Énergies renouvelables


PROPOSITION DE LOI
visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables,

Enregistrée à la Présidence du Sénat le 01 septembre 2021


 

PRÉSENTE PAR

Guillaume GONTARD, Daniel SALMON, Joël LABBÉ, Guy BENARROCHE, Ronan DANTEC, Thomas DOSSUS, Jacques FERNIQUE, Mme Monique de MARCO, M. Paul Toussaint PARIGI, Mmes Raymonde PONCET MONGE, Sophie TAILLÉ-POLIAN, Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, Brigitte DEVÉSA, MM. Christian BILHAC, Gérard LAHELLEC, Mme Angèle PRÉVILLE, MM. André GUIOL et Patrice JOLY, Sénatrices et Sénateurs.

(Envoyée à la commission des affaires économiques, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement)

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi du Groupe Écologiste, Solidarité et Territoires vise à maintenir les concessions hydrauliques dans le domaine public. Elle propose ainsi la création d’une quasi-régie pour l’ensemble des installations hydrauliques pour éviter le morcellement de ce patrimoine et tenir compte des enjeux spécifiques liés à la gestion de l’eau que nous considérons comme un bien commun et qui par conséquent doit s’inscrire hors marché. Le code de l’environnement, à son article L. 210-1 rappelle à cet égard que l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation et que sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général. La présente proposition de loi entend également inscrire l’objectif d’organiser un service public des énergies renouvelables.

La Directive 96/92/CE du parlement européen et du conseil du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité a inscrit la mise en place d’un marché pour l’électricité et le gaz, en remplacement du monopole public qu’était EDF-GDF. Dans ce contexte, la France est aujourd’hui sommée d’ouvrir à la concurrence ses grands barrages hydroélectriques. En octobre 2015, la Commission européenne a adressé aÌ la France une première mise en demeure, puis une seconde le 7 mars 2019 au motif que la législation et la pratique des autorités françaises, qui ont autorisées le renouvellement ou la prolongation de certaines concessions hydroélectriques sans recourir à des procédures d’appel d’offres, seraient contraires au droit européen. Depuis lors, un flou subsiste sur l’avenir de ces concessions.

Les barrages sont un élément central de notre nécessaire transition énergétique. Les barrages hydroélectriques sont la première source d’électricité renouvelable de France, produisent 12 % de notre mix électrique (chiffres RTE) et représentent le seul outil de stockage de masse d’électricité. La filière emploie 25 000 personnes et génère 1,5 milliard d’euros de recettes publiques. L’hydroélectricité représente à elle seule 60 % de l’électricité renouvelable produite en France, et 99 % des capacités de stockage d’électricité dans le monde. Les barrages offrent un moyen de production et de stockage très flexible, ce qui en fait un élément essentiel pour maintenir l’équilibre de notre système électrique en temps réel. Confier au privé cette production, rendrait bien plus complexe et donc coûteux la coordination avec les autres moyens de production. Confier à des acteurs privés ces systèmes de stockage reviendrait à concéder un pouvoir de régulation et un pouvoir de marché extrêmement puissant. À l’équilibre et au développement des énergies renouvelables se substituerait une logique de rentabilité.

Pour rappel, les objectifs quantitatifs de développement des énergies renouvelables et les orientations fixés par la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) sont ambitieux et nécessitent des moyens à la hauteur. Ainsi, d’ici à 2023, l’objectif d’augmenter la capacité de production hydroélectrique de 500 à 750 MW est poursuivie, au même titre que la préservation de la capacité de flexibilité de l’hydroélectricité, “essentielle pour contribuer à la flexibilité du système électrique et faciliter l’intégration de capacités accrues d’énergies renouvelables”. La PPE prévoit également d’engager d’ici 2023 des projets de stockage, sous forme de stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), en vue d’un développement de 1 à 2 GW de capacités entre 2025 et 2030.

