PROPOSITION DE LOI
visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France,
Enregistrée à la Présidence du Sénat le 12 octobre 2020
PRÉSENTÉE PAR
MM. Patrick CHAIZE, Guillaume CHEVROLLIER, Jean-Michel HOULLEGATTE, Hervé MAUREY, Jean-François LONGEOT, Didier MANDELLI, Joël BIGOT, Ronan DANTEC, Guillaume GONTARD, Mme Nadia SOLLOGOUB, M. Patrick KANNER, Mme Catherine DEROCHE, MM. Laurent LAFON, François-Noël BUFFET, Jean-François RAPIN, Philippe BAS, Jean-Pierre SUEUR, Maurice ANTISTE, Jean-Michel ARNAUD, Mme Viviane ARTIGALAS, MM. Jérôme BASCHER, Arnaud BAZIN, Bruno BELIN, Mme Catherine BELRHITI, M. Guy BENARROCHE, Mmes Esther BENBASSA, Annick BILLON, MM. Jean BIZET, Bernard BONNE, Mmes Nicole BONNEFOY, Alexandra BORCHIO FONTIMP, MM. Gilbert BOUCHET, Michel CANEVET, Alain CHATILLON, Olivier CIGOLOTTI, Édouard COURTIAL, Michel DAGBERT, Mme Laure DARCOS, MM. Jean-Pierre DECOOL, Vincent DELAHAYE, Mme Sonia de LA PROVÔTÉ, M. Bernard DELCROS, Mme Monique de MARCO, MM. Stéphane DEMILLY, Louis-Jean de NICOLAŸ, Yves DÉTRAIGNE, Gilbert-Luc DEVINAZ, Mmes Nassimah DINDAR, Élisabeth DOINEAU, MM. Thomas DOSSUS, Alain DUFFOURG, Mmes Dominique ESTROSI SASSONE, Jacqueline EUSTACHE-BRINIO, MM. Jacques FERNIQUE, Bernard FOURNIER, Mmes Françoise GATEL, Frédérique GERBAUD, MM. Hervé GILLÉ, Daniel GREMILLET, Mme Laurence HARRIBEY, MM. Olivier HENNO, Jean-Raymond HUGONET, Mmes Corinne IMBERT, Annick JACQUEMET, Victoire JASMIN, M. Patrice JOLY, Mme Gisèle JOURDA, MM. Éric KERROUCHE, Joël LABBÉ, Marc LAMÉNIE, Mme Florence LASSARADE, M. Daniel LAURENT, Mme Christine LAVARDE, MM. Antoine LEFÈVRE, Ronan LE GLEUT, Jacques LE NAY, Henri LEROY, Pierre-Antoine LEVI, Pierre LOUAULT, Didier MARIE, Mme Marie MERCIER, M. Serge MÉRILLOU, Mme Michelle MEUNIER, M. Sébastien MEURANT, Mme Brigitte MICOULEAU, MM. Jean-Marie MIZZON, Jean-Pierre MOGA, Philippe MOUILLER, Mmes Laurence MULLER-BRONN, Sylviane NOËL, MM. Olivier PACCAUD, Cyril PELLEVAT, Cédric PERRIN, Stéphane PIEDNOIR, Sebastien PLA, Mmes Raymonde PONCET MONGE, Frédérique PUISSAT, M. Damien REGNARD, Mme Marie-Pierre RICHER, M. Olivier RIETMANN, Mme Sylvie ROBERT, MM. Daniel SALMON, Hugues SAURY, René-Paul SAVARY, Michel SAVIN, Vincent SEGOUIN, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, MM. Jean-Claude TISSOT, Paul Toussaint PARIGI, Cédric VIAL, Jean Pierre VOGEL, Stéphane SAUTAREL, Christophe-André FRASSA, Mme Marta de CIDRAC et M. Christian CAMBON, sénatrices et Sénateurs
(Envoyée à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Grande absente du débat public jusqu’à ce jour, la question de l’impact environnemental du numérique se pose aujourd’hui avec la plus grande acuité.
