PROPOSITION DE LOI
pour un élevage éthique, socialement juste et soucieux du bien-être animal
Enregistrée à la Présidence du Sénat le 21 janvier 2020
PRÉSENTÉE PAR
Mmes Esther BENBASSA, Cathy APOURCEAU-POLY, Éliane ASSASSI, Martine BERTHET, MM. Éric BOCQUET, Martial BOURQUIN, Olivier CADIC, Mmes Laurence COHEN, Cécile CUKIERMAN, MM. Roland COURTEAU, Ronan DANTEC, Gilbert-Luc DEVINAZ, Fabien GAY, Guillaume GONTARD, Mmes Michelle GRÉAUME, Annie GUILLEMOT, Sophie JOISSAINS, M. Bernard JOMIER, Mme Gisèle JOURDA, MM. Joël LABBÉ, Pierre LAURENT, Mme Marie-Noëlle LIENEMANN, MM. Rachel MAZUIR, Pierre OUZOULIAS, Mmes Angèle PRÉVILLE, Christine PRUNAUD, Laurence ROSSIGNOL, M. Pascal SAVOLDELLI, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN et M. André VALLINI, sénateurs.
(Envoyée à la commission des affaires économiques, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Par une loi publiée au Journal officiel le 17 février 2015, la France a fait un grand pas vers la reconnaissance de la personnalité juridique de l’animal. Elle a mis fin à une vision archaïque de celui-ci – jusqu’alors considéré comme un bien meuble – en lui octroyant la qualité « d’être vivant doué de sensibilité ».
Pourtant, malgré cet apport au sein de notre code civil, la condition animale ne semble pas évoluer davantage.
En France, chaque année, plus d’un milliard d’animaux sont abattus. 80 % proviennent d’élevages industriels.
Cette industrie agroalimentaire ne respecte ni les agriculteurs, ni les animaux, ni a fortiori, les consommateurs.
Rappelons que les agriculteurs pâtissent grandement de la concurrence déloyale que leur imposent les abattoirs de masse. Outre des conditions de travail éprouvantes et aliénantes, le risque de suicide est plus élevé de 12,6 % chez les agriculteurs par rapport aux autres catégories socioprofessionnelles.
Les animaux, eux, subissent dans les « fermes-usines » des conditions d’élevage et d’abattage parfaitement intolérables, qui les confinent dans des bâtiments fermés et sans lumière, dans des cages, les forçant à une promiscuité extrême. 120 000 poulets à Langoëlan (Morbihan). 1 000 vaches à Drucat-le-Plessiel (Somme), 23 000 porcs aux Sables-d’Olonne (Vendée), 1 200 taurillons à Coussay-les-Bois (Vienne)… Les exemples dans ce sens se multiplient et asphyxient les filières locales aux pratiques plus éthiques : en trente ans, le nombre d’éleveurs de porcs et de volailles a baissé de 57 % ; les éleveurs de chèvres ou de brebis ont vu leurs effectifs diminuer de 48 % et les éleveurs de vaches laitières de plus de 70 %.
Force est de constater que le modèle industriel de l’élevage est devenu hégémonique, alors même qu’il engendre des troubles comportementaux extrêmes chez les animaux (notamment des cas de caudophagie chez les porcs…), et une viande de qualité moindre, puisque de telles conditions d’élevage favorisent l’antibiorésistance et l’émergence de nouveaux agents pathogènes extrêmement dangereux pour la santé des consommateurs.
Il est ainsi nécessaire que nous accompagnions les agriculteurs dans la transition vers un élevage et un abattage éthiques, particulièrement ceux qui dépendent aujourd’hui de l’élevage intensif, afin de leur assurer une reconversion professionnelle.
Le modèle agricole que nous souhaitons promouvoir est un modèle d’agriculture paysanne, proche du local et respectueux de la nature. Une agriculture qui soit soucieuse du bien-être de l’animal mais aussi de son paysan. Un modèle qui favorise les circuits courts, subventionne l’abattage de proximité et limite les recours aux énergies fossiles et aux pesticides. Un modèle qui souhaite développer une agriculture de qualité par une meilleure transparence pour les consommateurs et une plus grande prise en compte du respect des cycles naturels de l’animal.
