Mardi 14 janvier 2020, le Sénat a examiné la proposition de résolution en application de l’article 341 de la Constitution, demandant au Gouvernement de porter au niveau de l’Union européenne un projet de barrière écologique aux frontières, présentée par MM. Jean-François HUSSON (Les Républicains – Meurthe et Moselle), Bruno RETAILLEAU (Les Républicains – Vendée) et plusieurs de leurs collègues.
Cette proposition de résolution vise à demander au Gouvernement de porter devant l’Union européenne un projet prévoyant de taxer l’importation de produits fortement émetteurs ou, à défaut, de produits issus de pays ne respectant pas les standards environnementaux de l’Union.
Cette demande repose sur un double constat :
– la perte de compétitivité d’un nombre croissant de secteurs économiques au sein de l’Union européenne du fait du niveau élevé des normes et des taxes environnementales ;
– le manque d’efficacité de l’application de la fiscalité carbone dans l’Union européenne, celle-ci ne prenant pas en compte les émissions de gaz à effet de serre importées.
Les auteurs de la proposition de résolution estiment que la mise en place d’une telle fiscalité sur les produits importés permettrait de créer une nouvelle ressource propre pour l’Union européenne, pouvant financer la transition écologique des États membres. Elle constituerait également un moyen d’inciter les partenaires commerciaux de l’Union à mener des politiques environnementales plus ambitieuses.
Le Sénat a adopté cette proposition de résolution.
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M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai cette intervention sur une notre positive, car il est réjouissant de voir les questions climatiques de plus en plus mises à l’agenda. Le discours selon lequel « l’écologie ça suffit », qui n’est pas si ancien, n’a plus droit au chapitre, et c’est une bonne chose. Il faut dire que les événements climatiques extrêmes en France comme dans le monde permettent difficilement d’ignorer l’urgence environnementale à laquelle nous faisons face.
Cependant, après les paroles, il faut des actes forts. Or, aujourd’hui, on peine encore à distinguer derrière les discours les actions concrètes qui permettraient d’affronter véritablement les enjeux se présentant à nous.
C’est pourquoi il nous semble nécessaire que le sujet de la « barrière écologique aux frontières » soit à l’ordre du jour. J’espère que cette idée, qui figure aujourd’hui dans tous les discours, pourra déboucher sur la mise en place de mécanismes à la fois efficaces et justes.
Ce sujet semble, dans son principe en tout cas, faire consensus dans notre pays : la taxation carbone aux frontières faisait partie du programme de la plupart des formations politiques françaises lors des élections européennes. De même, via le Green Deal, la présidente de la Commission européenne a annoncé envisager un ajustement carbone aux frontières si les écarts entre l’Union européenne et le reste du monde persistaient.
En effet, en plus de rétablir une certaine équité dans les échanges internationaux, une taxation bien pensée pourrait inciter les entreprises à adopter des technologies bas-carbone et à apporter les recettes nécessaires au financement d’une transition écologique à la fois efficace et juste.
Une récente étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’Ademe, publiée le 9 janvier dernier, indique qu’une taxe carbone aux frontières bien conçue pourrait avoir des effets redistributifs, tout en permettant aux ménages de s’orienter efficacement vers des biens moins polluants.
Or on sait qu’il est nécessaire, pour des questions d’acceptabilité, mais aussi et surtout de justice sociale, que la transition écologique contribue à réduire les inégalités.
Cependant, cette question est très complexe, et, pour qu’elle soit abordée de manière constructive, il est nécessaire de répondre à certaines interrogations sur les modalités de mise en œuvre des dispositifs déployés à cette fin.
Tout d’abord, on peut se demander comment échapper aux accusations de protectionnisme déguisé. La proposition de résolution prévoit ainsi de taxer aux frontières les produits fortement émetteurs de gaz à effets de serre. Pour être légitime, il faudrait que cette taxe s’applique de manière identique sur les producteurs européens. Or cette solution ne semble pas proposée au travers du texte qui nous est soumis.
Aussi ce texte ne serait-il pas compatible avec les règles du commerce international et sa légitimité serait-elle difficile à défendre. L’ajustement carbone aux frontières ne doit pas constituer un simple outil de protectionnisme : il doit favoriser les produits les plus respectueux de l’environnement et inciter l’ensemble des acteurs à faire évoluer leurs pratiques, et pas uniquement les producteurs des pays tiers.
L’autre mesure proposée au travers de ce texte, à savoir une taxation des produits provenant de pays ne respectant pas les standards européens en matière environnementale, nous paraît plus juste et plus réalisable, mais la proposition de résolution ne semble l’envisager que secondairement.
Au-delà des questions de mise en œuvre, afin de contrer toute accusation de protectionnisme déguisé, il convient de s’interroger sur l’insuffisance des efforts nationaux.
Quelle pourrait être la légitimité de la France à exiger un renforcement de la taxe carbone en Europe, alors qu’elle fait partie des plus mauvais élèves européens en matière de recettes fiscales environnementales en pourcentage du produit total d’impôts et de cotisations ?
M. Stéphane Piednoir. Ça, c’est un indicateur !
M. Joël Labbé. Même l’Europe est loin d’être exemplaire concernant sa politique de réduction de gaz à effet de serre.
Comme le relevait le Réseau Action Climat à ce sujet, les émissions de l’industrie n’étant pas en baisse en Europe faute de réelles mesures, la proposition d’une taxe carbone aux frontières revient à faire payer notre inaction par le monde extérieur.
Pour mener à bien cette nécessaire transition écologique, nous nous devons de mener une action volontariste, à l’échelon tant national qu’intraeuropéen, pour amorcer un véritable changement de nos modes de productions et de consommation.
Pour nous, la nécessaire relocalisation de l’économie ne doit pas seulement passer par une taxe carbone. Ainsi, réserver les marchés publics à des entreprises européennes serait une autre piste pour amorcer une transition. (M. Stéphane Piednoir s’exclame.)
De même, en agriculture, pour citer un secteur particulièrement touché par la compétition mondiale, afin d’éviter que nos paysans ne subissent la concurrence déloyale des pays n’ayant pas les mêmes normes que les nôtres, la relocalisation de l’alimentation – nous aurons l’occasion de revenir très souvent sur ce sujet cette année –, notamment dans la restauration collective, nous paraît une priorité.
Par ailleurs, les questions de la responsabilité différenciée des pays du monde dans le réchauffement climatique et de l’impact potentiel de cette taxe sur les pays émergents ne sont pas non plus abordées dans cette proposition de résolution. Or elles doivent être posées.
Enfin, les normes environnementales sont présentées ici essentiellement sous l’angle d’une perte de compétitivité. Ce texte n’appelle pas réellement à plus d’ambition nationale. Or, si dans certains secteurs précis le risque de « fuite de carbone » est réel, nous avons de nombreuses marges de manœuvre pour agir en France et dans l’Union européenne, nous semble-t-il, sans faire porter aux autres pays la responsabilité de notre manque de volontarisme.
Pour conclure, si le sujet est important et dans la mesure où la nécessité de mettre en place une taxation du carbone aux frontières est urgente, ce texte ne me semble pas porter une ambition suffisante aux échelons national et intraeuropéen. C’est la raison pour laquelle, à titre personnel, je m’abstiendrai. Cependant, les positions sont diverses au sein du groupe RDSE. (M. Yvon Collin applaudit.)
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