À l’heure où toutes les politiques publiques doivent se donner les moyens d’atteindre les objectifs climatiques fixés par l’Accord de Paris, il est urgent de se pencher sur la pollution engendrée par ce secteur du numérique, dont la croissance explose de manière exponentielle. La consommation des données mobiles 4G augmente en effet (de 30 % d’année en année), tout comme l’équipement en terminaux (93 % des Français possédaient un téléphone mobile en 2017).
La hausse de ces consommations induit tout d’abord une tension sur les ressources. Elle se traduit en effet par l’utilisation d’une quantité croissante de métaux, encore aujourd’hui très peu recyclés. Leur extraction et leur raffinage nécessitent par ailleurs de grandes quantités d’eau et d’énergie.
Par ailleurs, comme le montrent les conclusions des travaux de la mission d’information relative à l’empreinte environnementale du numérique en France, mise en place par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat en décembre 2019, le numérique est une source importante d’émissions de gaz à effet de serre : en 2019, le numérique a émis 15 millions de tonnes équivalent carbone, soit 2 % du total des émissions de la France, induisant un coût collectif d’un milliard d’euros. Elles pointent aussi l’inexorable essor de ce poids, si rien n’est fait pour enrayer cette dynamique : en 2040, le numérique pourrait représenter 7 % des émissions de gaz à effet de serre de la France pour un coût collectif de 12 milliards d’euros, si aucune politique publique de sobriété numérique n’est déployée.
Principaux responsables de cette empreinte, les terminaux numériques1(*) engendrent 81 % des impacts environnementaux du secteur en France, une proportion bien plus élevée que la moyenne mondiale. La fabrication de ces appareils représente en outre 70 % de l’empreinte carbone totale du numérique français. La limitation de l’importation et du renouvellement des terminaux est ainsi le principal levier d’action qui permettra d’atténuer l’empreinte carbone du secteur. Les centres informatiques et les réseaux, respectivement responsables de 14 % et de 5 % des émissions du secteur doivent également voir leur coût environnemental maîtrisé.
Si le numérique permet des gains environnementaux indéniables, comme par exemple dans le domaine du logement avec le développement des bâtiments intelligents, il est néanmoins indispensable que ces gains ne soient pas annulés par ses impacts directs et quantifiables en termes d’émissions de gaz à effet de serre, d’utilisation des ressources abiotiques, de consommation d’énergie et d’utilisation d’eau douce.
Or, ces impacts constituent encore aujourd’hui un « impensé », un angle mort de nos politiques publiques. Les utilisateurs du numérique – particuliers, entreprises, administrations – ne sont pas assez sensibilisés à leur impact sur l’environnement et les politiques numériques mises en oeuvre n’adoptent encore que trop timidement ce regard, et ne font pas l’objet d’une évaluation systématique à l’aune de nos objectifs climatiques.
L’enjeu climatique se double en outre d’un enjeu économique : en passant du tout-jetable – alimenté par des imports qui grèvent la balance commerciale du pays – à un modèle circulaire – s’appuyant sur un écosystème industriel capable de proposer des terminaux reconditionnés et d’offrir des solutions de réparation – les politiques publiques peuvent favoriser la création durable d’emplois non délocalisables, et implantés dans les territoires.
La présente proposition de loi reprend des propositions du rapport d’information « Pour une transition numérique écologique »2(*) de la mission d’information relative à l’empreinte environnementale du numérique3(*), adopté par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable le 24 juin 2020. Cette mission était présidée par Patrick CHAIZE et rapportée par Guillaume CHEVROLLIER et Jean-Michel HOULLEGATTE.
Ce rapport d’information formule 25 propositions, structurées en 4 volets visant à faire prendre conscience aux utilisateurs du numérique de leur impact environnemental, limiter le renouvellement des terminaux, faire émerger des usages écologiquement vertueux et promouvoir des centres de données et des réseaux moins énergivores.