L’opinion publique, informée par des associations de défense des droits des animaux mais aussi par des syndicats agricoles (Confédération paysanne…), se prononce pour une lutte contre ces pratiques délétères. En 2016, dans un sondage YouGov pour CIWF, en France, 87 % des personnes interrogées se disaient opposées à l’élevage intensif. Les initiatives citoyennes se multiplient désormais en la matière : une récente pétition lancée par L214 contre les « fermes-usines » a déjà recueilli plus de 80 000 signatures. Le 12 septembre 2019, l’initiative citoyenne européenne visant à interdire l’élevage en cage dépassait le million de signatures, exigé par le processus défini par les instances européennes.
Les lobbies de l’élevage intensif continuent, quant à eux, à résister face à cette vague citoyenne.
L’urgence éthique, climatique, environnementale, sanitaire et sociale impose d’engager notre pays dans une transition agricole et alimentaire. Nous devons nous orienter rapidement vers un élevage de proximité plus durable, sain, respectueux de l’environnement, des consommateurs ainsi que des animaux. Toutes les pratiques d’abattage devraient elles aussi répondre aux attentes de nos concitoyens en matière de bien-être animal.
La présente proposition de loi a ainsi pour objet la mise en place d’un élevage éthique, socialement juste et soucieux du bien-être animal.
L’article 1er de la proposition de loi demande la généralisation de l’étourdissement dans les abattoirs et ce, avant la mise à mort de l’animal, afin de lui éviter toute souffrance inutile. L’étourdissement se ferait ainsi avant la saignée dans le cadre de l’abattage « classique ». Dans le cas de l’abattage relevant de régimes dérogatoires, l’étourdissement serait préalable dès lors qu’une méthode réversible existe, à défaut, un étourdissement immédiatement après la saignée devra être réalisé.
Il est également proposé dans ce premier article l’interdiction de la mise à mort industrielle d’un animal qui en est à plus des deux tiers de sa période de gestation.
L’article 2 propose la mise en place d’un conseil interne du bien-être animal auprès de chaque établissement d’abattage, dans lequel est mis à mort annuellement un nombre d’animaux supérieur à un seuil fixé par décret. Ce conseil réunira des acteurs impliqués, notamment des éleveurs, un vétérinaire, des représentants d’associations de protection animale et de consommateurs, sous le pilotage du responsable protection animale de l’établissement.
L’article 3 prévoit la mise en place d’un étiquetage « animal abattu au titre d’un régime dérogatoire » sur la viande réformée ou disqualifiée. Il s’agit de la viande issue de parties non consacrées (notamment les quartiers arrière d’animaux abattus puisque le rite casher ne consacre que l’avant), ou de la viande réformée après inspection (par exemple quand les poumons s’avèrent perforés, la viande n’est finalement pas consacrée et labellisée). Cette viande est réintroduite pour des raisons économiques dans la filière conventionnelle et mise sur le marché. Elle devrait donc être traçable (via un étiquetage) pour que les consommateurs soient informés et libres de choisir une viande issue ou non d’un abattoir où l’étourdissement est la règle.
L’article 4 propose de réduire de quatre à deux ans l’expérimentation sur les abattoirs mobiles prévue à l’article 73 de la loi EGALIM. Le transport vers l’abattoir est souvent source de stress pour l’animal et de contraintes pour son éleveur. Ce dispositif a fait ses preuves à l’étranger, en Allemagne et en Hongrie notamment et nécessiterait une généralisation rapide.
L’article 5 prévoit le respect de l’annexe I du règlement européen (CE) n° 1/2005 du 22 décembre 2004, qui met en place un certain nombre de normes à respecter en matière de transport d’animaux à visée industrielle.
L’article 6 instaure la limitation de la durée de transport. Il prévoit également l’interdiction du transport des femelles gestantes au-delà des deux tiers de la période de gestation.
L’article 7 interdit plusieurs pratiques cruelles sur les porcs en élevage, actuellement courantes dans nos abattoirs : la caudectomie, la castration à vif et l’étourdissement au dioxyde de carbone.
