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Le Sénat rejette une proposition de loi « pour un élevage éthique »

LE MONDE – 27/05/2021

Le texte défendu par la sénatrice écologiste Esther Benbassa visait à favoriser l’accès au plein air de tous les animaux d’élevage et limiter les temps de transport, tout en créant un fonds de soutien aux agriculteurs.

Ils s’étaient engagés en même temps à mettre fin à cette pratique décriée : en 2019, le ministre de l’agriculture français d’alors, Didier Guillaume, et son homologue allemande, Julia Klöckner, promettaient d’interdire l’élimination des poussins mâles par gazage ou broyage d’ici la fin 2021, une pratique qui concerne plus de 45 millions de poussins en France chaque année. Dix-huit mois plus tard, le Parlement allemand, le Bundestag, a voté, le 21 mai, un projet de loi validant cette interdiction. Mais en France, la mesure ne figure dans aucun texte législatif ou réglementaire, et les représentants de la filière ont indiqué mi-mai que les délais prévus seraient difficiles à tenir.

L’interdiction a néanmoins été discutée au Sénat, mercredi 26 mai, dans le cadre de l’examen d’une proposition de loi « pour un élevage éthique » portée par l’écologiste Esther Benbassa (Paris) et cosignée par 33 autres sénateurs représentant six groupes de la chambre haute. Sans surprise, le texte, qui avait été rejeté en commission des affaires économiques le 12 mai au motif qu’il risquerait d’introduire « des distorsions de concurrence au détriment de l’agriculture française », a été repoussé par les sénateurs.

Accès au plein air d’ici à 2040

Volontairement raccourci à quatre articles – une version initiale présentée en février 2020 en comportait quatorze –, le texte avait été resserré autour de quelques mesures phares afin de pouvoir être débattu dans le cadre d’une niche parlementaire des écologistes. Outre l’interdiction du broyage et du gazage des poussins mâles et des canetons femelles, il proposait de généraliser, d’ici à 2040, l’accès au plein air pour tous les animaux d’élevage, de limiter les temps de transport des animaux sur le territoire national à moins de 8 heures (et 4 heures pour les volailles) et de créer un fonds de soutien pour accompagner les éleveurs dans cette transition.

« On a voulu défendre une vision qui conjugue le bien-être animal avec le bien-être des agriculteurs. (…) Nous ne sommes pas dans une écologie punitive », avait soutenu Mme Benbassa, lors d’une présentation à la presse de son texte le 20 mai. Avec les autres sénateurs impliqués dans la rédaction du texte, notamment les écologistes Joël Labbé (Morbihan) et Daniel Salmon (Ille-et-Villaine), Mme Benbassa a revendiqué un texte « d’équilibre », travaillé en concertation avec les filières et les associations. « L’objectif de cette loi est de retisser des liens entre les éleveurs et les attentes de la société », avait plaidé M. Salmon.

Mais le représentant du gouvernement présent pour l’examen du texte en séance, Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, y a vu « une position radicale, qui mettrait fin à l’élevage français ». Un à un, tous les articles composant la proposition de loi ont été rejetés. « Sur le papier, tout est très simple. Mais sur le terrain, ces mesures ne sont pas viables », a fustigé la sénatrice centriste Françoise Férat (Marne). « Nous partageons l’objectif d’un élevage plus respectueux des animaux et qui permette une meilleure rémunération des éleveurs mais la PPL [proposition de projet de loi] n’est pas opérationnelle et ne prend pas en compte la réalité », a renchéri Arnaud Bazin (Les Républicains, Val-d’Oise).

Principal argument avancé par les opposants à ce texte : le risque de distorsion de concurrence. Alain Griset notamment a argué que la France risquerait d’être « rapidement confrontée à une augmentation de produits importés à moindre coût venant de pays qui ne respectent pas nos principes ». Une critique infondée, selon Daniel Salmon, pour qui « on est toujours débordés par [un pays] moins-disant, il faut trouver les moyens de lutter contre cette concurrence déloyale ».

« Conservatisme »

Constatant l’absence de soutien à ce texte, Esther Benbassa a dit « regretter que notre assemblée soit enfermée dans son conservatisme, (…) si loin des attentes de la société, des jeunes et des consommateurs ». Daniel Salmon a lui déploré « une occasion manquée de faire avancer la condition animale » : « Nous avons essayé de faire une loi équilibrée, nous ne sommes pas du tout dans l’agribashing. Pour le plein air, nous donnions du temps, jusqu’en 2040 : en dix-neuf ans, on peut faire évoluer un modèle, a insisté le sénateur d’Ille-et-Villaine. Au lieu de sauver l’élevage, vous êtes en train de condamner l’élevage, qui ne pourra pas se défendre face à la viande de laboratoire. »

Le Sénat est par ailleurs sous pression d’inscrire à son agenda un autre texte sur la condition animale, la proposition de loi visant à lutter contre les maltraitances animales, qui porte sur les animaux sauvages dans les cirques et delphinariums et les animaux de compagnie, qui avait été adoptée par l’Assemblée nationale le 29 janvier. Plusieurs sénateurs ont assuré qu’ils ne faisaient pas obstruction à ce texte, mais qu’il revenait au groupe La République en marche ou au gouvernement d’inscrire le texte à l’ordre du jour sénatorial.

Dimanche 23 mai, trente parlementaires et une quarantaine d’ONG ont publié dans le Journal du dimanche une lettre ouverte demandant au gouvernement « d’agir » pour permettre au texte de poursuivre son parcours parlementaire. Mercredi, devant les sénateurs, le ministre Alain Griset s’est engagé à ce que ce texte soit « à l’agenda de vos travaux d’ici la fin de l’année ».

Pour Agathe Gignoux, de l’association Compassion in World Farming (CIWF) France, « le gouvernement fait de grands discours sur le bien-être animal, mais ne met pas de moyens sur la table ». La chargée d’affaires publiques de CIWF regrette notamment que le gouvernement n’ait pas retenu de mesures de bien-être animal dans les nouvelles dispositions de la Politique agricole commune (PAC), qui entreront en vigueur en 2023, et que l’exécutif tarde à concrétiser ses annonces sur plusieurs dossiers, comme le broyage et gazage des poussins mâles. Pour Mme Gignoux, « l’idée de légiférer n’est pas d’imposer des contraintes mais de fixer un cap, d’avoir un minimum d’anticipation des besoins et de permettre aux filières de s’organiser ».

Secrétaire général du Comité national pour la promotion de l’œuf, Maxime Chaumet explique que l’objectif d’arriver, début 2022, à 100 % de poules sélectionnées avant l’éclosion de l’oeuf (ovosexage) reste la « priorité » de la filière, mais « le délai est compliqué à tenir car les couvoirs doivent faire de gros investissements, à hauteur de 10 millions d’euros » et il faut ensuite répartir le surcoût pour chaque œuf issu de ces techniques. « Les éleveurs ne freinent pas mais ils veulent avoir l’assurance que s’ils achètent des poulettes plus cher, cela sera répercuté en aval », a précisé le représentant de l’interprofession, qui espère des avancées au niveau européen sur ces objectifs.

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