Débat organisé à la demande de la commission des affaires économiques, sur les conclusions du rapport d’information intitulé « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique ».
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Intervention de Joël Labbé :
Joël Labbé. La crise du covid-19 et la guerre en Ukraine ont révélé nos vulnérabilités et nos dépendances dans des secteurs stratégiques essentiels. Les aléas climatiques à venir et l’instabilité internationale ne manqueront malheureusement pas de venir aggraver ces difficultés.
Il est donc essentiel d’agir en urgence pour renforcer notre souveraineté, et nous remercions la commission des affaires économiques du Sénat de s’être saisie de ce sujet. Son rapport d’information pointe l’insuffisance des réponses politiques actuelles sur ces questions.
Nous partageons ainsi une partie des éléments présentés par ce rapport : la faiblesse des ambitions et des actions de l’État sur la relocalisation des filières stratégiques, la nécessité de développer le recyclage et les énergies renouvelables, ou encore la nécessaire indépendance face aux Gafam.
Cependant, pour de nombreux axes de ce rapport, nous considérons que la transition vers des systèmes sobres, durables et écologiques est insuffisamment prise en compte et que les solutions présentées pérennisent certaines dépendances, alors même qu’il faudrait construire une véritable résilience.
C’est globalement par la sobriété et le développement de solutions de rechange en matière d’énergie, d’agriculture et d’économie circulaire que nous pourrons créer des systèmes vertueux et résilients.
Ainsi, cela ne vous surprendra pas, mes chers collègues, nous ne pensons pas que la relance nucléaire soit la solution, dans un monde de plus en plus incertain, pour assurer notre souveraineté énergétique. Je pense aux questions d’approvisionnement en matières premières, de risques majeurs, en particulier dans la période instable que nous connaissons, et de gestion des déchets. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir très largement lors des débats législatifs à venir.
Nous pensons également que cette réflexion sur la souveraineté doit toujours, dans un contexte de forte inflation, aller de pair avec une réflexion sur la justice sociale, car les tensions que nous connaissons actuellement se répercutent avant tout sur les plus pauvres.
Je voudrais maintenant développer plus précisément les questions agricoles, qui constituent le cœur de notre souveraineté alimentaire.
Ici encore, nous partageons une partie des recommandations du rapport d’information et nous encourageons le Gouvernement à s’en saisir.
Nous estimons ainsi que la souveraineté de la France doit passer par une forte relocalisation des ressources alimentaires, en lien notamment avec un soutien renforcé aux projets alimentaires territoriaux et aux filières de protéines végétales, avec la mise en place d’une transparence sur l’origine des aliments pour le consommateur.
Nous soutenons avec force un renforcement du contrôle des produits importés, mais, pour cela, il faut dégager des moyens suffisants.
En ce qui concerne les importations, nous nous devons de rappeler le triste anniversaire du Ceta, l’accord commercial bilatéral de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, entré en vigueur en septembre 2017 et toujours non ratifié par notre assemblée à ce jour.
Nous demandons au Gouvernement d’agir pour mettre un coup d’arrêt à ces accords aux conséquences délétères.
Nous demandons aussi au Gouvernement, à l’inverse de ce que propose ce rapport, de soutenir la mise en œuvre des objectifs de la stratégie européenne dite « de la ferme à la fourchette ». Sa remise en cause au nom de la souveraineté serait pour nous une erreur stratégique. Que ce soit sur la réduction de l’usage des engrais et des pesticides, sur l’augmentation des surfaces en agriculture biologique ou sur la biodiversité, il nous faut amorcer d’urgence la transition, si l’on veut assurer notre souveraineté.
L’agroécologie est une alternative crédible pour relever les défis climatiques et ceux de la biodiversité. Remettre en cause le pacte vert, au nom du « produire toujours plus », c’est accentuer la crise climatique et l’effondrement de la biodiversité. Rappelons que les engrais azotés minéraux sont de véritables bombes climatiques et que les pesticides qui vont avec sont responsables de l’effondrement des pollinisateurs, qui sont nécessaires à la production agricole.
Nous attendons donc une prise de position forte du Gouvernement en faveur du pacte vert européen, mais aussi d’un règlement communautaire exigeant sur les pesticides. (M. Daniel Salmon applaudit.)
Le président. La parole est à M. le ministre délégué.
Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, je crois pouvoir dire que nous serons d’accord pour acter nos désaccords sur certains sujets que vous avez évoqués… Nul n’en sera surpris !
Parmi nos points d’accord, je citerai simplement le recyclage des matières premières. C’est un sujet essentiel pour assurer une économie plus durable et plus soutenable, mais aussi pour renforcer la souveraineté de la France.
De manière plus générale, nous dépendons trop de l’étranger pour certaines matières premières, parfois extrêmement importantes, par exemple celles qui sont utilisées dans les batteries.
C’est pour cette raison que nous souhaitons inclure dans la proposition de règlement européen sur les batteries le principe selon lequel le lithium inclus dans les batteries fabriquées ou vendues en Europe soit, à terme, à 90 % recyclé, ce qui donnerait un avantage important à l’industrie européenne et nous protégerait contre certaines importations sauvages, ainsi que contre les dépendances.
En ce qui concerne le nucléaire, nous ne serons évidemment pas du tout d’accord ! En effet, nous restons profondément convaincus que cette énergie constitue une solution fondamentale pour assurer notre indépendance et produire de l’électricité bas-carbone et à bas coût, comme l’a souligné M. Gremillet.
Pour autant, ce n’est pas la seule solution que nous devons promouvoir, et vous aurez très bientôt l’occasion d’en débattre dans cet hémicycle. Nous soutenons également fermement le développement des énergies renouvelables, en particulier le solaire et l’éolien en mer.
C’est en s’appuyant sur ces différentes ressources que nous rendrons la France autonome et que nous pourrons accompagner l’augmentation de la demande d’électricité – comme vous le savez, cette augmentation sera extrêmement forte dans les années qui viennent.
Vous estimez que nous n’avons pas suffisamment protégé les plus démunis. Rappelons tout de même que l’inflation française est deux fois moins élevée que la moyenne européenne. Nous sommes le pays qui a le mieux protégé ses ménages, y compris les plus démunis, contre l’inflation – soyons-en fiers !
Enfin, j’évoquerai le Ceta. Vous avez raison de dire que cet accord n’a pas été soumis au vote du Sénat. Mais il a bien été ratifié par l’Assemblée nationale – j’étais député et je faisais partie de la majorité qui l’a voté ! Jean-Baptiste Lemoyne s’en souvient, puisqu’il était membre du Gouvernement.
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