effet, l’objectif est de viser non pas les seules collectivités territoriales mais toutes les personnes publiques propriétaires d’un domaine, qu’il s’agisse du domaine public ou du domaine privé, en ce qui concerne l’entretien des espaces verts, de forêts et de promenades ; notion prise en compte par l’article L. 4413-2 du code général des collectivités territoriales relatif aux espaces verts de la région Île-de-France. On ne voit pas, en effet, ce qui pourrait justifier une discrimination entre les collectivités publiques.
L’État (parcs nationaux), les régions (parcs naturels régionaux…), les communes, les départements, leurs groupements ainsi que les établissements publics ont tous une obligation générale d’entretien des espaces verts qui ressortissent à leur domaine.
L’interdiction proposée pourrait exclure de son champ les produits visés par le deuxième alinéa de l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, notamment les préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP). Ces PNPP bénéficient d’une procédure réglementaire allégée pour leur mise sur le marché mais restent assimilées aux produits à faible risque, définis par le règlement communautaire (CE n° 1107/2009), et, comme tels, considérés comme des produits phytopharmaceutiques.
Les instances européennes pourraient ne pas s’opposer à une mesure dérogatoire à un dispositif volontariste visant à réduire, sur le territoire français, l’utilisation des pesticides conformément aux objectifs du Paquet européen de 2009.
L’article 2 de la proposition de loi complète l’article L. 253-7 du même code par un dispositif prohibant, à compter du 1er janvier 2018, toute commercialisation des produits phytopharmaceutiques à usage non professionnel. Il est proposé d’insérer cette nouvelle disposition à l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime car cet article dispose actuellement que « dans l’intérêt de la santé publique et de l’environnement, l’autorité administrative peut prendre toute mesure d’interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l’utilisation et la détention des pesticides ». Sont par exemple mentionnées les zones particulières (utilisées par le grand public ou par des groupes vulnérables…) dans lesquelles les interdictions ou mesures d’encadrement d’utilisation peuvent être prononcées.
Par voie de conséquence, il s’agit aussi d’adapter les dispositions sanctionnant le non-respect des règles concernant les produits phytopharmaceutiques à usage professionnel pour tenir compte de la nouvelle prohibition. Par exemple, le 1° de l’article L. 253-15 du code rural et de la pêche maritime punit de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende le fait de vendre des pesticides en méconnaissance des dispositions d’encadrement nationales et communautaires.
Un dispositif réglementaire (avec notamment l’arrêté du 6 octobre 2004 sur les conditions d’autorisation et d’utilisation de la mention « emploi autorisé dans les jardins » pour les produits phytopharmaceutiques) régit actuellement les produits utilisés par les jardiniers amateurs. Il devra lui aussi être adapté en conséquence.
Le délai de cinq ans accordé aux fabricants et distributeurs de pesticides à usage non professionnel pour leur reconversion apparaît raisonnable, d’autant que plusieurs distributeurs se sont déjà inscrits dans cette démarche de ne plus en vendre (Botanic, Leclerc, …).
L’article 3 concerne les préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP). Il s’agit de la terminologie juridique donnée aux substances naturelles à base de plantes utilisées pour protéger les autres plantes de diverses attaques. On peut citer le purin d’orties pour éloigner les pucerons, les pulvérisations d’ail pour éloigner les thrips ou encore le sucre, le lait, le vinaigre blanc… Ces traitements sont encore marginaux en France par rapport aux traitements chimiques mais pourraient constituer une des voies d’avenir et une alternative efficace aux pesticides. Néanmoins de nombreux freins juridiques (au niveau communautaire et national) ainsi qu’économiques empêchent le développement de la fabrication et de la commercialisation de ces substances qui pour l’instant n’intéressent pas les industriels.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
Avant l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 253-1 A ainsi rédigé :
« Art. L. 253-1 A. – À compter du 1er janvier 2018, il est interdit aux personnes publiques mentionnées à l’article L. 1 du code général de la propriété des personnes publiques d’utiliser les produits phytopharmaceutiques visés par le premier alinéa de l’article L. 253-1, à l’exception des préparations naturelles peu préoccupantes visées au deuxième alinéa du même article, pour l’entretien des espaces verts, de forêts et de promenades relevant de leur domaine public ou privé. »
Article 2
Le même code est ainsi modifié :
I. L’article L. 253-7 est ainsi modifié :
1° Au début du premier alinéa est ajoutée la mention : « I. » ;
2° Il est complété par un II ainsi rédigé :
« II. À compter du 1er janvier 2018, la mise sur le marché, la délivrance, l’utilisation et la détention des produits visés au premier alinéa de l’article L. 253-1 pour un usage non professionnel sont interdites. »
II. À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 253-9, après les mots : « à usage professionnel », sont insérés les mots : « et non professionnel ».
II. Après le 1° de l’article L. 253-15, il est inséré un …° ainsi rédigé :
« …° Le fait de détenir en vue de la vente, d’offrir en vue de la vente ou de céder sous toute autre forme à titre gratuit ou onéreux, ainsi que le fait de vendre, de distribuer et d’effectuer d’autres formes de cession proprement dites d’un produit visé au premier alinéa de l’article L. 253-1 pour un usage non professionnel ; ».
Article 3
Avant le 31 décembre 2014, le Gouvernement déposera sur le bureau du Parlement un rapport sur les freins tout à la fois juridiques et économiques qui empêchent le développement de la fabrication et de la commercialisation des substances à faible risque définies par le règlement communautaire (CE n° 1107/2009).
Très bien. Un Maire qui prendrait un arrêté de réutilisation des « Phytos » pour des raisons d’effets négatifs des « herbes folles » sur l’évacuation des eaux de pluie au niveau des avaloirs, comment aller à l’encontre du zéro phyto ? Sachant que les collectivités doivent faire partie des dits « professionnels », comment pourront-elles être sanctionnées si elles ne se soumettent pas aux normes ? Merci.
Farid Djabali, CM écologiste délégué aux transports à Mitry-Mory (77).
Dès l’instant où la loi interdira l’utilisation des produits phytosanitaires sur les espaces publics, ce type d’arrêté n’aura aucune valeur.