Lors de sa séance publique du mercredi 29 mai 2019, le Sénat a débattu, à la demande du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE), sur le thème : « Le cannabis, un enjeu majeur de santé publique », en présence d’Adrien TAQUET, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Les groupes politiques du Sénat ont présenté leur point de vue sur ce sujet, dans le cadre d’une séquence de questions-réponses avec le Gouvernement.
……………………………………..
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à saluer et remercier ma collègue et amie Esther Benbassa et le groupe CRCE d’avoir proposé ce débat.
Cette thématique m’a toujours intéressé et m’intéresse plus encore depuis quelque temps, puisque je travaille intensément sur la question des plantes médicinales depuis que j’ai été le rapporteur de la mission sénatoriale sur le sujet.
Le cannabis est une plante médicinale par excellence. Elle est très particulière, puisqu’elle a aussi des usages récréatifs illégaux – faut-il le rappeler ? – et est considérée aujourd’hui comme un stupéfiant. Mais le cannabis reste néanmoins une plante dont l’intérêt médical est de mieux en mieux connu et reconnu.
La mission sénatoriale sur le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales a renforcé ma conviction sur le réel potentiel de la médecine par les plantes. J’ai découvert via ce travail la notion de « totum » : une plante ne peut pas être résumée à quelques principes actifs isolés.
C’est le cas pour le cannabis, qui n’est pas réductible au THC et au CBD, deux de ses principes actifs autorisés en France dans certains médicaments. Cette plante contient des dizaines de molécules qui agissent en synergie et qui en font l’intérêt thérapeutique. Il est donc très intéressant que des patients en souffrance puissent y avoir accès.
J’ai également été conforté dans ma conviction par le travail du député de la Creuse, Jean-Baptiste Moreau, qui m’a associé à l’organisation d’un colloque sur le sujet en décembre dernier à l’Assemblée nationale. Les témoignages des patients et des médecins présents sur l’intérêt de cette plante étaient édifiants : celle-ci permet de soulager les douleurs de personnes en grande souffrance, aujourd’hui contraintes de s’exposer à des poursuites pénales pour se procurer le traitement qui les soulage, et ce sans suivi et sans garantie en termes de qualité du produit, comme l’a rappelé ma collègue.
La légalisation d’une telle plante suppose bien sûr un contrôle et une organisation, notamment des circuits de distribution, ainsi qu’un suivi des patients, afin de mieux connaître les effets du cannabis, pour lesquels les données scientifiques doivent encore être complétées.
Si cette plante présente potentiellement des risques qu’il faudra surveiller et prendre en compte, ceux-ci sont à mettre en balance avec ceux d’antidouleurs dérivés de l’opium, comme la morphine qui peut rendre dépendant et être mal tolérée. Ainsi, à l’échelon national, le Comité éthique et cancer n’a pas identifié d’effets néfastes justifiant de s’opposer à la consommation du cannabis à usage thérapeutique.
S’il faudra être vigilant sur les dispositifs de contrôle et de suivi, il faudra aussi veiller à ce que le traitement soit réellement accessible pour tous les patients.
Pour moi, la légalisation du cannabis thérapeutique est également une opportunité économique : en effet, cette plante peut être cultivée localement, la France étant un leader de la filière chanvre. Le rapport de la mission sénatoriale sur les plantes médicinales, que j’ai déjà cité, recommande à cet égard de « lever les obstacles réglementaires au développement d’une filière de production française de chanvre à usage thérapeutique ».
Tout en étant attentif à ne pas déstabiliser la filière existante, il y a là une opportunité de créer une production locale, qui réponde à un enjeu de santé, en faisant vivre nos territoires.
Pour toutes ces raisons, il est essentiel que la France s’oriente, comme de plus en plus de pays, vers la légalisation du cannabis thérapeutique. Sur ce sujet qui semblait auparavant tabou, et qui l’est encore pour certaines et certains, les annonces de Mme la ministre des solidarités et de la santé sont très encourageantes.
Je voudrais élargir mon propos : si l’intérêt du cannabis thérapeutique est réel et si sa consommation doit se faire de manière contrôlée, la question se pose autrement pour le chanvre bien-être ; il s’agit de la plante sans le THC qui provoque l’effet psychotrope du cannabis, mais avec du CBD, autre principe actif du cannabis, qui présente un intérêt en termes de bien-être. Il ne faudrait pas que le cannabis thérapeutique crée de fait un monopole pharmaceutique sur le CBD.
En effet, si la France interdit aujourd’hui le CBD, parce qu’il est un dérivé du cannabis, cette molécule est classée par l’OMS, l’Organisation mondiale de la santé, comme n’étant pas addictogène ou dangereuse. De plus, un recours est exercé contre la France sur la question de la conformité de l’interdiction du CBD issu du chanvre avec le droit européen.
Je suis convaincu que nous devons nous montrer attentifs sur le sujet et considérer l’opportunité de faire évoluer notre législation. Il faudra bien sûr étudier la question en appréciant les enjeux de santé publique, mais le CBD pourrait aussi présenter un intérêt dans le secteur des cosmétiques ou des compléments alimentaires. Une mission d’information sur le sujet devrait d’ailleurs voir le jour à l’Assemblée nationale en septembre prochain.
En conclusion, je souhaite de nouveau revenir aux plantes médicinales. Si la France bouge sur le cannabis thérapeutique, cette plante au statut compliqué du fait de son usage récréatif et psychotrope, j’espère que cela pourra ouvrir la voie à une plus large place des plantes médicinales dans la santé en général.
Car de nombreuses autres plantes, qui ne sont pas des stupéfiants et sont sans risques, et qui sont donc bien moins complexes à gérer que le cannabis, ont un véritable intérêt. Elles sont demandées et attendues par les patients et les consommateurs, mais leur place dans le système de soins reste insuffisante du fait d’une réglementation encore inadaptée.
Il est temps que la France, pays historiquement producteur et consommateur de plantes médicinales, leur donne enfin la place qu’elles méritent dans son système de santé. Aussi, dans le cadre de la discussion du projet de loi Santé, je déposerai trois amendements d’appel visant à la prise en compte des plantes dans notre système de soins. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
>Pour accéder au compte rendu intégral complet de la séance
> Lien vidéo