Les articles 8 et 9 instaurent diverses dispositions venant améliorer le traitement accordé aux volailles dans les abattoirs, en interdisant notamment le broyage des poussins et des canetons, ainsi que l’étourdissement des volailles par électronarcose.
L’article 10 prévoit la fin de l’élevage en cage des lapins. Les cages grillagées sont en effet une source avérée de stress, d’inconfort permanent, de blessures et d’obstacles à l’expression du comportement naturel de ces animaux.
L’article 11 prévoit l’interdiction de toute nouvelle extension et de toute construction nouvelle ou réaménagée d’élevage n’offrant pas d’accès au plein air aux animaux, ainsi que la fermeture de telles structures déjà existantes.
L’article 12 propose un moratoire sur l’élevage intensif avec interdiction définitive au 31 décembre 2025.
Enfin, les articles 13 et 14 comportent des dispositions diverses de mise en application de la présente proposition de loi.
Proposition de loi pour un élevage éthique, socialement juste et soucieux du bien-être animal
TITRE Ier
Pour un abattage éthique et transparent
Article 1er
Après le premier alinéa de l’article L. 214-3 du code rural et de la pêche maritime, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« Tout animal abattu dans un établissement d’abattage “classique” doit être rendu inconscient préalablement à la saignée. Cette perte de conscience doit être maintenue jusqu’à la mort de l’animal.
« Dans le cadre des abattages pratiqués à titre de régimes dérogatoires, l’animal doit être rendu inconscient avant la jugulation, ou immédiatement après lorsqu’il n’existe pas de méthode réversible, afin de lui épargner toute souffrance évitable.
« L’acheminement, l’hébergement, l’immobilisation et l’étourdissement en vue de l’abattage ou de la mise à mort d’animaux élevés ou détenus pour la production de viandes, de peaux, de fourrures ou d’autres produits sont interdits dès lors que l’animal en question est une femelle en gestation ayant dépassé les deux tiers de la période de gestation. »
Article 2
La sous-section 1 de la section 1 du chapitre IV du titre V du livre VI du code rural et de la pêche maritime est complétée par un article L. 654-3-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 654-3-3. – Un conseil du bien-être animal est constitué auprès de chaque établissement d’abattage dans lequel est abattu annuellement un nombre d’animaux supérieur à un seuil fixé par décret.
« Ce conseil, présidé par la personne responsable de la protection animale désignée par l’exploitant en application de l’article L. 654-3-1, comprend notamment des représentants d’associations de consommateurs et d’associations de protection animale, ainsi qu’un vétérinaire lorsque cela est géographiquement possible. Il se réunit au moins une fois par an.
« Sans préjudice des propositions susceptibles d’être faites par le responsable de la protection animale, ce conseil peut proposer des audits en matière de bien-être animal dans l’établissement et, le cas échéant, des aménagements en faveur d’une meilleure prise en compte du bien-être animal sur la base de points critiques et de critères d’évaluation préalablement définis. Il est chargé d’élaborer, le cas échéant, un plan de mesures correctrices.
« La définition des critères d’évaluation mentionnés à l’alinéa précédent s’effectue sur la base de lignes directrices établies par le ministre chargé de l’agriculture. »
Article 3
La section 3 du chapitre IV du titre V du livre VI du code rural et de la pêche maritime est complétée par un article L. 654-27-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 654-27-2. – La viande provenant des parties non consacrées des carcasses ainsi que les réformes de viande issues d’animaux abattus au titre de régimes dérogatoires, qui sont réintroduites dans la filière conventionnelle, sont soumises à une obligation d’étiquetage affichant la mention “animal abattu au titre d’un régime dérogatoire” à l’occasion de leur mise sur le marché.
« Un décret du ministre chargé de l’agriculture fixe les modalités d’application du présent article. »
TITRE II
Régulation du transport animal
Article 4
Au premier alinéa de l’article 73 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, le mot : « quatre » est remplacé par le mot : « deux ».
