Nous prenons acte des analyses rendues publiques par le Haut Conseil des Biotechnologies HCB) et l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) sur l’étude publiée en septembre par Gilles-Éric Séralini et son équipe. Si leurs analyses contestent les conclusions de l’étude (notons au passage que le HCB a lui-même autorisé la culture des OGM en France… et qu’il est délicat pour des experts de revenir sur leur propre avis), le HCB et l’Anses appellent néanmoins à de nouvelles études, indépendantes et de long terme, sur la toxicité des plantes génétiquement modifiées. C’est une façon claire de reconnaître combien le cadre existant n’est pas opératoire.
En cela, c’est une avancée qu’il convient de saluer, et qui n’aurait pas été possible sans la publication de l’étude Séralini…dont il faut remarquer qu’elle a donné lieu à un nombre de réactions et levées de bouclier rarement atteint. Enfin, nous nous félicitons de la prise de position de la Ministre de l’Ecologie, qui appelle également à compléter les études existantes et considère que l’étude de l’équipe Seralini et les avis du HCB et de l’Anses confortent la France dans son choix du moratoire sur les cultures de plantes génétiquement modifiées.
Pour nous, les résultats de cette étude soulèvent des questions relatives à la protection de la santé et de l’environnement. Si les plantes génétiquement modifiées présentent un danger, c’est – notamment – parce que celles qui sont réellement cultivées sont des « plantes-pesticides », qu’elles produisent leur propre pesticide ou qu’elles résistent à un herbicide. Dès lors, la question de l’évaluation de ces pesticides est également posée. Plusieurs recherches tendent à montrer que l’exposition aux pesticides accroît le risque de survenue de cancers, de dégradation du système reproductif ou de maladies neuro-dégénératives. Or nous sommes tous exposés, tous « cobayes ». Des solutions agronomiques existent qui permettent de réduire leur usage puis de s’en dispenser, comme en témoigne le dernier documentaire de Marie-Monique Robin. Qu’attend-on pour les mettre en œuvre ? Le plan Ecophyto 2018 issu du Grenelle de l’Environnement de Nicolas Sarkozy avait fixé une réduction de moitié de l’usage des pesticides « si possible » – sachant que la France est le 1er consommateur en Europe, et le 4ème au monde. Au vu des évolutions récentes à la hausse plutôt qu’à la baisse, Stéphane Le Foll a décrété qu’un tel objectif n’était pas envisageable dans les conditions actuelles. On vise désormais une réduction de 30%, alors que l’INRA a montré qu’un tel objectif demandait peu d’efforts et en tous les cas aucunement un « changement de système » (par exemple le fait de passer d’une agriculture conventionnelle à une agriculture dite « intégrée » où les rotations des cultures sont beaucoup plus longues, où la mosaïque paysagère est mise à profit pour faire jouer les insectes auxiliaires, etc).
Pourtant là est bien l’enjeu. Un nécessaire changement de système à l’échelle de l’exploitation agricole, comme à l’échelle de la politique agricole. Car tout cela est lié. Si l’Union européenne se trouve aujourd’hui prisonnière des OGM, c’est parce qu’au lieu de produire de la luzerne et des protéagineux, elle importe l’essentiel des protéines végétales destinées au bétail… sous forme de soja. Cultivés aux États-Unis ou en Amérique du Sud, ces plantes qui nourrissent nos troupeaux sont presque totalement issues de cultures génétiquement modifiées. Il ne s’agit donc pas seulement d’interdire la culture de plantes OGM sur le sol européen, mais également de reconquérir notre « autonomie en protéines » : cultiver en Europe ce qui est nécessaire pour nourrir nos troupeaux, et ne plus dépendre de ces importations. D’autant que la production de telles plantes, légumineuses, viendrait enrichir naturellement nos sols en « engrais vert » et réduirait du même coup notre dépendance aux nitrates coûteux, énergivores et polluants.
Il y a un moyen radical de s’affranchir de ces dépendances aux OGM, aux pesticides, aux nitrates : réorienter profondément la politique agricole commune, qui bénéficie aujourd’hui encore très largement à des systèmes d’exploitation qui portent préjudice à l’environnement, à la santé publique…. et à l’économie agricole !
La bonne nouvelle ? La PAC est en cours de renégociation, et la position de la France sera cruciale dans les discussions. Notre pays, bénéficiaire historique de cinquante années de politique agricole commune, doit enfin revoir ses positions et devenir une locomotive des politiques d’encouragement à la transition écologique. Nous ne pouvons plus raisonnablement poursuivre un modèle agricole basé sur l’utilisation massive de substances agressives, les scientifiques à l’affirmer sont de plus en plus nombreux.
Le défi agricole devant nous est considérable, comparable dans son ampleur à la « révolution silencieuse » des années 1960. Bizarrement, ni les arguments « environnementaux » ni les alertes sur le désastre économique, social et symbolique que constitue la disparition programmée des paysans n’ont jusqu’ici convaincu les dirigeants européens de changer. Les menaces qui pèsent sur la santé publique ne peuvent pas être plus longtemps ignorées. L’immobilisme, en la matière, est et sera inexcusable.
Tribune co-signée par les élu-es écologistes
Danielle Auroi, Présidente de la Commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale, députée, rapporteure auprès de l’Assemblée nationale sur la PAC ; Brigitte Allain, députée ; Joël Labbé, sénateur ; René Louail, conseiller régional de Bretagne ; François Calvet, conseiller régional en Midi-Pyrénées.