Les barrages assurent la préservation de la ressource en eau et la garantie d’impératifs environnementaux. L’eau des barrages hydroélectriques sert à de nombreux usages : irrigation, tourisme, navigation, industrie, refroidissement des centrales nucléaires, etc. Sa gestion doit veiller au respect des milieux aquatiques, ce qui fait d’elle une ressource à la fois stratégique et complexe.

Depuis 30 ans, l’eau de surface disponible a déjà considérablement diminué sous l’effet de l’évaporation induite par le réchauffement climatique, provoquant des tensions. De nombreuses études basées sur les scénarios du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) alertent sur les baisses à venir des débits des cours d’eau et la hausse des températures. La France devra donc affronter des pénuries d’eau importantes et de façon corollaire une augmentation des besoins. Dans ce contexte, laisser la gestion des conflits entre les différents usages à des acteurs privés en concurrence serait irresponsable. Par ailleurs, les ouvrages hydrauliques ont un impact sur les écosystèmes en aval qu’il est nécessaire de limiter. Pour ce faire, il est nécessaire de réaliser des études de long terme aux coûts importants et dans une logique hors marché que seul un acteur public peut assurer.

Les barrages sont des fleurons industriels et un patrimoine national stratégique garants de notre souveraineté énergétique. Si le gouvernement poursuit son souhait d’ouvrir aujourd’hui à la concurrence les 150 barrages hydrauliques français arrivant au terme de leur contrat de concession, l’État se séparera d’un bénéfice net de près de 1,25 milliards d’euros. Aujourd’hui rentabilisés et pourtant financés sur fonds publics, ces ouvrages offrent une véritable rente économique à l’ensemble des acteurs qui les exploitent. Avec l’ouverture à la concurrence se dessine la socialisation des pertes et la privatisation des profits. L’État ne peut faire une nouvelle fois l’erreur de se séparer d’outils stratégiques comme il l’a fait avec ses autoroutes ou ses aéroports.

À notre sens, l’État doit retrouver un rôle planificateur en réalisant des investissements stratégiques pour la transition écologique fortement pourvoyeuse d’emplois et organiser un service public de l’énergie. C’est pourtant l’inverse qui se dessine en séparant l’État de ses outils stratégiques.

La privatisation des barrages générerait de nombreux surcoûts. Le découpage du parc hydraulique entre plusieurs acteurs, potentiellement privés, augmentera nécessairement les coûts de production du fait de plusieurs facteurs : détérioration de la gestion à court terme, augmentation des coûts d’investissement, multiplication des fonctions support, complexification des mécanismes de marché, coût de couverture financière des risques élevés, coûts de transaction, etc.

La privatisation des barrages fait peser des risques sur la sécurité et la sûreté. Les barrages sont des installations industrielles sensibles qui requièrent des investissements, un entretien et une surveillance conséquents. De nombreuses populations sont situées en aval des ouvrages, ce qui en fait des infrastructures critiques et particulièrement dangereuses. Une ouverture à la concurrence de nos barrages impliquerait automatiquement une pression sur les coûts, la dispersion des savoir-faire, avec une perte de capacité à accumuler des données, à réaliser des retours d’expérience, des synthèses, à développer des méthodes, à former des experts, à mener des recherches et des études pointues et de long terme. La concurrence économique favorise automatiquement les objectifs de rentabilité au détriment de la sûreté et de la sécurité.

Pour toutes ces raisons et de façon transpartisane, la représentation nationale s’oppose à la mise en concurrence des barrages qui sont le patrimoine de la nation. En témoigne la proposition de résolution n° 1845 concernant l’avenir du secteur hydroélectrique déposée à l’Assemblée nationale dès 2019. C’est pourquoi nous appelons à placer le patrimoine hydroélectrique français sous le régime protecteur de la quasi-régie. Les barrages ne sont pas seulement un outil de production électrique. C’est également une production stratégique et d’avenir, la gestion d’un bien commun, l’aménagement de nos territoires, une source de revenu pour nos collectivités territoriales, une composante essentielle de nos paysages et de notre sécurité.