Article 5
Après le premier alinéa de l’article L. 215-11 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Tout manquement grave ou répété aux obligations définies à l’annexe I du règlement (CE) n° 1/2005 du Conseil du 22 décembre 2004 relatif à la protection des animaux pendant le transport et les opérations annexes et modifiant les directives 64/432/CEE et 93/119/CE et le règlement (CE) n° 1255/97 constitue un mauvais traitement au sens du premier alinéa du présent article. »
Article 6
La section 4 du chapitre IV du titre Ier du livre II du code rural et de la pêche maritime est complétée par un article L. 214-13 ainsi rédigé :
« Art. L. 214-13. – Pour les transports d’animaux se déroulant entièrement sur le territoire français, il est prévu les conditions particulières suivantes :
« 1° La durée maximale de voyage des animaux domestiques est fixée à huit heures pour les espèces bovine, ovine, caprine, porcine et les équidés et à quatre heures pour les volailles et les lapins. Toutefois, une autorisation préalable peut être délivrée pour un voyage d’une durée supérieure, dans une limite maximale de douze heures de transport, par un vétérinaire qui atteste de la capacité des animaux à réaliser ce voyage sans risque d’être blessés ou de subir des souffrances inutiles ;
« 2° Les femelles gravides qui ont passé les deux tiers de la période de gestation prévue ne sont considérées comme aptes à être transportées que dans des cas et conditions prévues par un décret en Conseil d’État. »
TITRE III
Encadrement de l’abattage et de l’élevage porcin
Article 7
Après l’article L. 214-10 du code rural et de la pêche maritime, sont insérés des articles L. 214-10-1 et L. 214-10-2 ainsi rédigés :
« Art. L. 214-10-1. – La castration à vif et la caudectomie des porcelets sont interdites.
« Art. L. 214-10-2. – L’usage du dioxyde de carbone à des fins d’étourdissement des cochons dans les établissements d’abattage est interdit et remplacé par des méthodes d’étourdissement causant moins de souffrances. »
TITRE IV
Encadrement de l’élevage et de l’abattage des volailles
Article 8
Le premier alinéa de l’article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les établissements pratiquant à cette date, dans tout autre bâtiment, l’élevage de poules pondeuses élevées en cages y mettent fin au plus tard le 31 décembre 2025. »
Article 9
Après l’article L. 214-10 du code rural et de la pêche maritime, sont insérés des articles L. 214-10-3 et L. 214-10-4 ainsi rédigés :
« Art. L. 214-10-3. – Le broyage des poussins mâles et des canetons femelles vivants est interdit.
« Art. L. 214-10-4. – La suspension des volailles à des fins d’étourdissement par électronarcose dans les établissements d’abattage est interdite et remplacée par des méthodes d’insensibilisation causant moins de souffrances. »
TITRE V
Encadrement de l’élevage cunicole
Article 10
La section 3 du chapitre IV du titre Ier du livre II du code rural et de la pêche maritime est complétée par un article L. 214-11-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 214-11-1. – L’usage du système en cage est interdit pour tout établissement d’élevage cunicole.
« Les établissements qui ont mis en place d’autres systèmes d’élevage avant l’entrée en vigueur de la présente disposition sont autorisés à utiliser ces logements jusqu’au 31 décembre 2025 pour les lapins d’engraissement, ainsi que pour les reproducteurs et le pré cheptel.
« Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article. »
TITRE VI
Accès au plein air des animaux
Article 11
L’article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime est complété par deux alinéas ainsi rédigés:
« La mise en production de toute extension et de toute construction nouvelle ou réaménagée d’élevage n’offrant pas d’accès au plein air aux animaux est interdite.
« L’exploitation de tout élevage n’offrant pas d’accès au plein air aux animaux est interdite au plus tard le 31 décembre 2025. »
TITRE VII
Moratoire sur l’élevage intensif
Article 12
Dans un délai d’un an suivant la publication de la présente loi, le Gouvernement présente des dispositions visant à la mise en place d’un moratoire sur l’élevage intensif avec interdiction définitive au 31 décembre 2025.
TITRE VIII
Dispositions diverses
Article 13
Après le deuxième alinéa du I de l’article L. 206-2 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« – des articles 214-10-1 à 214-10-4 et des règlements pris pour leur application ; ».
Article 14
Les articles 7 et 9 entrent en vigueur le 1er janvier 2022.
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