PROPOSITION DE LOI
visant à refonder la politique de gestion et de protection des sites et sols pollués en France
Enregistrée à la Présidence du Sénat le 17 mai 2021
PRÉSENTÉE PAR
Mme Gisèle JOURDA, MM. Laurent LAFON, Joël BIGOT, Mme Maryse CARRÈRE, MM. Pascal SAVOLDELLI, Didier MANDELLI, Xavier IACOVELLI, Mmes Sabine VAN HEGHE, Sonia de LA PROVÔTÉ, M. Jean-Pierre MOGA, Mme Florence LASSARADE, M. Cyril PELLEVAT, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, MM. Patrick KANNER, Jean-Claude TISSOT, Jean-Pierre CORBISEZ, Mme Cathy APOURCEAU-POLY, MM. Guillaume GONTARD, Claude RAYNAL, Jérôme DURAIN, Mickaël VALLET, Mmes Martine FILLEUL, Nicole BONNEFOY, Patricia DEMAS, Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, MM. Philippe BONNECARRÈRE, Jean Pierre VOGEL, Michel SAVIN, Mme Laurence MULLER-BRONN, M. Alain CHATILLON, Mme Catherine DUMAS, MM. Joël GUERRIAU, Gérard LONGUET, Henri CABANEL, Mme Sabine DREXLER, M. Jean-Marc TODESCHINI, Mme Catherine DEROCHE, M. Rémi FÉRAUD, Mme Angèle PRÉVILLE, MM. Patrick CHAUVET, Ludovic HAYE, Jean-François LONGEOT, Mmes Brigitte LHERBIER, Vivette LOPEZ, MM. Franck MENONVILLE, Denis BOUAD, Mme Marie-Noëlle LIENEMANN, MM. Jean-Jacques LOZACH, Olivier JACQUIN, Rachid TEMAL, Bernard FOURNIER, Yannick VAUGRENARD, Mme Évelyne PERROT, M. Patrice JOLY, Mme Catherine BELRHITI, M. Christian REDON-SARRAZY, Mme Viviane ARTIGALAS, MM. Éric KERROUCHE, Jean-Luc FICHET, Alain DUFFOURG, Thierry COZIC, Marc LAMÉNIE, Jean-Pierre SUEUR, Stéphane SAUTAREL, Mmes Sylvie ROBERT, Marie-Arlette CARLOTTI, M. Sebastien PLA, Mmes Monique LUBIN, Monique de MARCO, Laurence ROSSIGNOL, MM. Jean BACCI, François BONHOMME, Mmes Nathalie DELATTRE, Esther BENBASSA, MM. Fabien GENET, Laurent SOMON, Jean-Michel HOULLEGATTE, Mmes Patricia SCHILLINGER, Marie-Pierre MONIER, MM. Maurice ANTISTE, Dany WATTEBLED, Hervé GILLÉ, Hussein BOURGI, Mme Florence BLATRIX CONTAT, MM. Gilbert ROGER, Franck MONTAUGÉ, Mmes Lana TETUANUI, Marie-Claude VARAILLAS, M. Henri LEROY, Mme Nadia SOLLOGOUB, M. Jean-Jacques MICHAU, Mmes Anne-Catherine LOISIER, Élisabeth DOINEAU, MM. Hervé MAUREY, Ronan DANTEC, Mmes Corinne FÉRET, Isabelle BRIQUET, Else JOSEPH, Hélène CONWAY-MOURET, Nassimah DINDAR, MM. Jean-Claude ANGLARS, Guy BENARROCHE, Mme Michelle MEUNIER, MM. Jacques-Bernard MAGNER, Yves DÉTRAIGNE, Mmes Claudine LEPAGE, Laurence HARRIBEY, MM. Éric JEANSANNETAS, Michel DAGBERT, André GUIOL, Olivier CIGOLOTTI, Alain HOUPERT, Joël LABBÉ, Mme Annie LE HOUEROU, MM. Daniel SALMON, Pascal ALLIZARD, Victorin LUREL, Louis-Jean de NICOLAŸ, Jean-Pierre DECOOL, Mmes Raymonde PONCET MONGE, Émilienne POUMIROL, Annick BILLON, M. Jean-Yves LECONTE et Mme Christine BONFANTI-DOSSAT, Sénatrices et Sénateurs.