L’hydroélectricité est réglementée depuis la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique et dispose que « nul ne peut disposer de l’énergie des marées, des lacs et des cours d’eau […] sans une concession ou une autorisation de l’État » ( article L.511-1 du code de l’énergie). Deux cadres juridiques régissent aujourd’hui les installations hydroélectriques suivant la puissance maximale brute des installations :

– Pour les installations de moins de 4,5 MW, le régime de l’autorisation prévaut. Ces installations nécessitent ainsi l’obtention d’une autorisation environnementale, délivrée par le préfet pour une durée limitée, et dont les règles d’exploitation dépendent des enjeux environnementaux du site concerné.

– Pour les installations de plus de 4,5 MW, le régime des concessions prévaut. Pour les installations entre 4,5 MW et 100 MW, la concession est délivrée par le préfet, alors qu’au-delà de 100 MW, c’est le ministre chargé de l’énergie qui la délivre.

Par ailleurs, la France ne respecte toujours pas ses objectifs de développement des énergies renouvelables fixés par les différents paquets énergie-climat européens pour 2020 et 2030 et transposés dans notre loi relative à la transition énergétique et pour la croissance verte du 17 août 2015. Notre pays pâtit de l’absence d’une stratégie publique claire favorisant un développement clair et harmonieux des énergies renouvelables. Fin 2020, la France affichait seulement 19,1 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie selon le Ministère de la Transition écologique.

Le développement des énergies renouvelables a profité de cette absence de structuration avec des fortunes diverses. Si la filière éolienne française se porte correctement, on ne peut pas en dire autant de la filière solaire. Avec 11,6 TW/h la France ne produit que 2,2 % de son électricité grâce à l’énergie solaire contre 4 % pour la Grande-Bretagne, 7 % pour l’Allemagne et 8 % pour l’Italie. Faute d’un soutien public clair au développement de la filière photovoltaïque française, les acteurs de cette filière s’affaiblissent et disparaissent méthodiquement. Le fabricant de silicium Ferropem a, par exemple, annoncé en mai dernier la suppression de 360 emplois en Savoie et en Isère. En Isère toujours, Photowatt, l’une des rares entreprises françaises produisant des panneaux solaires complets, voit ses 254 salariés et leur savoir-faire également menacés.

Concernant le développement aujourd’hui remis en cause des éoliennes, un tel service public où l’État retrouverait son rôle d’encadrement et de planification territoriale, permettrait l’avènement d’une énergie davantage acceptée par tous. La mise en place de concertations avec l’ensemble des citoyens et les collectivités territoriales accueillantes générerait davantage d’acceptabilité dans l’implantation des installations. Un tel service public des énergies renouvelables serait également garant d’une logique de péréquation tarifaire et territoriale, favorisant ainsi un développement harmonieux et dans une logique de solidarité énergétique. À cet égard, il aurait également pour mission d’accompagner la mise en place de communautés énergétiques locales et citoyennes promouvant l’autoconsommation et le respect des territoires.

Le retard et l’absence de stratégie industrielle claire dans le développement des énergies renouvelables privent aujourd’hui la France d’un outil industriel d’avenir et la condamne à dépendre de technologies étrangères.

L’article premier de cette proposition de loi vise ainsi à modifier le livre V du code l’énergie où sont rassemblées l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires spécifiques aux installations hydroélectriques. Il propose ainsi que l’ensemble des installations hydrauliques aujourd’hui placées sous le régime de concession et dont la puissance excède 4 500 kilowatts ainsi mentionnées à l’article L. 511-5 du code l’énergie, soient placées sous un régime de quasi-régie afin d’en assurer directement la gestion et d’éviter la mise en concurrence de ces derniers. En conséquence, il supprime l’article L. 521-18 du même code l’énergie.

L’article deux de la présente proposition de loi entend également inscrire l’objectif d’organiser un service public des énergies renouvelables au sein du code de l’énergie afin d’organiser la planification du fort développement des énergies renouvelables à venir et de garantir l’indépendance stratégique et industrielle de notre pays.

 

> Voir la proposition de loi

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