Mercredi 22 septembre 2021, le Sénat a adopté, avec modifications, la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à protéger la rémunération des agriculteurs.
La proposition de loi transmise au Sénat
Grégory Besson-Moreau et plusieurs de ses collègues députés, estimant que « pour rééquilibrer les relations commerciales entre les différents maillons de la chaine alimentaire et agro‑alimentaire (…) Il est temps de mettre plus d’authenticité dans la définition d’un prix juste et éthique entre le monde agricole, l’industrie agro‑alimentaire et les acteurs de la grande distribution (GMS) », ont déposé, le 4 mai 2021, une proposition de loi.
Leur proposition, modifiée par l’Assemblée nationale et transmise le 25 juin 2021 au Sénat, tend à renforcer la construction du prix « en marche avant », c’est-à-dire de l’amont vers l’aval, en garantissant que les matières premières agricoles ne fassent pas l’objet de négociations aux différents stades de la chaîne de production (partant du principe que quand elles sont négociées, c’est à la fin l’agriculteur qui écrase ses prix et ses marges).
Elle vise notamment à :
- généraliser le fait de recourir à un contrat écrit lorsqu’un producteur agricole (éleveur laitier, de bovin, etc.) vend un produit à un acheteur agricole, afin de prendre en compte, pour la détermination du prix dans le contrat, différents indicateurs de référence dont celui de coût de production. En outre, le contrat contiendrait désormais une clause de révision automatique des prix, qui permettrait par exemple à l’agriculteur de répercuter les hausses de coûts qu’il affronte, auprès de l’aval ;
- réglementer différemment les négociations commerciales entre l’industriel et la grande distribution. Pour ce faire, il est prévu que l’industriel affiche dans ses conditions générales de vente la part que les matières premières agricoles représentent dans le volume du produit alimentaire et dans son tarif. Différentes options s’ouvrent à lui pour afficher cette part. Il est prévu également que cette part ne soit pas négociable lors de la négociation commerciale afin de « sanctuariser » la matière première agricole.
L’examen en séance publique (21 et 22 septembre 2021)
Au cours de cet examen, le Sénat a simplifié, rééquilibré et élargi le texte initial pour améliorer la rémunération des agriculteurs en s’assurant qu’ils ne soient pas les victimes collatérales des négociations entre industriels et distributeurs. Le Sénat a notamment fortement renforcé l’affichage de l’origine de certains produits comme le cacao, le miel, le vin et la bière.
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Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question qui nous occupe aujourd’hui est cruciale.
Comment accepter que celles et ceux qui nous nourrissent ne soient pas rémunérés à la hauteur de la valeur de leur travail ? Comment accepter que, trop souvent, le prix qui leur est payé ne couvre pas même leurs coûts de production ?
Au-delà de l’injustice et de la détresse humaine que crée cette problématique, qui suffisent en elles-mêmes à dire l’urgence de la situation, c’est toute notre agriculture qui est menacée.
Le revenu des agriculteurs conditionne en effet notre souveraineté alimentaire : comment espérer assurer le renouvellement des générations dans un métier où l’on peine à gagner sa vie ? Comment espérer, dans des fermes sans aucune marge de manœuvre financière, mener à bien la nécessaire et urgente transition agroécologique ? La viabilité et la durabilité de notre agriculture sont une question indissociable de la question du revenu.
L’alerte sur ce sujet est lancée depuis de nombreuses années. Déjà, dans le cadre des débats sur la loi Égalim, nous avions alerté sur le caractère trop peu contraignant de ce texte, ce qui rendait improbable un rééquilibrage des relations commerciales. Aujourd’hui, le constat de l’inefficacité de cette loi est largement partagé, et nous nous retrouvons pour un débat Égalim II, censé pallier les échecs de la première loi.
Néanmoins, ce nouveau texte ne permettra pas non plus de régler cette situation problématique. Il présente certes quelques avancées : le travail sur les marques des distributeurs a été renforcé en commission ; la non-négocialibilité des prix agricoles semble intéressante, de même que l’expérimentation d’un tunnel de prix ou d’un « rémunérascore ».
Le texte présente néanmoins des reculs, notamment sur l’affichage de l’origine des produits. Certes, le droit européen nous contraint, mais nous devons trouver des moyens de garantir la transparence pour le consommateur.
Nous proposerons des amendements pour améliorer le texte sur ces points. Mais tant que les industriels ou les grandes surfaces pourront se tourner vers des produits importés, tant que les marchés ne seront pas régulés, le rapport de force restera en faveur de l’aval, et le problème restera entier.
On voit ici toute la difficulté, voire l’hypocrisie, des politiques publiques, alors que, je le rappelle, le CETA, l’accord économique et commercial global, reste aujourd’hui en vigueur, avec des conséquences directes pour les producteurs.
Si les amendements que nous avons déposés sur ces questions ont été considérés comme des cavaliers législatifs, l’urgence, nous en sommes convaincus, est à la relocalisation et à la régulation. L’agriculture ne peut être soumise sans protection à une concurrence mondialisée. Nous serons attentifs sur la question des clauses miroirs, que vous vous êtes engagée, monsieur le ministre, à porter.
Il faut se poser la question de mécanismes permettant d’agir sur les volumes et de réguler les prix, pour garantir une rémunération minimum aux agriculteurs.
Par ailleurs, il convient également d’agir sur la demande. Si l’on souhaite une agriculture rémunératrice et écologique, il faut s’assurer qu’elle soit accessible à toutes et tous. Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un système à deux vitesses, où les personnes les plus démunies sont contraintes de se tourner vers des produits de faible qualité, à bas coût, et trop souvent importés.
Cela passe par une meilleure répartition des aides PAC, notamment par une rémunération des services environnementaux rendus par l’agriculture, qui n’est malheureusement pas prévue dans le futur Plan national stratégique. Cela suppose aussi de limiter les marges de la grande distribution sur ces produits. Je pense à l’enquête de l’UFC-Que choisir sur la surmarge inacceptable pratiquée pour les produits bio dans la grande distribution.
Cela passe aussi par un soutien à la demande locale pour des produits de qualité et rémunérés équitablement. C’est pourquoi nous défendons avec force dans les textes budgétaires le renforcement des projets alimentaires territoriaux, leviers extraordinaires pour faire le lien entre producteurs et consommateurs, dans le cadre de relations fondées sur la transparence, la sincérité, la conscience et la loyauté. La grande distribution est loin de ces notions !
Il convient également de mettre en œuvre rapidement le chèque alimentaire durable, qui devrait à nos yeux constituer la base d’une réflexion pour la création d’une sécurité sociale de l’alimentation garantissant à la fois un droit à une alimentation de qualité et des revenus décents aux producteurs.
Ces questions dépassent bien sûr le périmètre de cette proposition de loi. Il est toutefois nécessaire de les rappeler, pour poser véritablement la question qui nous occupe aujourd’hui.
Ainsi, le groupe écologiste, malgré de fortes réserves, votera pour cette proposition de loi, qui apportera certaines avancées au monde agricole. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme la présidente de la commission des affaires économiques ironise.)
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