(Envoyée à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le développement industriel de notre pays aux XIXe et XXe siècles et l’urbanisation continue alimentée par la croissance démographique ont laissé en héritage un patrimoine foncier fortement dégradé par l’activité anthropique. Pendant longtemps, l’exploitation des ressources de nos sols et sous-sols tout comme l’activité industrielle non-extractive, valorisées comme un levier extraordinaire de création de richesses et de croissance, ont été largement encouragées par les pouvoirs publics : leur impact sur l’état de la ressource naturelle que constituent le sol et le sous-sol et les conséquences des pollutions qui résultent de leur exploitation, tant sur l’équilibre de nos écosystèmes que pour la santé des populations, sont longtemps restés absents des préoccupations des décideurs politiques et dépourvus d’une information accessible et compréhensible par tous.
Il a fallu attendre la médiatisation d’accidents industriels de grande ampleur au tournant des trente glorieuses pour que les enjeux sanitaires et écologiques associés aux pollutions des sols s’imposent progressivement dans la conscience collective d’une nation qui reste encore très attachée à sa réussite industrielle. Le mouvement de désindustrialisation qui s’est amorcé dans le dernier quart du siècle dernier a ainsi provoqué un double traumatisme dans notre pays :
– d’une part, la fermeture des nombreuses installations minières et l’essoufflement des grandes exploitations industrielles, en particulier dans le Nord et l’Est de la France, ont en quelque sorte signé la fin d’un âge d’or pour des territoires contraints à s’interroger sur leur avenir économique et leur reconversion ;
– d’autre part, cette désindustrialisation, en mettant à nu l’état de profonde dégradation de certains terrains, ont également suscité une angoisse légitime au sein des populations face à l’impact sanitaire et écologique, jusqu’alors sous-estimé, de sites désormais souvent laissés en friche et dont les pollutions ne peuvent plus être « dissimulées » par le maintien en activité.
Aujourd’hui les exemples de pollution des sols sont légion. Déchets toxiques charriés par des inondations dans l’Aude, collèges bâtis sur des sols pollués dans le Val-de-Marne, terres agricoles contaminées par du plomb et du cadmium à Saint-Félix-de-Pallières ou dans le Pas-de-Calais… : dans un pays à la riche histoire industrielle, industrialo-portuaire et minière comme le nôtre, aucun territoire ne semble épargné.
Pourtant, la lutte contre la dégradation des sols et la gestion de ses effets sur la santé et l’environnement peinent à s’imposer comme une priorité des pouvoirs publics.
C’est en ce sens que le Sénat a, le 19 février 2020, à la demande du groupe socialiste, écologique et républicain, constitué une commission d’enquête afin d’évaluer les problèmes sanitaires et écologiques posés par la pollution industrielle ou minière des sols.
L’objectif de cette commission d’enquête était d’évaluer l’ampleur de la pollution des sols consécutive à des activités industrielles et minières en France, ainsi que la capacité des pouvoirs publics à identifier et prévenir les risques que cette pollution présente pour la santé des populations et l’environnement.
Au cours de ses travaux, elle s’est s’interrogée sur l’existence d’éventuelles insuffisances ou négligences, tant de la part des exploitants que des autorités, dans la dépollution des sites industriels et la gestion de l’après mine.
À l’issue de ses travaux, la commission d’enquête a adopté à l’unanimité, le 10 septembre 2020, un rapport intitulé « Pollutions industrielles et minières des sols : assumer ses responsabilités, réparer les erreurs du passé et penser durablement l’avenir ».
Elle y dresse quatre principaux constats qui l’ont amenée à formuler une série de propositions destinées à refonder la politique de gestion des sites et sols pollués en France :
La pollution des sols est encore largement sous-estimée, elle reste en grande partie le résultat de pollutions historiques :
L’évaluation et la prise de conscience des risques sanitaires et écologiques posés par la pollution des sols demeurent d’autant plus délicates que l’identification des sites et sols pollués est encore aujourd’hui très incomplète. Le recensement de ces sites, inachevé, est rendu difficile par le fait que les informations disponibles sur les sites concernés par une activité industrielle historique, souvent collectées à partir d’archives départementales ou communales parcellaires et anciennes, ne permettent pas de renseigner sur la nature exacte des substances polluantes susceptibles d’avoir imprégné le sol. Pendant longtemps, les sites industriels n’ont en effet pas fait l’objet d’obligations en matière de diagnostic des sols.
