LIBÉRATION – 28/10/2020 – Par Coralie Schaub
Dans la nuit de mardi à mercredi, le Sénat a adopté le projet de loi remettant en cause l’interdiction des néonicotinoïdes. Le sénateur écologiste Joël Labbé s’alarme aussi du vote d’un amendement LR qui rendrait difficile l’interdiction de tous les autres pesticides, même toxiques.
Double victoire pour le lobby des pesticides. Dans la nuit de mardi à mercredi, le Sénat a adopté le projet de loi remettant en cause l’interdiction des pesticides néonicotinoïdes dits «tueurs d’abeilles» – mais aussi extrêmement dangereux pour l’ensemble de la biodiversité et la santé humaine –, qui était pourtant prévue par la loi biodiversité de 2016. Pire, les sénateurs ont aussi voté un amendement LR déposé à la dernière minute, actant dans la loi le principe «pas d’interdiction de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques sans alternative dans des conditions pragmatiques». Ce qui, de facto, conforterait le modèle agrochimique actuel et entraverait la transition agricole vers un modèle plus respectueux de l’environnement et de la santé. Entretien avec le sénateur écologiste du Morbihan, Joël Labbé.
Il y a eu un coup de théâtre la nuit dernière, avec l’adoption – puis le rejet après un second vote – de votre amendement de suppression de l’article 1, le cœur du projet de loi, qui autorise à titre dérogatoire les producteurs de betteraves à sucre à utiliser jusqu’en 2023 des semences traitées avec des néonicotinoïdes. Que s’est-il passé ?
C’était un incident de vote. Les centristes se sont trompés, ils ont voté pour l’amendement de suppression de l’article 1. On s’est donc retrouvés avec 159 voix pour et 158 contre, donc l’article était supprimé et la loi tombait. Le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, a demandé un nouveau vote. Et le projet de loi a finalement été adopté par 184 voix pour, 128 contre et 28 abstentions. Ce qui est relativement serré, étant donné que le Sénat est extrêmement conservateur.
La rapporteure LR du texte, la présidente de la commission des affaires économiques, Sophie Primas, a déposé deux amendements qui ont été adoptés…
Oui. Nous avons voté le premier à l’unanimité, contre l’avis du gouvernement. Cet amendement vise à permettre d’interdire l’importation de denrées alimentaires qui ne respectent pas les normes minimales requises sur le marché européen. C’est une sacrée avancée, demandée par les agriculteurs mais aussi par la société civile. Il sera intéressant de voir ce que deviendra cet amendement. En tout cas, le débat est lancé.
> À lire aussi : Paul François vainqueur face à Monsanto : «Quelle valeur a ma santé ? Celle de ma famille ?»
Quid de l’autre amendement LR, qui entend acter dans la loi le principe «pas d’interdiction sans alternative, dans des conditions pragmatiques» ?
C’est la porte grande ouverte à toutes les possibilités pour l’agrochimie, pour tous les pesticides, au-delà des seuls néonicotinoïdes. On sait qu’au fil du temps, ces produits abominables, qui sont pour la plupart classés cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR), sont voués à être interdits les uns après les autres. Or, avec un amendement comme celui-là, ils ne pourront plus être interdits. Car il faudra démontrer, avant d’interdire un produit, même s’il est très toxique, qu’il existe des alternatives.
Or, les rédacteurs de cet amendement entendent par «alternatives» le fait de remplacer un produit ou une substance par un autre. Evidemment, ce sera difficile voire impossible pour des produits aussi redoutables que les néonicotinoïdes ou le désherbant glyphosate, qui sont systémiques. L’alternative viable réside dans un changement de modèle agricole. Il s’agit de modifier l’ensemble des pratiques afin de pouvoir se passer des pesticides de synthèse. Cet amendement est donc redoutable, car il ferme la porte à toutes les productions bio comme alternatives, il empêche de changer de modèle et conforte le modèle agrochimique.
Il est impensable que LR ait osé déposer un tel amendement. C’est complètement à contre-courant de l’histoire, cela montre qu’ils veulent absolument défendre le modèle agrochimique. On n’en revient pas.
Vous ne vous y attendiez pas ?
Pas du tout. C’est un amendement de séance qui a été déposé mardi par Sophie Primas. Une stratégie visant à faire en sorte que nous n’ayons pas le temps de trouver de parade. Ce qui s’est passé la nuit dernière est grave. Une très mauvaise surprise. Déjà, au sujet des néonicotinoïdes, on était sidérés d’en arriver là, qu’ils soient réautorisés malgré de vrais débats de fond.
> À lire aussi : Politique agricole commune : «Il faut tout réécrire !»
Que comptez-vous faire, désormais ?
Députés et sénateurs vont devoir se mettre d’accord sur un texte commun en commission mixte paritaire (CMP). J’espère que cet amendement redoutable qui vient d’être voté au Sénat ne passera pas en CMP.
Par ailleurs, l’opposition sénatoriale de gauche qui conteste le texte va saisir le Conseil constitutionnel, ce qui nécessitera soixante signatures de sénateurs minimum. Tout comme va le faire l’opposition à l’Assemblée nationale, là aussi avec soixante signatures de députés, dont celle des Deux-Sèvres et présidente du mouvement Génération Ecologie, Delphine Batho. Nous verrons comment harmoniser les deux procédures afin de les rendre plus efficaces.
L’histoire n’est pas du tout terminée. Car ce projet de loi n’est pas en conformité avec l’article 3 de la charte de l’environnement. Elle a valeur constitutionnelle et énonce que toute personne doit, dans les conditions prévues par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement. D’autre part, dans la loi biodiversité de 2016, nous avions voté le principe de non-régression en droit de l’environnement. Ainsi la loi ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante en matière d’environnement, compte tenu des connaissances techniques et scientifiques du moment.