« Il est indispensable que les pouvoirs publics assurent le respect du libre accès au littoral et l’arrêt de l’accaparement des espaces naturels. »
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues,
Voilà trois jours, je n’avais jamais entendu parler de l’existence de la zone des cinquante pas géométriques ! Je commencerai donc mon intervention par un petit cours d’histoire.
La zone des cinquante pas géométriques, anciennement appelée les « cinquante pas du Roi », a été créée dans les Antilles sous l’Ancien Régime. Selon l’arrêt du Conseil supérieur du 3 mars 1670, « les cinquante pas du Roi doivent commencer leur hauteur du lieu où les herbes et arbrisseaux commencent à croître, et à continuer à mesurer dudit lieu, jusqu’à la longueur desdits cinquante pas.»
Si j’ai bien compris, la largeur de cette zone serait de l’ordre de 82,2 mètres.
M. Victorin Lurel, ministre. Elle s’établit à 81,2 mètres !
M. Joël Labbé. Je ne me battrai pas avec vous sur ce point, monsieur le ministre. (Sourires.)
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Soit 1,624 multiplié par 50 !
M. Joël Labbé. Je vous remercie de cette précision, monsieur le président de la commission.
Depuis leur origine, ces cinquante pas géométriques sont « inaliénables et imprescriptibles sans le consentement et le concours de la Nation ».
De nombreux particuliers se sont progressivement approprié des parcelles sur cette zone. La loi du 30 décembre 1996 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d’outre-mer a pris le parti d’ouvrir les droits de cession et de régularisation des occupants fonciers sans titre dans les espaces urbanisés, les espaces naturels étant confiés au Conservatoire du littoral.
Un amendement déposé par le Gouvernement lors de l’examen du projet de loi portant engagement national pour l’environnement visait à accélérer les processus de régularisation.
Nous en sommes bien conscients, depuis plus d’un siècle, la possession de la terre sur cette zone est devenue un enjeu symbolique fort pour la population locale, notamment depuis l’abolition de l’esclavage.
Comme cela est mentionné dans le rapport de Serge Larcher, 15 % de la population de Guadeloupe et de Martinique vit dans cette zone. Nous comprenons donc l’intérêt de régulariser les situations qui peuvent l’être et, par conséquent, la nécessité de prolonger l’existence des agences d’aménagement, couramment appelées « agences des cinquante pas géométriques ».
En effet, à compter du 1er janvier 2014, la mission de régularisation foncière qu’elles exercent devait être attribuée à des établissements publics fonciers d’État. Or la création de ces derniers n’est plus d’actualité, notamment à la suite de la décision des collectivités territoriales de créer leurs établissements publics fonciers.
De fait, si ces agences disparaissent, à cette date, aucun organisme ne sera en mesure de reprendre leurs missions de régularisation foncière et d’aménagement. La présente proposition de loi répond donc à une urgence. Elle est bienvenue.
Néanmoins, la prolongation de la durée de vie de ces agences ne résoudra pas à elle seule les problèmes liés à l’aménagement des espaces concernés.
Il convient de rappeler que les cessions ne doivent pas être effectuées en privatisant le littoral. Il est indispensable que les pouvoirs publics assurent le respect du libre accès au littoral et l’arrêt de l’accaparement des espaces naturels.
On le sait, malgré tout, le phénomène d’occupation sans titre sur la zone des cinquante pas géométriques continue de se développer. Et le bilan qui peut être dressé des différentes lois est décevant. Le Gouvernement établissait déjà le même constat à l’occasion de l’examen du projet de loi portant engagement national pour l’environnement. Près de quinze ans après la loi de 1996, le nombre des cessions-régularisations reste très faible, les zones aménagées et équipées sont peu nombreuses, et les constructions illicites sur les espaces littoraux ont continué à se développer, compromettant ainsi la sauvegarde du littoral pour les générations futures.
Ce bilan s’explique notamment par le fait que, depuis plus d’un siècle, tous les dispositifs mis en place pour tenter de régulariser la situation foncière sur ces espaces ont entretenu le sentiment que, de régularisation en régularisation, la zone des cinquante pas géométriques était un territoire ouvert, sur lequel il était possible de s’installer.
Le flux de nouveaux occupants sans titre doit cesser. Cela ne pourra être le cas qu’avec un soutien actif et fort des maires et des collectivités locales.
Plusieurs défis sont à relever : protéger le littoral en luttant contre les nouvelles installations illicites ; permettre un accès au littoral à tous, comme partout ailleurs ; lutter contre l’urbanisation exagérée de ces espaces et définir de justes perspectives pour l’utilisation de ceux-ci ; régulariser la situation foncière d’une population majoritairement âgée et pauvre, qui n’a bien souvent pas les moyens d’acquitter le prix demandé malgré l’aide financière exceptionnelle de l’État et qui, pour partie, est illettrée – ce paramètre doit effectivement être pris en compte ; assurer à ces populations les équipements publics essentiels, notamment pour ce qui concerne l’eau et l’assainissement ; proposer des relogements aux occupants sans titre non régularisables, car vivant en « zones rouges »,c’est-à-dire en zones inconstructibles en vertu des plans de prévention des risques naturels.
C’est pourquoi, si la présente proposition de loi constitue une avancée nécessaire, que nous voterons, la réflexion doit se poursuivre, afin que soit organisé sur ces espaces un aménagement équilibré, en concertation avec les habitants et les collectivités locales. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et au banc des commissions. – MM. Yvon Collin et Jean-Claude Requier applaudissent également.)
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