La permanence d’un certain nombre d’angles morts dans notre système d’inspection et de contrôle de la pollution industrielle et minière des sols, contribue en outre au caractère imparfait de l’information disponible sur les sites et les risques associés. La surveillance demeure fortement asymétrique selon la classification règlementaire des sites, les obligations de diagnostic apparaissant insuffisantes pour certaines catégories d’installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) soumises à déclaration qui présentent pourtant de réels risques en termes de pollution des sols. Cette surveillance est, par ailleurs, bien souvent cantonnée au début -au moment de l’autorisation ou de l’enregistrement- et à la fin de l’exploitation -au moment de la cessation d’activité-, sans une vigilance suffisante vis-à-vis des risques de dégradation des sols encourus en cours d’exploitation.
Les bases de données aujourd’hui disponibles sur les sites et sols pollués, encore éclatées selon le type d’activité et les ministères et autorités gestionnaires, ne permettent ainsi pas de disposer d’une vision consolidée de l’état de dégradation des sols dans notre pays. Si la base de données des anciens sites industriels et activités de services, dite « Basias », recense un peu moins de 320 000 sites1(*), la base de données sur « les sites et sols pollués ou potentiellement pollués appelant une action des pouvoirs publics, à titre préventif ou curatif », et gérée par le ministère chargé de l’environnement, dite « Basol », n’inventorie, pour sa part, qu’un peu plus de 7 200 sites2(*). À la fragmentation de l’information disponible, s’ajoute la technicité des données sur l’évaluation de la pollution et de son impact sur la santé qui rend leur compréhension bien souvent peu intelligible et insuffisamment accessible aux responsables locaux et au grand public.
Il demeure par conséquent encore très difficile d’appréhender dans notre pays l’ampleur de la pollution des sols, qui est en grande partie le résultat de pollutions historiques conduites avant l’établissement d’une véritable réglementation sur la traçabilité des activités polluantes. L’impact des pollutions actuelles, sous l’empire de la réglementation relatives aux ICPE et compte tenu de la diminution de l’activité minière, semble, lui, désormais mieux maîtrisé, même si des accidents ou des négligences peuvent être à l’origine de nouvelles pollutions, comme l’a montré récemment l’accident de l’usine Lubrizol en 2019.
Pour ces pollutions historiques, la disparition de l’exploitant responsable ou son insolvabilité mettent en difficulté les responsables locaux pour gérer et réparer les dommages sanitaires et environnementaux. Or, pour certains sites, les phénomènes climatiques de grande ampleur peuvent venir « réveiller » des pollutions historiques, comme l’ont illustré les inondations de 2018 dans la vallée de l’Orbiel qui ont charrié des quantités importantes de polluants issus des déchets toxiques des anciennes mines d’or et d’arsenic de Salsigne dans les sols et cours d’eau environnants.
La commission d’enquête a ainsi acquis la conviction que le développement d’une information claire, pédagogique et accessible à tous constitue un exercice prioritaire, dans une logique de transparence à l’égard des particuliers et des élus locaux mais également des opérateurs en matière d’aménagement, tant publics, comme les collectivités territoriales et les établissements publics fonciers, que privés.
Elle a ainsi formulé plusieurs propositions s’inscrivant dans le sens d’un renforcement de l’information du public et des élus locaux sur l’existence de pollutions des sols et sur leurs effets sur la santé et l’environnement, par analogie avec le droit à l’information sur la pollution de l’air. Elle a eu également à coeur de dessiner des propositions permettant d’accompagner la montée en puissance des secteurs d’information sur les sols, en impliquant plus fortement les collectivités territoriales à leur élaboration. Une cartographie consolidée des données relatives aux risques sanitaires et écologiques associés aux pollutions des sols les plus problématiques semble, par ailleurs, s’imposer.
Le sol, un élément naturel négligé de notre législation
L’air et l’eau ont de longue date été considérés comme des biens naturels communs et ont donné lieu, à ce titre, à l’élaboration de cadres juridiques anciens pour leur préservation et limiter l’impact de l’activité humaine sur leur qualité, avec l’adoption de deux grandes lois : la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l’eau et la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie, dite « LAURE ».
En revanche, le sol a, lui, généralement été envisagé comme un bien économique privé, soumis au droit de la propriété et destiné à être mis en valeur, occupé ou exploité, que ce soit dans le cadre d’une exploitation industrielle, notamment minière, ou dans le cadre de projets d’aménagement pour l’habitat et l’urbanisation. La préservation des fonctions du sol et la nécessité de sa réhabilitation après exploitation sont ainsi longtemps restées absentes des stratégies de gestion économique ou foncière du sol.