Dès lors, la présente proposition de loi vise à orienter le comportement de tous les acteurs du numérique, qu’il s’agisse des consommateurs, des professionnels du secteur ou encore des acteurs publics, afin de garantir le développement en France d’un numérique sobre, responsable et écologiquement vertueux.
Le chapitre Ier de la proposition de loi comporte plusieurs dispositions visant à faire prendre conscience aux utilisateurs du numérique de son impact environnemental.
L’article 1er inscrit la sobriété numérique comme un des thèmes de la formation à l’utilisation responsable des outils numériques à l’école.
L’article 2 conditionne la diplomation des ingénieurs en informatique à l’obtention d’une attestation de compétences acquises en écoconception logicielle.
L’article 3 propose de créer un « Observatoire de recherche des impacts environnementaux du numérique » placé auprès de l’Ademe pour analyser et quantifier les impacts directs et indirects du numérique sur l’environnement, ainsi que les gains potentiels apportés par le numérique à la transition écologique et solidaire. Il analyserait en particulier les impacts environnementaux induits par le déploiement de technologies émergentes et serait notamment en charge de réaliser une étude des impacts environnementaux directs et indirects associés au déploiement et au fonctionnement des réseaux de communications électroniques de nouvelle génération.
L’article 4 propose d’inscrire l’impact environnemental du numérique dans le bilan RSE des entreprises.
L’article 5 vise à créer un crédit d’impôt à la numérisation durable des petites et moyennes entreprises. Ce crédit d’impôt permettrait de couvrir la moitié des dépenses engagées destinées à l’acquisition d’équipements numériques reconditionnés ou à la réalisation d’études d’impact environnemental des services numériques.
Le chapitre II comporte plusieurs dispositions permettant de limiter le renouvellement des terminaux, principaux responsables de l’empreinte carbone du numérique.
L’article 6 tend à rendre le dispositif qui définit et sanctionne l’obsolescence programmée plus dissuasif, en inversant, pour les équipements numériques, la « charge de la preuve ». Il incomberait désormais au producteur – et non plus au consommateur – de prouver que la réduction de la durée de vie du terminal n’est pas délibérée et qu’elle découle d’éléments objectifs étrangers à toute stratégie d’augmentation du taux de remplacement.
L’article 7 tend à mieux lutter contre l’obsolescence logicielle en intégrant l’obsolescence logicielle dans la définition donnée à l’obsolescence programmée par l’article L. 441-2 du code de la consommation.
L’article 8 impose au vendeur de biens comportant des éléments numériques de dissocier les mises à jour de sécurité des autres mises à jour, afin de permettre au consommateur de n’installer que les mises à jour de sécurité sans entrainer un défaut de conformité du bien.
L’article 9 tend à augmenter de deux à cinq ans la durée minimale pendant laquelle le consommateur doit pouvoir recevoir des mises à jour nécessaires au maintien de la conformité de ses biens.
L’article 10 tend à permettre à l’utilisateur ayant installé une mise à jour de rétablir les versions antérieures des logiciels fournis lors de l’achat du bien.
L’article 11 fait passer de deux à cinq ans la durée de la garantie légale de conformité pour les équipements numériques.
L’article 12 prévoit que les objectifs de recyclage, de réemploi et de réparation fixés par les cahiers des charges des éco-organismes de la filière DEEE soient déclinés pour certaines catégories d’équipements numériques (smartphones, ordinateurs, téléviseurs, etc.).
L’article 13 tend à imposer la prise en compte de critères de durabilité des produits dans les achats publics de certains produits numériques, sur la base notamment des critères de l’indice de réparabilité, obligatoire au 1er janvier 2021, puis de l’indice de durabilité à partir du 1er janvier 2024.
L’article 14 propose de réduire le taux de TVA sur la réparation de terminaux et l’acquisition d’objets électroniques reconditionnés pour limiter les achats neufs.
Le chapitre III de la présente proposition de loi vise à promouvoir le développement d’usages du numérique écologiquement vertueux.