Or le sol reste un élément naturel qui n’est pas indéfiniment renouvelable et joue un rôle déterminant dans l’équilibre de la biosphère et de la santé publique : il régule le climat, il produit des denrées alimentaires, du combustible, il filtre les éléments susceptibles de migrer vers d’autres milieux, notamment les eaux de surface et souterraines et l’air. Au-delà des enjeux de santé publique et d’écologie qui s’attachent à une gestion plus responsable et durable de l’exploitation des sols, le sol revêt également une dimension mémorielle, culturelle et patrimoniale qui justifierait que l’on renforce les exigences législatives et règlementaires applicables à sa conservation.
Dans ces conditions, la protection des sols ne fait pas l’objet en France d’un cadre juridique spécifique fondé sur une définition d’un sol pollué, à la différence de la réglementation applicable à la protection de l’eau ou de l’air. A été privilégiée une approche sectorielle, au milieu des années 1970 à la suite de l’accident industriel de Seveso en Italie, avec l’adoption de la réglementation dite « ICPE » en 1976 sur les installations industrielles. Les éléments sur la protection des sols au sein de la législation minière se sont, eux, surtout développés à la fin des années 1990 mais se sont essentiellement cantonnés à la gestion de l’impact des mouvements de terrain. Il n’existe, par conséquent, pas d’approche intégrée dans notre droit de la protection des sols. En découle un manque de clarté sur la chaîne des responsabilités dans la prévention de la pollution et la réparation des dommages et de potentiels angles morts.
En conséquence, la commission d’enquête s’est employée à formuler plusieurs propositions de nature à construire un véritable droit de la protection des sols et de procéder à des clarifications qui permettront de combler les angles morts de la réglementation en vigueur.
- L’absence d’un cadre homogène de gestion des problématiques sanitaires et écologiques associées aux sites et sols pollués
Un des constats les plus marquants de la commission d’enquête est le sentiment, chez les populations riveraines et les responsables des collectivités territoriales concernés par des sites et sols pollués, d’une réactivité variable selon les territoires des services de l’État face aux risques sanitaires et écologiques associés, qui peut les plonger dans l’incompréhension, voire le désarroi. Dans des cas de pollution historique des sols où la responsabilité des exploitants est bien souvent prescrite ou impossible à actionner faute de solvabilité, les autorités peuvent apparaître démunies dans la gestion des problématiques sanitaires et écologiques. La complexité des procédures de traitement des alertes sanitaires et écologiques -des procédures du reste peu formalisées et souvent mal connues du grand public-, et le retranchement derrière la nécessité de recueillir des données scientifiques étayées et fiables d’évaluation du risque sanitaire suscitent au mieux une impression d’inertie des services de l’État, au pire une défiance persistante des populations et des élus locaux à l’égard de ces derniers.
L’impossibilité de rechercher la responsabilité d’anciens exploitants ou d’actionner le principe pollueur-payeur ne saurait justifier la lenteur des procédures de gestion du risque sanitaire et de réparation des préjudices écologiques de la part d’un État qui a autorisé, voire encouragé à une époque, des activités polluantes dont la limitation de l’impact sur la santé publique et l’environnement demeure, en dernier ressort, de sa responsabilité. La mise en oeuvre de mesures de gestion du risque sanitaire se cantonnant à des restrictions d’usage et des mesures hygiéno-diététiques, pesant durablement sur la qualité de vie des populations contraintes de « vivre avec la pollution », ne peut pas non plus constituer une solution satisfaisante sur la durée.
La protection des populations, de leur santé et de leur qualité de vie, de même que la préservation de l’environnement exigent par conséquent la définition d’un cadre transparent de veille et de gestion des risques sanitaires, fondé sur une procédure de remontée réactive des informations du local vers le national et de traitement homogène et proportionné des situations sur l’ensemble du territoire, afin d’éviter toute disparité dans l’instruction d’alertes bien souvent émises par des associations ou des élus locaux.
Des outils doivent également être définis pour permettre aux responsables de collectivités territoriales, en particulier aux maires, d’articuler leur action de proximité avec celle des services de l’État. L’absence d’un cadre méthodologique pour les responsables locaux confrontés à la gestion des risques sanitaires et écologiques associés à une pollution des sols, le cas échéant « réveillée » par des événements climatiques, pose en effet la question de la nécessité de définir un plan d’action au niveau communal ou intercommunal pour clarifier la répartition des responsabilités des acteurs institutionnels et privés dans la protection et l’information des populations.
Dans un contexte de médiatisation croissante des risques sanitaires et écologiques liés à des pollutions des sols et face à un sentiment persistant d’incurie de l’État, dans certains territoires, voire de négligence dans d’autres -comme dans l’Aude-, dans la gestion de ces risques, la commission d’enquête considère impératif de réunir les conditions d’un travail collaboratif entre les élus locaux, les associations et les services déconcentrés et nationaux de l’État, en jouant sur la transparence et la co-construction de plans d’action.
En matière de réparation des préjudices écologiques, la commission d’enquête a également pris soin de formuler des propositions destinées à mieux actionner le principe pollueur-payeur, que ce soit par un renforcement des obligations de constitution de garanties financières ou par un renforcement des obligations assurantielles des exploitants.
Une doctrine française de la dépollution et de la réhabilitation qui mérite d’être révisée
La reconversion des friches industrielles s’impose comme un enjeu majeur pour les responsables de collectivités territoriales qui doivent concilier un objectif d’aménagement durable et de revitalisation de leur territoire. À la lumière des auditions conduites par la commission d’enquête, la doctrine française d’une dépollution des sites pollués selon l’usage envisagé présente à cet égard des limites.
Le fait qu’en pratique, un exploitant ne soit bien souvent contraint de ne remettre son site que dans un état compatible avec son usage actuel peut en effet conduire à maintenir des sols dans un état de pollution qui restera incompatible avec certains usages pourtant utiles (logements, établissements scolaires, bureaux…) pour les collectivités territoriales qui se retrouveront un jour propriétaires des terrains concernés. Dans un contexte de rareté du foncier, ces collectivités se retrouvent alors contraintes de prendre en charge une dépollution plus approfondie des sites pour permettre leur réutilisation pour des usages non-industriels.
Là encore, les inégalités territoriales pèsent inévitablement sur la capacité de la collectivité à réhabiliter un foncier durablement abîmé par l’activité industrielle et minière. Certains départements sont à l’évidence mieux armés que d’autres pour engager une reconversion des friches industrielles ou minières situées sur leur territoire, notamment par le biais d’établissements publics fonciers puissants ou en raison de valeurs foncières des terrains plus attractives, quand d’autres départements restent désarmés pour revitaliser leurs territoires.
Consciente que la reconversion des friches polluées doit constituer un levier de développement durable et de revitalisation de nos territoires, la commission d’enquête a formulé plusieurs propositions visant à améliorer la connaissance de ce foncier disponible dont la mobilisation doit participer d’un objectif de maîtrise de l’artificialisation des sols.
Afin de favoriser le recours à une dépollution respectueuse de l’environnement, la commission d’enquête s’est également penchée sur plusieurs outils visant à désinciter au transport sur de longues distances des terres excavées et inciter à la mise en oeuvre de techniques identifiées comme vertueuses, le cas échéant via des mécanismes fiscaux.
Dans le souci de mieux accompagner et soutenir les acteurs publics et privés de la dépollution et de la reconversion, la commission a également étudié la faisabilité de différentes propositions, en particulier la création d’un fonds de dépollution des sites et sols pollués qui puisse non seulement prendre en charge la dépollution des sites orphelins, mais également venir en aide aux exploitants ou propriétaires de terrains pollués, notamment les collectivités territoriales qui ont hérité de friches polluées, et qui n’ont pas la surface financière pour supporter les travaux de dépollution qui s’imposent, tout en veillant à actionner pleinement le principe pollueur-payeur.
Enfin, elle s’est intéressée à l’amélioration des dispositifs de nature à faciliter une meilleure division des tâches entre acteurs publics et privés dans la mise en oeuvre des travaux de dépollution, notamment au travers du dispositif dit du « tiers demandeur » qui permet de transférer à un tiers la responsabilité de la remise en état d’un site. Un des principaux objectifs poursuivis par la commission d’enquête a porté sur les moyens de renforcer les complémentarités entre le public et le privé afin de faciliter les opérations de reconversion de sites exigeant des travaux d’ampleur et dont le coût pourrait être rédhibitoire pour des aménageurs privés ou impossible à supporter dans leur intégralité pour des aménageurs publics.