L’article 15 interdit, à titre préventif, les forfaits mobiles avec un accès aux données illimitées et rend obligatoire la tarification au moins pour partie proportionnelle au volume de données fixé par le forfait. Cette mesure vise à limiter la croissance de la consommation de données mobiles, qui devrait induire, dans les années à venir et dans le contexte du déploiement de la 5G, une augmentation des consommations des réseaux. Elle permettrait d’inciter les consommateurs à privilégier une connexion Wifi via les réseaux fixes, moins énergivores.
L’article 16 propose de rendre obligatoire l’écoconception des sites web et services en ligne publics et des entreprises dont le chiffre d’affaires excède un seuil défini par le décret en Conseil d’État. Il créé un pouvoir de sanction associé de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep).
L’article 17 prévoit que la déclaration RSE des entreprises exerçant une activité de fournisseur de contenus intègre des informations relatives aux stratégies et techniques déployées dans la conception de ces contenus afin de capter l’attention des utilisateurs et d’accroître le temps passé par eux sur ces services.
L’article 18 propose d’obliger les services de médias audiovisuels à la demande à adapter la qualité de la vidéo téléchargée à la résolution maximale du terminal, afin d’éviter toute consommation énergétique inutile induite par le chargement de vidéos de trop haute qualité.
L’article 19 vise à interdire le lancement automatique des vidéos. Par dérogation, sur les services de médias audiovisuels à la demande ou sur les réseaux sociaux, le lancement automatique des vidéos pourrait être autorisé, sous réserve que cette fonctionnalité soit désactivée par défaut. La lecture automatique des vidéos, particulièrement consommatrice d’énergie, est une source évitable et souvent indésirable de consommation de données, qui pénalise également l’accès aux services de communication en ligne des personnes bénéficiant d’une connexion limitée.
L’article 20 tend à interdire la pratique du défilement infini des services de communication au public en ligne, une pratique consommatrice de données et soulevant de nombreuses questions en termes de captation de l’attention des utilisateurs.
Enfin, afin de limiter dans le long terme l’impact environnemental du secteur, le chapitre IV comporte des dispositions permettant d’aller vers des centres de données et réseaux moins énergivores.
L’article 21 tend à ce que les centres de données souscrivent à des engagements pluriannuels contraignants de réduction de leurs impacts environnementaux. Leur respect serait contrôlé par l’Arcep.
L’article 22 conditionne l’avantage fiscal dont bénéficient les centres de données sur la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) à des critères de performance environnementale afin de favoriser la réduction de leur impact environnemental.
L’article 23 tend à ce que les opérateurs de réseaux souscrivent à des engagements pluriannuels contraignants de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre et de leurs consommations énergétiques. Leur respect serait contrôlé par l’Arcep. Cette disposition offrirait un cadre de régulation pertinent, à l’heure où les consommations et émissions des réseaux pourraient augmenter avec le déploiement de la 5G.
L’article 24 tend à ajouter comme motif de refus d’attribution de fréquences radioélectriques par l’Arcep la préservation de l’environnement, afin d’intégrer les enjeux environnementaux dans ces attributions.
* 1 Les terminaux constituent l’ensemble des équipements numériques directement utilisés par les consommateurs (smartphones, ordinateurs portables, ordinateurs fixes, imprimantes, écrans d’ordinateur, tablettes, téléviseurs, box, consoles de jeu et de salon, consoles de jeu portables, casques de réalité virtuelle, enceintes connectées, écrans publicitaires et modules de connexion de l’Internet des objets…).
* 2 Rapport d’information n° 555 (2019-2020), de MM. Guillaume Chevrollier et Jean-Michel Houllegatte, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, 24 juin 2020.
* 3 M. Patrick Chaize, président ; MM. Guillaume Chevrollier, Jean-Michel Houllegatte, rapporteurs ; MM. Joël Bigot, Jean-Marc Boyer, Mme Marta de Cidrac, M. Ronan Dantec, Mme Martine Filleul, MM. Alain Fouché, Guillaume Gontard, Jean-François Longeot, Frédéric Marchand, Mmes Françoise Ramond, Nadia Sollogoub, membres de la mission d’information.
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