Les 50 propositions du rapport de la commission d’enquête avaient pour dessein d’être reprises dans les projets de loi de finances, pour celles à dimension financière, ainsi que dans les projets de réforme à venir du code minier et du code de l’environnement.
L’examen du projet de loi de finances pour 2021 par la Haute Assemblée fut d’ailleurs la première occasion de voter deux dispositions qui visaient à financer d’une part un fonds de dépollution des sols et d’autre part à garantir l’achèvement du diagnostic des sites scolaires pollués. Bien qu’adoptés par le Sénat, ils n’ont pas été retenus par l’Assemblée nationale dans le texte définitif.
L’attente du projet de réforme du code minier, puis celle du projet de loi issue des travaux de la Convention citoyenne pour le climat n’ont malheureusement pas été satisfaites, et ce malgré quelques améliorations adoptées par amendements. Force est de constater que la pollution des sols reste la grande oubliée des réformes en cours.
Face à ce constat, la présente proposition de loi entend traduire un grand nombre des recommandations de la commission d’enquête, afin que, en matière de pollutions industrielles et minières des sols, des mesures d’envergure puissent être prises pour réparer les erreurs du passé et penser durablement l’avenir. Ses dispositions ont vocation à s’inscrire dans les objectifs poursuivis par le 4e plan national santé-environnement dont l’action 10 vise à « prévenir et agir dans les territoires concernés par la pollution des sols », notamment par le renforcement de la collecte des données d’exposition des populations, le développement de la surveillance sanitaire et le réemploi des friches polluées dans une démarche d’aménagement durable.
C’est ainsi que le Titre I de cette proposition de loi s’attache à consacrer, dans la législation française, un droit à la protection des sols.
Son Chapitre Ier définit les fonctions essentielles des sols et les principes généraux de leur protection. Son article 1er propose une définition de la pollution des sols, comme elle existe pour l’eau et l’air, et pose les principes de la politique nationale de prévention et de gestion des sites et sols pollués. L’article 2 encadre l’élaboration de la méthodologie nationale de mise en oeuvre de la politique nationale de prévention et de gestion des sites et sols pollués. L’article 3 définit la notion d’ « usage » en matière de sites et sols pollués, en clarifiant son articulation avec l’ « usage » au sens du code de la construction et de l’habitation et avec la « destination » au sens du code de l’urbanisme, et en instaurant une typologie précise des types d’usage.
Son Chapitre II entend améliorer la qualité et la lisibilité de l’information sur les sites et sols pollués. C’est ainsi que l’article 4 consacre, dans le droit français, un véritable droit à l’information du public sur les pollutions avérées ou suspectées des sites et sols et leurs effets sur la santé et l’environnement. Il prévoit également la publication par l’agence nationale de santé publique des études épidémiologiques réalisées. L’article 5 instaure une obligation d’information du préfet et du maire pour toute personne morale ayant connaissance d’une pollution des sols ou des eaux sur un site à l’occasion d’un diagnostic des sols ou d’une opération d’aménagement, de construction ou de démolition. L’article 6 renforce l’obligation annuelle de révision des secteurs d’information sur les sols (SIS) et donne aux collectivités territoriales un droit d’initiative pour délimiter des SIS sur leur territoire. L’article 7 instaure, pour les maîtres d’ouvrage de projets de construction d’établissement accueillant des enfants et adolescents, une obligation transversale de conduite d’un diagnostic des sols préventif. L’article 8 prévoit l’achèvement de l’inventaire des établissements accueillant des enfants situés à proximité ou sur des sites pollués, et insère dans les montants obligatoirement inscrits dans chaque loi de finances initiale celui de la contribution de l’État à la réalisation de cet inventaire.
Le Titre II vise à mieux prévenir et à mieux gérer les pollutions des sols et les risques sanitaires et écologiques qui y sont associés.
Son Chapitre Ier détaille les dispositions permettant de sécuriser la remise en état des sites et d’améliorer la surveillance des sols. L’article 9 met ainsi un terme aux asymétries entre le code minier et le code de l’environnement en matière de responsabilités des exploitants et de prévention des risques sanitaires et environnementaux par :
– l’extension aux exploitants de sites miniers de l’obligation de constitution de garanties financières pour la remise en état de la mine après fermeture ;
– l’intégration de la protection de la santé publique dans les intérêts protégés par le code minier ;
– l’extension aux sites miniers de la possibilité de rechercher la responsabilité de la société mère en cas de défaillance éventuelle de la filiale exploitante ;
– l’intégration des travaux miniers dans l’autorisation environnementale, afin d’harmoniser les procédures administratives d’instruction, de contrôle et de sanction entre les sites miniers et les sites d’installations classées protection de l’environnement (ICPE) ;
– l’extension pour une durée de trente ans des conditions d’exercice de la police résiduelle des mines après l’arrêt des travaux, afin de permettre à l’État de rechercher la responsabilité des exploitants en cas d’apparition de nouveaux désordres et dommages.
L’article 10 soumet obligatoirement à l’examen de la direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (Dreal) les analyses conduites par les bureaux d’études certifiés ou équivalents et préalables à la délivrance de l’attestation de mise en oeuvre des obligations de diagnostic et de mesures de gestion pour les sites situés en SIS ou sur les terrains d’anciennes ICPE. L’article 11 rend obligatoire la transmission par le bureau d’études et par l’exploitant au préfet et au directeur général de l’ARS toute information recueillie à l’occasion du contrôle d’une installation concluant à des risques sanitaires inacceptables et justifiant la mise en oeuvre par l’exploitant de mesures de gestion. L’article 12 inclut des exigences relatives à la surveillance au maximum décennale de la qualité des sols et des eaux souterraines pour les ICPE.
Son Chapitre II veut garantir une gestion transparente et réactive des risques sanitaires. À cette fin, l’article 13 systématise l’élaboration par le préfet d’un plan d’action détaillant les mesures de gestion des risques sanitaires pour chaque site pollué présentant un danger avéré pour la santé, soumis à l’avis des membres de la commission de suivi de site et faisant l’objet d’un bilan annuel de sa mise en oeuvre. L’article 14 inscrit dans la loi la participation au financement des études d’imprégnation et des études épidémiologiques des exploitants dont l’activité est identifiée comme responsable, en tout ou partie, des expositions environnementales présentant un danger avéré pour la santé. L’article 15 prévoit l’inscription dans le dossier médical partagé par tout professionnel de santé, sous réserve du consentement du patient ou de son responsable légal, de l’ensemble des données d’exposition environnementale à des substances polluantes à la suite d’un accident industriel ou technologique ou dans le cadre d’une activité professionnelle. L’article 16 consacre les observatoires régionaux de santé, leurs missions en matière de veille sanitaire et de santé environnementale et leur possibilité d’être saisis par le représentant de l’État dans la région ou dans un de ses départements, le directeur général de l’ARS ou les directeurs des délégations départementales de l’ARS, les élus locaux et les associations de riverains. Enfin l’article 17 intègre dans le plan communal de sauvegarde des communes comportant sur leur territoire un site recensé dans la base Basol un volet spécifique consacré à l’alerte, l’information, la protection et le soutien de la population en cas de risque de pollution industrielle ou minière des sols.
Son Chapitre III ambitionne la mise en oeuvre d’une meilleure réparation des dommages environnementaux. L’article 18 inclut la réparation des dommages environnementaux provoqués par des pollutions chroniques (non accidentelles) dans la constitution de garanties financières des exploitants d’installations classées et de sites miniers. L’article 19 inscrit dans la loi la possibilité pour l’Ademe de mettre en oeuvre des dispositifs d’indemnisation des préjudices environnementaux causés aux tiers liés à des pollutions des sols en cas de défaillance ou d’insuffisance des garanties de l’exploitant responsable. L’article 20 inscrit la prévention et la surveillance des risques d’atteinte à la biodiversité liés à la pollution des sols dans les missions de l’office français de la biodiversité.
Enfin le Titre III ambitionne de mobiliser les friches industrielles et minières dans une démarche d’aménagement durable. L’article 21 propose une définition du statut de friche et crée un réseau national des inventaires territoriaux de friches. L’article 22 crée un fonds national dédié au financement de la réhabilitation des sites et sols pollués, géré par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), pour les sites orphelins et les sites non-orphelins pour lesquels les garanties financières de l’exploitant ou la surface financière de la collectivité seraient insuffisantes pour couvrir le coût des opérations nécessaires à la protection de la sécurité et de la santé des populations et de l’environnement. L’article 23 vient gager financièrement cette proposition de loi.
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